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Sénégal : Evaluation Du Code Des Marchés 2014 Et Propositions Pour Optimiser La Commande Publique

Sénégal : Evaluation Du Code Des Marchés 2014 Et Propositions Pour Optimiser La Commande Publique

Les marchés publics sont des contrats administratifs dont la passation est soumise à une procédure particulière. Le terme de marché public recouvre à la fois une catégorie générique de contrats administratifs et la procédure de dévolution de ces contrats.

Au Sénégal, les passations de marchés étaient auparavant réglementées par le Décret n°82-690 du 07 septembre 1982. 32 ans après, le Décret n°2014-1212 du 22 septembre 2014 portant nouveau code des marchés publics (abrogation du Décret n°2011-04 portant code des marchés publics de 2011), était censé procéder à une refonte complète de la commande publique, avec un double objectif : alléger les procédures, et accroitre l’efficacité de l’achat public.

L’élaboration du code des marchés de 2014 découlait d’une logique simple : rassurer les opérateurs économiques nationaux et étrangers, et initier une politique d’achat public dont le maître mot est la transparence.

Le débat portant sur les entorses au code des marchés publics n’est pas nouveau.

Une étude publiée par la revue Politique africaine (n° 83) en octobre 2001, intitulée « Dessus de table, la corruption quotidienne dans la passation des marchés publics locaux au Sénégal », dévoile un véritable système où la corruption est la norme. Cette étude basée sur des données recueillies au cours d’enquêtes de terrain qui se sont déroulées entre 2000 et 2001, dépeint un univers opaque, où les dossiers d’appels d’offres sont tronqués, où la collusion entre décideurs, fonctionnaires véreux et entrepreneurs est la règle, et où la corruption « légale » règne en maître, faisant dire à un Inspecteur Général d’Etat, sous couvert d’anonymat « Les Sénégalais sont très forts en matière de procédures, ils savent comment les respecter tout en les vidant de leur contenu ».

Une enquête menée par le Forum Civil en 2002 conforte cette étude et concluait que 40 % des chefs d’entreprise considéraient la corruption comme un moyen efficace pour gagner les marchés publics au Sénégal.

Dans un registre similaire, un dossier réalisé par le quotidien Wal Fadjiri en décembre 2004 relatif à la passation des marchés publics au Sénégal révélait une impunité généralisée dans les infractions à la réglementation des marchés publics, le non-respect des règles de mise en concurrence, l’entente illicite, le recours abusif aux marchés de gré à gré, l’entorse au principe d’égalité entre les candidats, le début d’exécution des travaux avant la notification du marché au titulaire, etc…..

En 2015, le rapport de l’Autorité de régulation des marchés publics rendu public (résultat d’audits menés par 5 cabinets entre 2013 et 2014) a fini de démontrer que certains acteurs publics sont de véritables prédateurs de deniers publics.

Ces différentes études démontrent si besoin en était, la nécessité d’établir de nouvelles règles reconnues et respectées par tous en matière de commande publique.

Au vu de ce tout ce qui précède, revoir le dispositif lié à la commande publique est une exigence fondamentale pour permettre au contribuable sénégalais d’avoir une plus grande lisibilité quant aux actions de l’Etat et des collectivités locales dans la passation, la gestion et l’exécution de la commande publique.

A l’instar de la France où 4 réformes majeures ont été initiées dans le domaine des marchés publics en 2001(Décret n°2001-210), en 2004 (Décret n°2004-15), en en 2006 (Décret n°2006-975), en 2016 (Décret n°2016-360). Ces réformes ont pour objet de renforcer la transparence et d’assurer l’efficience dans les procédures de contrats publics. La réforme de 2016 a permis la transposition dans le droit national de 3 directives communautaires : Directive 2014/23/UE, Directive 2014/24/UE, Directive 2014/25/UE.

Pour le Sénégal, s’engager dans une démarche similaire permettrait non seulement de définir une politique d’achat claire où les principes majeurs d’égalité de traitement, de libre concurrence, de liberté d’accès à la commande publique, et de transparence seraient valables, mais également de responsabiliser les acteurs en sanctionnant les dérives émanant d’entrepreneurs, d’agents de l’Etat ou des collectivités territoriales, contrevenant à ces règles.

Le présent document a pour objet de suggérer des axes d’amélioration.

1. Simplifier le Code des marchés publics

La rédaction du code des marchés publics doit se traduire par la mise en évidence des objectifs recherchés (mise en concurrence, transparence, efficacité du choix) et des principes fondateurs du droit de la commande publique, préalablement à la description des procédures.

La simplification des textes est une nécessité pour alléger les contraintes administratives qui pèsent sur les fournisseurs. Une présentation plus pédagogique doit être recherchée, afin de rendre le texte plus lisible et plus opérationnel, depuis l’expression des besoins et des critères de choix jusqu’au contrôle de l’exécution du marché. L’objectif de simplification doit aussi viser à supprimer certaines dispositions, qui sous couvert de responsabiliser les autorités contractantes constituent une prime au laxisme.

La simplification des textes et des règles issus du code des marchés public doit aller de pair avec la modernisation des procédures de passation, en particulier par le recours aux nouvelles technologies, facteur d’allégement et d’accélération des échanges.

2. Propositions

Proposition n°1 : Harmoniser la législation nationale avec les normes juridiques régionales

Le code des marchés doit permettre une meilleure articulation entre les règles d’origine nationale et celles d’origine régionale (OHADA « Organisation pour l’harmonisation du Droit des Affaires en Afrique »). L’harmonisation des normes juridiques nationales dans le cadre de l’UEMOA s’inscrit dans un processus de coopération accrue entre les pays africains doit être poursuivie. L’application des règles issues de la Directive N°01/2009/CM/UEMOA portant code transparence dans la gestion des finances publiques de l’UEMOA, révèle de nombreuses insuffisances, notamment s’agissant du volet « réglementation relative aux marchés publics».

Proposition n°2 : Appliquer les principes fixés par le code des marchés publics de 2014

Une procédure de passation de marchés publics se construit autour d’un mode de consultation et de dévolution. La réglementation impose une discipline de comportement respectant l’égalité de traitement des candidats, l’équité des choix et exige une construction formaliste constituée de règles de publicité, de délais, et de conditions d’accès.

Du point de vue formel, des avancées notables ont été notées dans la rédaction du code des marchés de 2014. Toutefois, elles ne sont guère suivies d’effets. Des améliorations pourraient être apportées portant sur les points suivants :

De telles réformes doivent être au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. De même, la prise en compte de la dimension éthique, comme le prévoit la charte de la transparence et d’éthique en matière de marchés publics, adoptée par le Sénégal en 2005 (Décret n°2005-276), pourrait faire l’objet d’une vulgarisation au niveau des acteurs en charge de la passation des marchés publics.

Proposition n°3 : Privilégier l’achat responsable dans la définition des critères de jugement des offres

La soumission des entreprises aux marchés publics implique de leur part une attention toute particulière aux lois, réglementations et conventions collectives en vigueur. A ce titre, l’engagement des entreprises soumissionnaires au titre des exigences sociales pourrait être un des éléments d’appréciation de la pertinence de l’offre.

Le critère social (recrutement de personnes en difficulté, lutte contre le chômage des jeunes), de même que le critère environnemental concourent à accroître les bénéfices sociétaux par la mise en place d’une commande publique responsable. A terme, pour faire le meilleur usage possible des deniers publics, l’achat public devrait combiner 3 critères :

1-les critères permettant d’évaluer le rapport qualité/prix de l’offre,

2-les critères évaluant la performance environnementale,

3-les critères permettant d’évaluer la valeur sociale de l’offre.

A titre d’exemple, le législateur belge a adopté une loi du 27 février 2002 visant à promouvoir une production socialement responsable. Ce texte crée un label que les entreprises peuvent utiliser dans la promotion des produits et qui est octroyé selon des critères qui comprennent le respect des normes définies dans les conventions de base de l’Organisation internationale du travail, l’interdiction du travail forcé, l’interdiction de toute discrimination en matière de travail et de rémunération, l’âge minimum fixé pour le travail des enfants ainsi que l’interdiction des pires formes de travail des enfants.

Proposition n°4 : Définir des critères d’évaluation des offres clairs et objectifs

La notion de pondération des critères doit permettre d’établir une grille et un système de notation afin de pouvoir comparer de manière objective les offres entre elles. Or, les critères établis par la personne publique sont des indicateurs qui permettent, d’une part de décrire et qualifier le besoin à satisfaire, d’autre part de juger de l’adéquation entre l’offre proposée par le candidat et l’attente de l’acheteur. De ce point de vue, le critère est susceptible d’une évaluation qui, théoriquement peut varier de 0% à 100% selon l’application du principe de pondération.

L’évaluation ainsi attribuée reflète la performance de l’entreprise candidate par rapport au critère défini et permet de motiver suffisamment le choix du titulaire. La définition de critères clairs et objectifs limite le référé précontractuel. Le référé précontractuel (recours suspensif) permet aux soumissionnaires évincés dans le cadre d’une consultation, « qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué », de contester la procédure. C’est une garantie de transparence et d’équité pour le prestataire. A ce titre, le délai observé entre la date d’information des candidats non retenus et la date de notification du marché doit être scrupuleusement respecté par les entités publiques.

Proposition n°5 : Alléger le formalisme et supprimer les contraintes pour les entreprises

Une procédure de marché public se construit avec les prestataires. La présentation du dossier de candidature des entreprises pourrait être simplifiée. La procédure de délivrance des documents administratifs doit être allégée en privilégiant, si nécessaire, les attestations sur l’honneur. La possibilité de régulariser les dossiers de candidature (erreurs matérielles) doit être étudiée. La transmission de certains documents obligatoires pourrait être exigée au moment de l’attribution du marché. Les délais de paiement doivent être réduits et respectés pour ne pas pénaliser les entreprises.

Proposition n°6 : Uniformiser les seuils et exercer un contrôle approfondi sur les procédures DRP

Le Code des marchés publics actuel se réfère à plusieurs seuils (cf article 53 du code des marchés publics), en fonction du montant du marché et selon qu’il s’agit d’un marché de travaux, de fournitures et de services ou de prestations intellectuelles.

Pour les marchés de travaux (Etat, Collectivités territoriales et Etablissements publics), le seuil pour un appel d’offres ouvert est fixé 70 millions CFA.

Pour les marchés de fournitures et de services, (Etat, Collectivités territoriales et Etablissements publics), le seuil pour un appel d’offres ouvert est fixé 50 millions CFA.

Pour les marchés de prestations intellectuelles (Etat, Collectivités territoriales et Etablissements publics), le seuil pour un appel d’offres ouvert est fixé à 50 millions CFA.

On dénombre ainsi différents seuils dont la pertinence n’est pas forcément établie. On pourrait abaisser le seuil prévu pour les marchés de travaux (uniformisation avec les marchés de fournitures et services, et de prestations intellectuelles). Parallèlement, il serait judicieux d’exercer un contrôle approfondi des procédures DRP qui permettent à des acteurs de contourner les principes de la commande publique.

Proposition n°7 : Supprimer la disposition figurant dans le code 2014 relative aux offres spontanées

Il s’agit d’une innovation introduite dans le code 2014, dont les motivations sont suspectes. En matière de marchés publics, le principe de base, préalable à tout achat public, concerne la définition du besoin. L’article 5 du code des marchés publics de 2014 précise « qu’avant tout appel à la concurrence, consultation ou négociation, l’autorité contractante est tenue de déterminer aussi exactement que possible la nature et l’étendue des besoins à satisfaire ».

La notion d’offre spontanée (article 81) part du principe que l’autorité contractante peut donner suite à une offre d’un fournisseur, sur initiative de ce dernier, lorsqu’elle « présente un intérêt général manifeste ». En fait, la « notion d’intérêt général manifeste » est floue, incertaine, et ouvre la voie à toutes sortes de dérives (entente illicite en amont, corruption active ou passive, détournement de procédures, etc…). Lors de la rédaction du nouveau code des marchés de 2014, la Banque Mondiale avait adressé une sévère mise en garde au pouvoir en place, liée à la nature de cette « disposition ». Il serait judicieux de supprimer cette disposition qui n’a pas sa place dans le code des marchés publics.

La simplification et le souci de réduire les délais ne doivent pas conduire à détourner l’acte d’achat public de sa vocation initiale. L’article 6 du code des marchés publics est extrêmement clair quant à son libellé « les plans de passation des marchés doivent être transmis à la Direction centrale des marchés publics au plus tard le 1er décembre de l’année budgétaire considérée ; celle-ci vérifie la conformité du document et en assure la publication dans les 03 jours francs suivant la réception. L’acte d’achat n’est pas un acte spontané. Un besoin doit être identifié en amont, et formalisé dans un cahier des charges.

L’idée selon laquelle le code des marchés publics est un frein pour la réalisation de programmes de développement ne repose sur aucun argument convaincant. Cette posture a surtout pour objet de permettre à certains acteurs de se soustraire au jeu de la concurrence, et de pouvoir s’adonner en toute impunité à des pratiques de malversations et de corruption par la technique des retro commissions.

Proposition n°8 : Clarifier la portée du premier alinéa de l’article 48 concernant la sous-traitance

Le premier alinéa de l’article 48 relatif aux conditions de la sous-traitance mérite une clarification pour éviter une collusion entre l’autorité contractante et le prestataire. En effet, l’article 48 du code des marchés portant sur les modalités de la sous-traitance précise « qu’un titulaire de marchés publics de travaux ou d’un marché public de service peut sous-traiter l’exécution de certaines parties du marché jusqu’à concurrence de 40% de son montant, à condition d’avoir « obtenu l’accord préalable de l’autorité contractante». Cette formulation est suffisamment floue pour créer les conditions d’une entente (pratique de rétro commissions). La forme de cet accord n’étant pas définie par le code, il convient de réécrire l’article 48 du code des marchés, d’en définir précisément les modalités ou de supprimer tout simplement ladite mention pour lever toute équivoque.

Proposition n°9 : La dématérialisation des procédures : une exigence des temps modernes

La dématérialisation des procédures est une exigence des temps modernes. Dans l’Union Européenne, les soumissionnaires peuvent retirer le dossier de consultation des entreprises et déposer leur candidature par voie électronique. Un prestataire situé en Pologne, en Espagne ou aux Pays Bas, a la possibilité de consulter un avis d’appel public à la concurrence au JOUE (Journal officiel de l’Union européenne) et soumissionner à un appel d’offres dans n’importe quel pays de l’Union.

S’engager dans une démarche de dématérialisation des procédures d’achats, pourrait permettre au Sénégal de tirer profit des formidables opportunités offertes par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Par exemple, une entreprise domiciliée au Mali, en Côte d’Ivoire ou en Afrique du Sud pourrait soumissionner en ligne.

Proposition n°10 : La formation d’un personnel qualifié dans la passation, la gestion et l’exécution des marchés

La formation des agents de l’Etat et des collectivités territoriales est un enjeu majeur dans la vie d’une Nation. La formation des agents permet de rationaliser l’achat public : uniformisation des process, homogénéisation des pratiques, recours à des marchés transversaux, mutualisation des achats de plusieurs services de l’Etat ou des collectivités territoriales, négociation, réduction des coûts.

Proposition n°11: Promouvoir le Partenariat Public Privé (PPP)

Les contrats passés dans le cadre de la loi Partenariat Public Privé (partenariat entre administrations publiques et des entreprises du secteur privé) participent aussi de cette logique qui consiste à favoriser la satisfaction des besoins des pays émergents ou en voie de développement en termes d’infrastructures ou d’équipements. Ces contrats qui se distinguent en droit français à la fois de la délégation de service public et du marché public, trouvent leur source d’inspiration dans le droit anglais (Private Financial Investment) ; ou le droit canadien (contrats globaux avec transfert d’équipements). Ils figurent en bonne place des contrats mis en place par la Banque Mondiale pour financer des opérations de développement. Les contrats partenariat public-privé permettent d’associer sur une longue durée (20 ou 30 ans) une entreprise privée au financement, à la réalisation ou à la gestion d’un équipement public. Compte tenu des enjeux financiers colossaux, ces partenariats doivent être valorisés.

Proposition n°12 : Instaurer un régime de quota pour les marchés passés « par entente directe »

Les dispositions relatives à l’article 76 du code des marchés publics qui régissent les marchés passés par entente directe sont totalement dévoyées du fait de stratégies de contournement opérées par les autorités contractantes. La prolifération des marchés de gré à gré, dont les montants sont faramineux favorisent les ententes illicites et la corruption à grande échelle. Il est urgent de clarifier la portée de l’article 76 qui constitue un régime dérogatoire. Deux options peuvent être envisagées :

Renforcer les attributions de la Direction centrale des marchés publics, en conférant à son avis (article 76) un caractère contraignant, sous la forme d’un « Avis conforme ; et supprimer du code la possibilité de saisine du Comité de règlement des différends (ARMP) offerte aux autorités contractantes, ainsi que le Pouvoir octroyé au Premier Ministre d’ordonner la poursuite de la procédure, « au motif impérieux d’intérêt général »,

D’autre part, instaurer un régime drastique de quota pour les autorités contractantes, de façon à limiter sensiblement le recours à ce type de procédure.

Proposition n°13 : Recentrer l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) sur sa mission

Autorité administrative indépendante, l’ARMP a entre autres, pour mission de réguler le système de passation de marchés publics et de délégations de service public et de formuler des propositions.

Néanmoins, le fonctionnement de cette structure est loin d’être satisfaisant, surtout s’agissant des décisions rendues par un de ses organes, le Comité de règlement des différends statuant en Commission des litiges, dans le cadre d’une saisine. Dans de nombreux dossiers de marchés publics traités par l’ARMP, les décisions rendues ne prennent en compte ni les avis de la DCMP (fondés en Droit), ni le principe de l’intérêt général (bon usage des deniers publics).

A titre d’exemple, dans une procédure ouverte relative à un marché de fournitures de bureau et de consommables informatiques passé par la Direction de l’Imprimerie nationale en 2016, l’ARMP a rejeté l’offre d’un candidat au motif que son offre « est anormalement basse » ; le candidat n’ayant pas, selon l’instance « justifié la réalité économique du prix de son offre ». Dans les procédures de marchés publics, la notion d’offre anormalement basse est l’une des plus complexes à appréhender par les acheteurs publics. Démontrer qu’une offre est anormalement basse suppose que l’autorité contractante soit en mesure, d’identifier les caractéristiques d’une offre basse, ensuite de demander des justifications au candidat, et dans un troisième temps, d’apprécier la pertinence des éléments de réponse fournis par le candidat au regard desquels: le mode de fabrication des produits, les solutions techniques adoptées, les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour réaliser les prestations, l’originalité de l’offre, etc..

Une offre anormalement basse ne se présume pas et ne se décrète pas à l’emporte-pièce. Elle doit être prouvée et attestée de manière objective.

Dans le cas d’espèce, l’ARMP s’est simplement bornée à « confirmer » l’appréciation de l’autorité contractante, sans procéder à une vérification de fond, lésant un prestataire dont l’offre était moins disante, tout en étant conforme aux prescriptions du cahier des charges. Les pratiques de certaines autorités contractantes, voire de certains administrateurs de crédits ne sont ni conformes à l’intérêt général, ni au bon usage des deniers publics. Il appartient à l’ARMP de rectifier le tir, et d’exercer pleinement sa fonction de veille et de contrôle en toute autonomie.

De 2012 à 2016, la liste interminable de marchés gré à gré passés avec l’approbation de l’ARMP donne le vertige. Les scandales liés aux marchés par entente directe portent sur des centaines de milliards de CFA. Chaque mauvaise dépense équivaut a un impact sur la construction d’écoles, de postes de santé, sur la réalisation d’équipements publics et plus globalement sur le niveau de vie des populations.

Conclusion

Le Sénégal n’est pas confronté à un problème de textes. Le pays dispose de l’une des législations les plus élaborées qui existent dans le monde. Le Décret n°2014-1212 du 22 septembre 2014 portant code des marchés publics fait référence à de nombreuses dispositions :

Directive n°04/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005,

Acte Uniforme du 17 avril 1997 de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA),

Loi organique 2012-23 du 27 décembre 2012,

Loi 65-50 du 19 juillet 1965 portant code des obligations civiles et commerciales modifiée,

Loi 65-51 du 19 juillet 1965 portant code des obligations de l’administration modifiée,

Loi 90-07 du 20 juin 1990 relative à l’organisation et au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la personne publique,

Loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités territoriales,

Décret n°2005-276 du 22 juin 2005 portant charte de transparence et d’éthique en matière de marchés publics…

On pourrait allonger la liste indéfiniment… Ce qui frappe au Sénégal, c’est l’extraordinaire décalage entre les textes et leur application, entre les proclamations d’intention et les actes. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le grand écart. A ce jour, la gouvernance sobre et vertueuse relève de la simple rhétorique. Toutes les lois, tous les dispositifs, tous les textes, aussi élaborés et pertinents soient-ils ne pourront produire des effets si ceux qui sont en charge de les appliquer ne sont pas mus par des principes d’intégrité, de déontologie et par le souci constant de défendre l’Intérêt Général. La sécurité juridique de l’achat public, la transparence des procédures, l’impartialité du choix, la prévention du délit de favoritisme dans l’attribution des marchés ne sauraient se limiter à une simple « écriture de textes ». Le préalable consiste à asseoir une culture de la responsabilité individuelle et collective.

Au Sénégal comme dans beaucoup de pays africains, les contrats publics constituent un moyen pour les décideurs et fonctionnaires véreux, en complicité avec des entrepreneurs (dont la boulimie financière est sans limite) de s’adonner à un véritable pillage des deniers publics, le tout dans une « apparente légalité ». De telles pratiques prédatrices hypothèquent le développement du pays et compromettent durablement l’avenir de millions de citoyens. Elles sont assimilables à de véritables crimes financiers et doivent faire l’objet de sanctions pénales appropriées, avec une tolérance Zéro pour ces nouveaux « prédateurs » des temps modernes.

Le présent document ne prétend pas épuiser le champ des possibles. Mais, dans un contexte où la bonne gouvernance est érigée en principe majeur, et demeure un leitmotiv des autorités publiques, assainir l’univers de la commande publique est on ne plus urgent.

 

Seybani SOUGOU

E-mail : sougouparis@yahoo.fr

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