Le basketteur sénégalais, Gorgui Sy Dieng, sociétaire des Timberwolves de Minnesota de la Ligue américaine de basketball (Nba), a été fait ambassadeur de la destination Sénégal par les responsables de l’Agence sénégalaise de promotion du tourisme.
A en croire le directeur de l’Aspt, Mouhamadou Bamba Mbow, cette initiative entre dans le cadre de «l’ambition de l’agence de s’appuyer sur la notoriété internationale de personnalités sénégalaises pour amplifier le rayonnement de la destination». En outre, selon la même source, Gorgui «jouera le rôle d’influenceur auprès de ses réseaux et inspirera, sans nul doute, de nombreux touristes qui connaissent peu ou pas le Sénégal».
D’emblée, je tiens à préciser que je suis un grand fan de Gorgui Sy Dieng, non seulement pour ses belles performances en Equipe nationale du Sénégal mais aussi et surtout pour ses nombreuses actions humanitaires en faveur des couches les plus défavorisées de notre pays. En atteste sa mise à la disposition de l’hôpital Principal de Dakar, d’un important lot de matériel dont sept machines d’hémodialyse au mois de mai dernier.
Cependant, les terrains sportif et humanitaire diffèrent totalement du secteur du tourisme, où tout s’organise et se planifie sur le long terme.
Qui plus est, le tourisme se caractérise par sa nature transversale, pluridisciplinaire et multisectorielle qui requiert une approche holistique au moment de l’appréhender. En d’autres termes, il est considéré comme un système où la défaillance d’une des chaines chamboule tout son fonctionnement.
Par conséquent, pour assurer le développement harmonieux du secteur touristique, il importe de stimuler une adéquation permanente et spontanée entre les quatre composantes du système touristique à savoir l’offre, la demande, l’espace géographique et les opérateurs touristiques.
Pourtant, au regard des orientations prises par le gouvernement du Sénégal depuis les indépendances jusqu’à nos jours, on constate que sa politique touristique a été toujours guidée par des représentations sociales hégémoniques tant pour la conception de son produit touristique que pour la promotion de sa destination. En effet, au lieu de s’atteler à un assainissement interne du secteur touristique, les autorités sénégalaises en charge du tourisme ont tendance à mettre plus d’énergie sur la promotion du tourisme à l’étranger, en éludant de nombreux manquements qui ont pour noms, problématique de la qualité des ressources humaines du secteur, phénomène des fuites dans le secteur touristique, représentations sociales défavorables de la plupart des Sénégalais vis-à-vis du tourisme, manque d’écoles de formation en tourisme de qualité, non implication des nationaux dans le secteur touristique (aussi bien en tant qu’investisseurs qu’en tant que visiteurs), etc.
Par exemple, en dépit de l’importance stratégique des guides touristiques qui représentent les premiers contacts et intermédiaires des touristes au niveau de la destination, les autorités sénégalaises en charge du tourisme accordent peu d’importance à ce métier. Pour preuve, depuis plus de deux années, un groupe de Sénégalais (dont moi-même) ayant passé et réussi les tests de guide touristique courent toujours après leurs sésames (cartes guides). Et à la question de savoir la raison pour laquelle ces cartes ne sont pas encore disponibles, l’unique rengaine des agents du ministère du Tourisme et des transports aériens consiste à ressasser que la machine qui confectionne ces cartes est tombée en panne. Et la conséquence directe de cet amateurisme de l’Etat est le développement du guidage clandestin, qui me semble la principale cause de la rareté des touristes au Sénégal. Je m’explique : tant que l’Etat ne parviendra pas à identifier les guides légaux et clandestins, n’importe qui aura l’occasion de côtoyer un touriste pour lui raconter des balivernes et lui soutirer indument de l’argent. D’ailleurs le Rapport provisoire de l’étude pour l’élaboration d’un plan stratégique de développement durable du tourisme au Sénégal 2014-2018 avait tiré sur la sonnette d’alarme depuis longtemps en ces termes : «Le métier de guide touristique est menacé par la prolifération de guides clandestins incompétents et peu soucieux des règles d’éthique qui encadrent le métier.» (P 45).
En fait, à cette négligence du ministère du Tourisme s’ajoute l’absence de formation de qualité en tourisme au Sénégal. A part l’Ecole nationale de formation hôtelière et touristique, la seule institution publique de formation en tourisme au Sénégal, l’offre de formation en tourisme s’appuie sur quelques instituts privés qui conçoivent leurs propres curricula loin d’être exempts de reproches. De même, l’instabilité institutionnelle du ministère du Tourisme sénégalais, généralement remanié au gré du contexte politico-politicien ne favorise pas la mise en place d’une politique touristique durable.
C’est dire que la destination Sénégal traîne assez de défaillances internes pour espérer miser sur du parrainage, du sponsoring ou un quelconque apport externe susceptible de la promouvoir.
En fait, quand on sait que la promotion d’une destination se conçoit d’abord au niveau local à travers la mise en place d’une identité territoriale authentique bien ancrée, les autorités sénégalaises en charge du tourisme semblent escamoter le travail interne requis en s’empressant à l’exploitation de l’image d’une célébrité (Gorgui) pour attirer le maximum de prospects. Elles oublient que dans le management des destinations touristiques, rien ne se décrète, tout s’organise et se planifie malheureusement, ces pré-requis ont toujours été le talon d’Achille du secteur du tourisme du Sénégal qui n’a pas encore su tirer profit de ses précieux avantages comparatifs (stabilité politique et sociale, proximité avec l’Europe, etc.).
En outre, selon Jean Noël Kapferer, expert des marques, «sur le plan managérial, l’identité précède l’image […] ; avant d’être perçu, il faut savoir émettre». Et cet impératif stratégique est valable pour toute destination touristique soucieuse de sa viabilité à long terme. En effet, essayer de comprendre et d’analyser l’identité d’un territoire est la première étape essentielle à franchir pour s’assurer de la promotion d’une destination touristique.
L’identité se définissant par «l’ensemble des traits culturels, des codes propres à un groupe (ou un territoire) qui lui confère son individualité, qui le caractérise et le rend unique (aux yeux des habitants et des visiteurs)», permet de renforcer le sentiment d’appartenance des habitants au territoire, et de donner un caractère susceptible de rassembler et séduire un maximum de visiteurs clients et prospects.
Mais au Sénégal, il est très fréquent de voir les autorités compétentes en charge du tourisme, montrer beaucoup «d’enthousiasme» à vouloir promouvoir ladite destination tout en restant de marbre face à des questions aussi stratégiques que cruciales comme le problème des établissements touristiques et des guides clandestins, la répartition et le standard de la plupart des établissements d’hébergement touristique de notre destination.
Par exemple, un petit coup d’œil sur le même Rapport provisoire de l’étude pour l’élaboration d’un plan stratégique de développement durable du tourisme au Sénégal 2014-2018 montre que «Rien que dans la région de Thiès, par exemple, on dénombre 132 réceptifs clandestins» (P.41). Et c’est un truisme de rappeler le manque à gagner que constitue la clandestinité dans le secteur du tourisme. Le même document confirme le sempiternel réquisitoire à l’égard du tourisme sénégalais en ces termes : «(…) On constate qu’une faible partie des hôtels (3%) sont membres du Green Globe 21 et ils sont détenus par les étrangers. Ces derniers sont aussi les seuls à avoir un certificat ISO 14000. Contrairement à certaines destinations concurrentielles, la destination Sénégal ne dispose pas de certification de bonne gestion environnementale.» (p. 42).
Il convient de souligner que le paradoxe de la politique touristique sénégalaise consiste généralement à exagérer l’offre première au détriment de l’offre dérivée de la destination. Pourtant l’une ne peut nullement aller sans l’autre. Pour rappel, l’offre première d’une destination étant l’ensemble de ses attractions naturelles, culturelles qui motivent le déplacement des touristes ; l’offre dérivée, elle, représente l’ensemble des superstructures (aéroports, ports), infrastructures (ponts, routes, etc.) et structures (hôtels, motels, auberges, campements, etc.) mises en place pour faciliter la visite de l’offre première.
Néanmoins, «la région de Saint-Louis ne compte pas un seul hôtel d’une capacité de cent chambres. Cette faible capacité d’accueil, la sous-exploitation ainsi que le standing des réceptifs (de bas de gamme à moyenne gamme), expliquent largement les réticences des tour-operators à commercialiser la destination» (p.42, Ibid).
Par ailleurs, au regard des défaillances techniques et stratégiques que nous venons de rappeler (car beaucoup de personnes en sont familiers), même si les autorités sénégalaises, en collaboration avec Gorgui Sy Dieng, parvenaient à convaincre des prospects et faire venir des touristes au niveau de la destination, ces derniers risqueraient d’être non seulement déçus mais aussi de faire une publicité défavorable à la destination Sénégal une fois chez eux. Parce que, le préalable qui consiste à s’assurer d’un service de qualité pour les touristes n’est pas encore garanti.
L’on a souvent tendance à oublier que dans le domaine du tourisme, faire venir un touriste est une chose mais le faire rester longtemps en est une autre. Le faire revenir est le défi des destinations les plus expérimentées et les plus matures.
Par conséquent, c’est vouloir faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes que de laisser croire que la destination Sénégal a déjà nettoyé ses écuries d’Augias pour prétendre faire sa promotion à l’étranger.
Que de fois n’a-t-on pas atteint les objectifs fixés par la Lettre de politique sectorielle du tourisme ? (Lettre de politique sectorielle du tourisme du Sénégal 2005-2012 : Les objectifs chiffrés visent à atteindre 1,5 million de touristes à l’horizon 2010, et près de 2 millions à l’horizon 2015 et à créer 20 000 lits supplémentaires).
Que de fois n’a-t-on pas entendu des Sénégalais assimiler l’hôtel et l’auberge à des lieux de débauche et de dépravation ?
Que de fois n’a-t-on pas vu des étudiants en tourisme être la risée de leurs camarades et entourage ?
Voilà, à mon humble avis, un tas de questions qui méritent à l’immédiat des réponses aussi bien de la part des autorités administratives et religieuses que des chercheurs et autres Sénégalais.
Le tourisme n’est pas encore entré dans les mœurs des Sénégalais. Travaillons-y d’abord !
Birame SARR
Université Las Palmas de Grande Canarie
Chercheur en tourisme
sarrbirame@hotmail.fr