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La Marche à Reculons De La Démocratie Sénégalaise

La Marche à Reculons De La Démocratie Sénégalaise

Le Sénégal a une vieille et longue tradition de culture démocratique qui ne saurait se payer le luxe d’une marche à reculons. C’est donc une véritable reculade que l’Assemblée nationale, qui connut trois (3) groupes parlementaires durant la 9ème législature (1998-2001) avec les groupes parlementaires du Ps, du Pds et de l’Urd, puis dans la 10ème législature (2001-2007) avec les groupes du Pds, du Ps et de l’Afp, n’en enregistre que deux dans la 13ème législature (2017-2022). De fait, la démocratie sénégalaise, notamment au niveau de l’Assemblée nationale, a toujours été marquée par une bipolarisation de la vie politique, avec deux groupes parlementaires tout au plus. Les deux seules fois où il y a eu 3 groupes parlementaires dans l’Hémicycle, c’était donc quand l’Alliance des Forces de Progrès (Afp) de Moustapha Niasse et l’Union pour le Renouveau démocratique (Urd) de Djibo Kâ ont joué dans la cour des grands en s’invitant dans des débats qui avaient opposé jusque-là, et exclusivement, le Parti Socialiste (Ps) et le Parti Démocratique Sénégalais (Pds).

Elu avec plus de 65% des suffrages à l’élection présidentielle de 2012, le jeune Président, Macky Sall, né après les indépendances, a très tôt fait de prôner «la rupture». Mais, il n’en fut rien car il n’a rien fait pour rompre avec la bipolarisation de la vie politique, et notamment à l’Assemblée nationale, qui est restée inchangée. Même si ce n’est plus le classique duel entre les partis Ps et Pds, signe des temps, le phénomène de bipolarisation persiste toujours, mais oppose désormais, non plus des partis politiques, mais de grandes coalitions regroupées autour du parti au pouvoir, Apr, et de l’éternel Pds.

Quand l’Assemblée nationale, siège par excellence du débat démocratique, de la pluralité ainsi que de la diversité du paysage politique sénégalais, qui plus est, doit être un modèle en matière de consolidation des acquis démocratiques, est réduite à une chambre monocolore sous la domination sans partage de la majorité écrasante de Benno bokk yaakaar, c’est incontestablement une régression démocratique. Dans l’histoire de l’Assemblée nationale, de 1966 à 2000, la règle pour créer un groupe parlementaire était au moins de disposer du 1/10ème du nombre de députés. En 2001 ou 2002, lors de la première magistrature de Me Abdoulaye Wade, le Pds a fait baisser le nombre de députés requis à 10 au lieu du 10ème. En ramenant à dix le nombre de députés pour constituer un groupe parlementaire, la majorité détenue à l’époque (2002) par les Libéraux, avait permis, au Ps et à l’Afp d’avoir chacun, son propre groupe parlementaire. Cette volonté d’ou­verture et cette générosité sont sans commune mesure avec l’ostracisme de la majorité Bennoo bokk yaakaar qui ne veut pas de groupe parlementaire de l’opposition à l’Assemblée nationale. C’est tout le sens du vote de la loi scélérate du 29 juin 2015 portant modification du règlement intérieur de l’Assem­blée nationale, qui a changé la donne au Sénégal. Avec cette réforme déconsolidante, la majorité Bennoo bokk yaakaar a fait le coup de force d’entériner le relèvement à 15 du nombre de députés nécessaire à la constitution d’un groupe parlementaire. En vertu de ce texte, il faut un dixième des élus qui composent l’Hémicycle, soit 15 députés sur 150, au lieu des 10 qui étaient jusque-là requis pour la constitution d’un groupe. «Interrogeons l’histoire pour savoir que les dix députés constituant un groupe parlementaire, c’était pour éviter une Assemblée monocolore. Quel recul démocratique !», s’est exclamé le député de Rewmi Mamadou Faye. A titre de comparaison, la France, le pays de «nos ancêtres les Gaulois», dont le Sénégal a fait du copier-coller de son droit positif, compte 577 députés au Palais Bourbon. Mais, il suffit d’y avoir tout juste 15 députés pour pouvoir former un groupe parlementaire. Au Sénégal sous Macky Sall, il en faut 15 pour 150 puis 165 députés. Bon nombre de Sénégalais ont crié à «l’injustice et au recul démocratique». L’opposition par­lementaire s’est dit outrée par une telle mesure. Les députés Mamadou Lamine Diallo et Aïssata Sall, bien que membres de la majorité parlementaire, ont fait part de leur «indignation» devant cette proposition de loi «scélérate, discourtoise, inique et honteuse». «L’augmentation des membres pour la constitution d’un groupe parlementaire est indigne de notre Assemblée. Ce texte est un galimatias juridique tiré par les cheveux», s’est emportée Aïssata Tall Sall. Le nouveau texte interdit aussi à tout député démissionnaire d’un groupe parlementaire d’intégrer un autre groupe parlementaire. La seule possibilité qui lui est offerte est d’être un «non-ins­crit».

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Autre recul démocratique, c’est l’entêtement du Président Macky Sall à imposer coute que coute le ministre de l’Intérieur, Abdou­laye Daouda Diallo, com­me organisateur des élections, alors que ce dernier, trop partisan et membre actif du Secré­tariat exécutif national de l’Apr, est récusé par l’opposition et la Société civile. Après avoir donné la preuve de son incompétence notoire durant le référendum du 20 mars 2016, Abdoulaye Daou­da Diallo a encore récidivé avec les Législatives du 30 juillet 2017, où il a fait étalage de limites effarantes à organiser des élections au Sénégal. Ce faisant, le Président Macky Sall fait beaucoup moins que les Prési­dents Abdou Diouf et Ab­dou­laye Wade.

En 1997, le Président Abdou Diouf nomme le général Lamine Cissé au poste stratégique de ministre de l’Intérieur. Ce dernier s’acquitta honorablement de sa mission en organisant les élections législatives de mai 1998 et l’élection présidentielle de février et mars 2000 (deux tours) à la suite de laquelle l’alternance politique est intervenue au Sénégal sans effusion de sang et mettant fin à quarante ans de règne du Parti Socialiste. Le général Mamadou Niang, ancien président de l’Onel (Obser­va­toire national des élections), chargé d’organiser les élections sous le régime du Président Abdou Diouf, lui succède à ce poste dans le premier gouvernement du Premier ministre Moustapha Niasse, nommé par le président Abdoulaye Wade, fraîchement élu. En 2012, dans le souci de répondre favorablement aux exigences de l’opposition et de la Société civile, le Président Abdoulaye Wade retire l’organisation des élections au ministre de l’Intérieur, Me Ous­mane Ngom, pour la confier à un Cheikh Guèye, sans coloration politique connue, qui est alors bombardé ministre chargé des élections. On connaît la sui­te.

Par ailleurs, c’est vraiment débile que, de nos jours, on continue à parler encore au Sénégal d’autorité dite indépendante ou autonome, genre Ceni ou Cena, pour veiller à la bonne organisation matérielle des opérations électorales, faire respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, la transparence, la sincérité des scrutins. Le général Mamadou Niang ne dit pas autre chose quand il déclare : «Pourquoi créer l’Onel, la Cena, alors que, dans les pays normalisés, le ministère de l’Intérieur organise les élections et sans problème ? Ces organes comme l’Onel et la Cena sont des béquilles de la démocratie.» C’est véritablement triste, après 57 ans d’indépendance et deux alternances politiques pacifiques qui ont émerveillé le monde entier, qu’on continue encore de s’étriper au Sénégal avec des histoires de contentieux électoraux à n’en plus finir, d’interdiction de manifestations de l’opposition au motif de «menaces de troubles de l’ordre public», de restrictions des libertés publi­ques, d’omniprésence de la famille présidentielle dans les affaires de l’Etat, d’Assemblée nationale monocolore dans sa physionomie, avec la suprématie du groupe majoritaire Benno bokk yaakaar, de détournements de deniers publics par de grands commis de l’Etat, qui plus est, ont été épinglés par les corps de contrôle de l’Etat (Ofnac, Armp, Cour des comptes, Ige, etc.) sans être inquiétés car, couverts d’une impunité jamais égalée, ils sont sous l’aile protectrice du pouvoir, etc.

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Quelle démocratie quand les achats de consciences sont érigés en mode de gouvernance ? Après avoir affamé les Sénégalais et les avoir mis dans une situation de dépendance absolue, de fragilité et de précarité, il était plus facile de leur faire mordre à l’hameçon des Bourses de sécurité familiale, cette autre forme d’assistanat qui passe pour être de la providence aux yeux des bénéficiaires. Et voilà des Sénégalais doublement appauvris : un pouvoir d’achat réduit presque à néant auquel s’ajoute le mal des valeurs en déliquescence. Exit la dignité, l’honneur, la fierté, tout cela englobé par le vocable wolof de «ngor». Le débauchage et la transhumance n’ont jamais été mis à contribution que lors de ce processus électoral des Légis­latives 2017 : candidats investis sur des listes de l’opposition, parfois même des têtes de listes, qui sont débauchés en pleine campagne électorale. Mais, ce gens-là sont-ils plus couverts de déshonneur que certains maires qui «sont passés à l’ennemi» avant la fin d’un mandat qu’ils ont pourtant étrenné sous la bannière d’un parti politique autre que celui au pouvoir ?

Quel recul démocratique quand, à quelques encablures du référendum du 20 mars 2016, on nous annonce «la panne de la machine» qui fabrique les cartes nationales d’identité, privant ainsi des centaines de milliers de Sénégalais de leur droit de vote. Cette situation de Sénégalais empêchés de sacrifier à leur devoir citoyen, déjà déplorée pendant le référendum, est passée de mal au pis avec les élections législatives de 2017. Quelle honte, quand on en est réduit à voter avec n’importe quel chiffon (un vrai retour au Moyen-âge !), parce que tout simplement l’Etat du Sénégal n’est pas fichu de produire des cartes biométriques Cedeao après avoir pourtant gaspillé la manne financière de 50 milliards de francs Cfa ! Au surplus, avec un mode de scrutin inique et qui favorise le pouvoir, ce n’est pas demain la veille de la victoire de l’opposition dans des élections législatives. En effet, les députés sont élus selon un mode de scrutin mixte dans 45 circonscriptions électorales, correspondant aux départements du Sénégal. 90 sièges sont pourvus au scrutin majoritaire à un tour dans chacune des circonscriptions, à raison de 1 à 5 sièges par circonscription, selon leur population. Le fameux «raw gaddu», qui ne reflète pas la réalité sociologique de l’électorat sénégalais. Les 60 sièges restants sont pourvus sur une liste nationale au scrutin proportionnel plurinominal selon le système du quotient simple entre les listes de candidats des partis ou coalitions de partis ou indépendants. Dans ce dernier cas, les sièges restants après le premier décompte sont attribués suivant la règle du plus fort reste.

Quand le chef de l’Etat himself se méprend du rôle de l’opposition comme rouage important de la démocratie, en ne se gênant pas le moins du monde de déclarer publiquement sa volonté de «réduire l’opposition à sa plus simple expression», c’est la vitrine démocratique sénégalaise de bonne réputation qui se lézarde, se fissure et craquelle. C’est la démocratie sénégalaise tant vantée et chantée qui en prend un sacré coup. Une démocratie rongée jusque dans ses fondements voire dans les institutions qui en constituent les soupapes de sécurité, en l’occurrence l’Assemblée nationale.

Pendant ce temps, des pays comme le Bénin, le Cap-Vert ou le Burkina-Faso, considérés a priori comme des nains en démo­cratie et que le Sénégal traite avec beaucoup de condescendance, par-dessus la jambe, connaissent une révolution dé­mo­cratique depuis plusieurs an­nées, avec des alternances politiques pacifiques sans tambours ni trompettes et presque banales. Pour sa part, très vaniteux dans les discours pompeux, le Sénégal est en réalité dépassé en plusieurs points par ces «petits pays».

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La situation actuelle de la démocratie au Sénégal, ce sont des candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2019 qui sont, soit emprisonné puis exilé (Karim Wade), soit jeté au fond d’un cachot (Khalifa Sall) en attendant de régler leur sort aux autres «présidentiables». A ce rythme, le Président Macky Sall risque de se retrouver seul face à lui-même quand «son» Conseil constitutionnel va arrêter la liste officielle des candidats retenus pour l’élection présidentielle de 2019. A moins que le chef de l’Etat parraine les candidatures de deux pelés et trois tondus, des candidats de circonstance pour donner au scrutin un semblant d’élection crédible, libre et trans­parente. On pourrait alors se retrouver, à l’arrivée, avec un plébiscite du président Macky Sall sur un score non plus à la Soviétique -c’est désormais passé de mode avec l’éclatement de l’Urss- mais un score à la rwandaise, en référence au Président Paul Kagamé qui vient de remporter la Présidentielle au Rwanda avec un score de plus de 98% des suffrages, face à deux concurrents fantoches qui ont obtenu chacun, moins de 1% des suffrages. Pour un pays qui a éton­né le monde en réalisant deux alternances de haute facture en douze ans (2000 et 2012), c’est un rétropédalage honteux et indigne du brillant parcours de la démocratie sénégalaise fait d’avancées et de conquêtes les unes plus significatives et plus considérables que les autres. Surtout que le Peuple sénégalais a payé un lourd tribut pour en arriver là.

La 13ème législature, qui ne va différer en rien à la précédente, verra une majorité parlementaire de loin plus hégémonique que tout ce qu’on a connu jusqu’ici en termes de monopole, d’inféodation au pouvoir exécutif, de déséquilibre, de vote mécanique, de ronflements dans l’Hémicycle et de propension à écraser la minorité parlementaire. Me El Hadji Diouf, député non-inscrit dans la 12ème législature, va beaucoup manquer à l’Assemblée nationale et notamment à la députée Apr de Fatick, Aïssatou Diouf, dont il est le souffre-douleur. Tout le monde sera nostalgique des effets de manches de l’avocat-député, qui sont les mêmes, qu’il soit dans l’Hémicycle ou dans le prétoire. Avec l’absence de Me El Hadji Diouf au Parlement, bonjour l’ennui, avec ces députés abonnés à la somnolence, aux applaudissements et au vote mécanique et systématique de tout ce qui provient du gouvernement.

La démocratie n’est pas une fatalité, pas plus qu’elle n’est une spécificité sénégalaise. Aujourd’­hui, le «modèle sénégalais» ne fait plus rêver. A trop dormir sur ses lauriers ou à vivre comme dans une bulle, on en arrive à stagner puis à reculer pendant que les autres avancent sûrement mais sans faire de bruit. La démocratie est un combat de tous les jours. Une œuvre perpétuelle, à jamais achevée, mais toujours perfectible. Avec des mirages et des atours mirifiques, la démocratie sénégalaise ressemble, à s’y méprendre, à un bel éclat de vernis enduit sur du bois mort et profondément rongé de l’intérieur. Le salut de la démocratie sénégalaise réside dans la prise de conscience de l’opposition de s’unir ou périr, dans sa capacité à exercer une pression très forte et un harcèlement incessant sur le pouvoir pour l’obliger à faire des concessions, tout en faisant le travail nécessaire sur le terrain pour organiser la résistance devant le rouleau compresseur du régime de Macky Sall. Tout cela, sans préjudice de la nécessité de conquérir le cœur des Sénégalais et transformer cet élan de sympathie en votes favorables et massifs le jour du scrutin, dans l’espoir d’en finir pour de bon avec ce pouvoir fasciste anti-démocrate, condition sine qua non pour que la démocratie sénégalaise retrouve ses lettres de noblesse.

Pape SAMB

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