« Ko haala addata haala / wax mooy inndi wax / digaame bakkaado digaame / kumo lek kumo naati / kasankenaku egami kasankenaku / falay naa bisaada falay ».
Cher ami Hamidou DIA,
Pourquoi rectifies-tu ? Le fais-tu pour faire plaisir à des amis avec qui tu as en partage l’héritage du Sénégal et ses mémoires plurielles ou le fais-tu parce que tu te plies aux exigences de ceux qui, intellectuels ou lettrés comme toi, appartiennent à une autre socio-culture sénégalaise importante mais qui, jamais à aucun moment n’avaient pas eu le courage qui a été le tien, pour dénoncer les manquements et les atteintes à la cohésion sociale sénégalaise lors que ceux-ci venaient des membres de leur communauté culturelle. Tes amis là, auxquels tu donnes des gages de fidélité allant jusqu’à dire que tu avais beaucoup de frères et amis wolofs (ce qui est à ton honneur) que chez tes parents peuls, à chaque fois que le peul était victime d’atteintes verbales à caractère ethniciste, n’ont jamais eu à réagir et à condamner, contrairement à nous autres qui avons promptement réagi pour dénoncer fermement les propos de Penda Ba et de nous en désolidariser.
J’ai admiré ton courage et ta lucidité dans ton premier article, car au lieu de te flageller pour présenter tes plates excuses comme l’ont fait certains parmi les nôtres, tu avais osé, comme je l’avais fais dans facebook, de dénoncer la problématique de danger vers laquelle se dirigeait le Sénégal à travers des comportements chauvins nauséabonds et des paroles qui ne restituent en aucune manière l’histoire de notre cohésion sociale apaisée depuis des temps anciens.
Mais tes amis wolofs qui sont nos frères et sœurs se sont sentis visés. Et au lieu de te retrouver dans ce combat qui doit être celui de la République, ils ont préféré condamner et désapprouver tes propos. Ils te demandent de renoncer à ton espace de socialisation primaire qui est le peul depuis Saldé-Tébégoud, village de la vallée antérieurement seereer, comme tant d’autres de nos collectivités et villages du Fuuta et ceux de la vallée du fleuve Sénégal toute entière, pour te mouler sans discussion au modèle social mono-culturel et linguistique wolof pour lequel ils dessinent les contours et la sociographie du Sénégal d’aujourd’hui et de demain.
Or cette hypothèse là, ne restitue ni ne correspond en aucune façon à notre Sénégal historique, ni à celui d’aujourd’hui et certainement pas à celui de demain. Ce Sénégal là n’est pas le mien et pour une très large majorité de notre peuple. Cette perspective de détérioration des liens sociaux , de la coexistence interculturelle pacifique qui promeut notre cohésion nationale actuelle et la pluralité des mémoires culturelles ainsi que des diversités de territoires et de terroirs qui la composent, ne peut être la nôtre, elle n’est pas la mienne en tous les cas. Car, elle suppose, un nivellement d’autres, pour créer les conditions d’une prévalence et d’une prééminence d’une ethnie sur d’autres pour en arriver à un monolithisme culturel et linguistique qui ne peut être qu’une perspective très dangereuse dont le Sénégal et les Sénégalais n’ont pas besoin.
La phrase de ton ami Dieye qui te tend la main et qui t’invite à te relever grâce à son soutien (admettons Hamidou, que l’une de nos ethnies soit devant et les autres derrière, que l’une soit «supérieure» aux autres et après ?), y est explicite et particulièrement terrible par son chauvinisme revendiqué, pour notre histoire et notre appartenance commune caractérisée par des origines diverses, des socialisations multiples, des métissages féconds, des assimilations réciproques et des parentés plurielles dont les migrations sont les supports ainsi qu’une citoyenneté diversifiée revendiquée et enviée à l’échelle de notre continent.
Hamidou, pourquoi ne dis-tu pas à tes amis, frères et sœurs wolof qui sont les miens, que nous peuls, venus des villages lointains des régions périphériques et du centre du Sénégal, qui avons bénéficié des pluralités des socialisations éducatives sénégalaises, et qui avons transcendé leurs continuités et discontinuités récurrentes, qui avons grandi dans une double socio-culture rurale et urbaine et qui avons vécu les continuités territoriales de notre pays, n’avons rien contre eux et contre leur communauté. Que nous ne comprenons pas leurs comportements chauvins à l’égard de notre communauté peule et à l’égard des autres communautés qui, comme elle, forment avec nous une nation en cours de construction avec une cohésion sociale historique apaisée. Que nous ne comprenons pas leurs désirs ardents d’être supérieurs aux autres et leurs volontés permanentes d’intégrer ceux qui sont différents. Que nous apprenons réciproquement avec eux et concomitamment nous inventons les méthodes et outils existentiels qui aideront nos communautés respectives à construire ensemble notre histoire d’aujourd’hui et celle de demain, comme l’avaient fait pour nous nos ancêtres qui nous ont légué le Sénégal.
Car pour nous, toutes les langues et ethnies se valent et peuvent rendre compte des mémoires séculaires, être des vecteurs des savoirs multiformes, des dynamiques de rencontres et d’échanges, des conservations et des restitutions diverses.
Pour nous, la vulgarisation des diversités culturelles et linguistiques est facteur de cohésion sociale. Celle-ci est celles des communautés, des hommes, et des femmes, des langues, des territoires et des terroirs qui, audelà des métissages et des assimilations diverses, forment et animent une nation apaisée. La permanence de cctte diversité passant nécessairement par le traitement équitable des langues nationales qui en sont les véhicules identitaires. Car Hamidou, la détérioration d’une langue est un des critères de la destruction des mémoires et des civilisations. Une langue qui se meurt, c’est des liens qui se détériorent et ça ce n’est pas acceptable pour le Sénégal.
Hamidou, pourquoi tu ne leurs dis pas, que jamais dans l’histoire de notre pays, jamais un intellectuel ou lettré peul francisant ou arabisant, n’a tenu un propos désobligeant ou à caractère ethnique voire ethniciste à l’égard du wolof, ni à l’égard du seereer, du joolaa, du mannding, du sooninke, du manjaak, du balante, du basari, du tennda, du malinke, du jaaxanke et du xaasonke, du mankany et tant d’autres communautés de notre nation. Dis leur Hamidou, que dans aucune de ces communautés de notre nation qui sont sont à égal droit et devoir que les wolofs, qu’aucun lettré quel qu’il soit n’a jamais écrit quelque chose de désobligeant ou proféré une parole ou un comportement ethniciste à l’égard de son frère ou sa sœur wolof.
Hamidou, toi et moi comme beaucoup de jeunes lycéens originaires des régions périphériques du Sénégal, qui avons grandi à NDAR, et qui y avons vécu toute notre adolescence dans cette contrée marquée par la pluralité de son peuplement et de sa Téranga légendaire, nous avons bénéficié de l’hospitalité de ces familles wolofs qui nous ont accueilli, hébergé, nourri, soutenu financièrement, non pas parce qu’elles étaient meilleures ou supérieures que nous, mais tout simplement parce quelles étaient et restent toujours des « ndey-ji-reew » et profondément humaines.
Comment expliques-tu alors Hamidou, que certains de nos frères et sœurs wolofs, ne cessent en longueur de journées, dans les différents évènements qui traversent notre pays, de tenir à tout va des propos désobligeants et ethnicistes à l’égard de notre communauté et exclusivement à l’égard de celle-ci ? Ils ne s’attaquent pas aux seereer, aux sooninke, aux joolaa, aux mannding et aux autres ethnies. Seule notre communauté est leur cible privigée.
Pourquoi alors des intellectuels et des lettrés wolofs ou devenus wolofs dans le temps et dans l’espace, suite à des assimilations qui ont confirmé des ruptures avec des origines, s’attaquent aux peuls avec des propos ethno-raciaux, et que ceux et celles de tes amis qui te demandent de t’amender ne les dénoncent pas, ne les condamment pas ?
Pourquoi, lorsque le Professeur Malick Ndiaye, intellectuel éminent a voulu mettre son intelligence au service d’une idéologie pourrie en voulant théoriser son concept nauséabond du « neddo bandouisme » alors que chez nos parents wolof les expressions « nit, nit ay mbokkam, mba nit, nit ay garabam » font légion, renforçant ainsi des milieux linguistes intégristes et rétrogrades, pour masquer sa trahison de Macky Sall en écrivant clandestinement un livre à charge contre lui et se donner bonne conscience quand il a été défenestré de la Présidence de la République par ce dernier, tes amis ne l’ont pas condamné et ne l’ont pas demandé de s’amender comme ils le font avec toi ?
Pourquoi, lorsque le journaliste de talent Babacar Justin Ndiaye que je lis fréquemment a osé faire le parallèle sur l’appartenance ethnique commune entre le président Macky Sall et le Général Sow quand ce dernier a été choisi par le premier comme Chef d’état major des armées du Sénégal, tes amis et ceux qui grondent et glosent sur ton article, ne l’ont pas condamné et demandé de s’amender ? Dans une ces livraisons, où il faisait une exégèse des propos de Amy Collé, Houleye Mané et Penda Ba, il fait appel à l’histoire de l’organisation sociale et institutionnelle de notre pays vantant les mérites de Senghor et de Abdou DIOUF, mais s’abstenant de parler curieusement d’Abdoulaye Wade et de sa gouvernance de 12 ans, comme s’il ne s’était rien passé. Alors que l’émergence du discours politique ethniciste institutionnel au Sénégal corrobore les présidences d’Abdoulaye Wade et sa gouvernance ethno-confrèrique avec tout ce que cela a eu comme conséquence sur l’abaissement du pouvoir politique, l’affaiblissement de l’Etat républicain. Mais apparemment cela n’offusque pas Babacar Justin Ndiaye. Des milieux ethno-linguistiques qui gravitaient autour d’Abdoulaye Wade, ses ministres déchus et ses députés battus lors de l’alternance 2012 alimentèrent en toute impunité ce vocable ethnocentrique, bien que beaucoup d’entre eux dansent déjà du « ndaw rabbin » pour Macky Sall sans qu’aucun procureur ne s’auto-saisisse. Pourquoi ce grand journaliste qui honore son pays par ses écrits et ses analyses ne dénonce-t-il pas les manquements de la gouvernance d’Abdoulaye Wade sur cette question fondamentale qui menace notre pays et sa cohésion sociale jusqu’ici apaisée.
Pourquoi quand Penda Mbow dont tout le monde sait que sa haine contre Abdoulaye Wade est liée à sa défenestration comme ministre de la Culture, lorsqu’elle proclama publiquement que le vote en faveur de Macky Sall était de nature identitaire, ce vocable conceptuel pour ne pas dire tout simplement qu’il était ethnique n’a pas été dénoncée et condamnée par tes amis.
Aujourdhui dans les faveurs de la gouvernance de Macky Sal , elle se souvient de ses origines peules allant jusqu’à leur danser chaque matin du « »wango et du riiti pour plaire à la première dame, quitte à lui rappeler au quotidien son métissage historique seereer et peul.
Pourquoi quand Abdoulaye Wade a tenu des propos désobligeants à l’égard du Fuuta lors de la campagne présidentielle de 2012, allant jusqu’à menacer vertement cet espace géo-humain stratégique pour notre nation en devenir, aucun de tes amis dont nombreux étaient à la source nourricière des Wade, n’a condamné ni cherché à se désolidariser. Ils ont préféré taire leurs principes républicains pour continuer à manger. Or, à notre connaissance un principe républicain ne peut et ne doit être sélectif.
Et pourtant ce même Abdoulaye Wade s’enorgueillissait de ses origines fuutankaises, allant jusqu’à les revendiquer publiquement dans les années 1980 à 2000 en France, cotisant dans les caisses villageoises des ressortissants des villages de « Joomanndu, Tulde Gaale, Siwre et Saare Sukki » du département de Podor, résidents en France, réputés être le berceau des Wade du Sénégal. Les députés Mody Sy et Amadou Ciré Sall sont des témoins vivants de cette période. Celui-là même qui revendiqua son origine futankaise lorsqu’il donna une confidence à l’ancien ressortissant mauritinanien qui dirigeait l’OMVS, que son propre grand père Abdoulaye Wade dont il portait le prénom est mort enterré à Kaëdi, de l’autre côté de la rive du Fleuve Sénégal.
Pourquoi quand ce même Abdoulaye Wade donna le micro à Macky à Matam pour qu’il parle à ses parents pulaar en 2007, cela n’a offusqué personne de tes amis qui t’interpellent aujourd’hui ? Idem quand il a traité Macky et sa famille de « jaam », de « deum » (anthropophages, buveurs de sang). Ils étaient où tes amis qui te tendent la main aujourd’hui ? L’injure de Penda Ba que je ne partagerai jamais, est-elle plus sale que celles-là tenues par des hommes et des femmes d’envergure qui le disent, parce qu’ils se sentent impunis et non atteignables.
Il en est également de Cheikh Anta Diop, le digne fils de notre nation, quand Senghor disait de lui qu’il ne peut pas gouverner le Sénégal parce qu’il n’aimait pas les Toucouleurs, il a répondu frontalement : « comment pourrais-je détester un peuple aussi noble et valeureux d’où je viens, car je tire mes origines familiales de villages du département de Podor ? »
Hamidou comment expliques-tu que ce peuple indexé auquel tout le monde s’ennorgueillit d’appartenir, des politiques aux chefs religieux illustres, aux intellectuels de renom qui font le prestige de notre pays, n’ait jamais recherché une prévalence sur les autres ethnies sénégalaises et soit dans son évolution historique temporelle et spatiale sénégalaise, un objet de méfiance et de haine, voire de discours ethniciste de ceux ou celles qui revendiquent être en partie d’en être issus ?
Ces intellectuels et ces hommes et femmes politiques que tu dénonces, disent-ils tout haut ce que beaucoup de personnes pensent tout bas ? Et parce qu’ils sont impunis dans leurs comportements et dans leurs propos, ils facilitent aujourd’hui les attitudes et injures à caractères ethnicistes qui pullulent dans les réseaux sociaux et beaucoup d’entre eux les défendent, voire les soutiennent.
Vois tu mon cher Hamidou, notre nation a la chance et l’honneur d’avoir des fils et des filles qui l’ont porté et continuent à le porter au firmament des nations et dont les origines transcendent la pluralité des composantes ethniques qui la caractérisent, grâce à des métissages et des assimilations récurrentes valides depuis des temps anciens et dont les migrations sont les supports. Ceux-ci fondent nos personnalités et des identités communes connues ou méconnues par les générations actuelles que nous sommes. Et il y va de l’intérêt de notre pays que les Ndiaye seereer, Ndiaye joolaa, Ndiaye mannding, Ndiaye wolof, Ndiaye pulaar, Ndiaye sooninke, Ndiaye manjak, se retrouvent autour de l’essentiel d’une appartenance commune malgré leurs différences et acceptent qu’entre eux, il ne peut y avoir de prévalence, de prééminence, de supériorité ou d’infériorité. Car personne d’entre eux n’est ni l’original ni la photocopie, et qu’ils sont tous, tout simplement sénégalais, à multi-appartenances identitaires et fiers de l’être.
Comprendre cette boutade, la partager avec les réseaux qui animent toutes les structurations sociales qui sont les nôtres malgré leurs stratifications, facilitera sans aucun doute la disparition d’idées de mauvaise augure et renforcera l’idéal de notre Etat-Nation que nous avons à construire en communautés et ensemble.
Mamadou DEME
Sociologue des migrations et du développement local