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« un Journaliste Ne Devrait Pas Faire ça »

« un Journaliste Ne Devrait Pas Faire ça »

« Moussa, Kaay ! ». Encore une de ces convocations sans suite me disais-je, un autre de ces rituels de moquerie auxquelles ma sœur m’habituait sans jamais se lasser du dédain d’un dos tourné dès les premiers mots de la mauvaise blague. Je n’avais pas à déplorer son manque d’humour. Cette fois elle m’avait cueilli à froid en cette chaleur nocturne :

-« Dis ! Vous-là, les journalistes, on vous paie quand vous vous déplacez dans un endroit ? »

– « Quoi ? «

– « Est-ce qu’on vous paie pour couvrir une manifestation (en traduction de son vocabulaire profane) ? »

– « Euuh non, ce sont les organes qui déplacent leurs journalistes en voiture ou leur donnent les moyens. »

J’avais déjà vu venir. En réalité ce soudain questionnement sur une attitude en vogue, dans une profession qu’elle ne supportait d’ailleurs pas, était née d’une journée de discussions entre ses collègues, agents de l’état laissés à leur sort depuis des années qui n’avaient plus que la voie des médias et la solution des brancards comme moyen de se faire entendre. Ils voulaient organiser un sit-in et faisaient face à l’équation du budget à mettre à disposition des journalistes qui viendraient couvrir leur manifestation et ne rechigneraient pas à le faire à la future étape de leur combat (dans leur entendement).

« Chacun cotisera 1.000frs !»

C’était ce qu’ils avaient finalement convenu pour boucler le budget du « transport », le fameux « per diem », autres de ces rétributions aux interprétations multi-formes censés légitimer, ce billet froissé glissé dans la main en toute discrétion ou dans la plus « réglementaire » des situations remis après vérification du poids de l’organe.

La pratique est devenue institutionnelle, l’acte « naturel » avec le temps même si camouflé pour la plupart (Pourquoi d’ailleurs…). Plus risible est d’ailleurs le dédain sensible envers des « Point Com », qui courraient les rendez-vous sans invitation, mais à leur décharge, ne font ni plus ni moins que leurs collègues les regardant tels des malpropres.

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Entre chargée de com’ et son enveloppe se retirant suivie par une horde de journalistes, jeunes et vieux et la file d’attente d’un enregistrement d’identité et d’un décaissement, dignes d’une scène s’opérant au sein d’une agence comptable, le scénario se répète d’évènement en évènement, en coulisses des conférences de presse, sit-in et rencontres des « agenda-setters » version tropicale qui envahissent et font l’actualité plus que l’actualité n’était faite par les médias. D’ailleurs le sens des priorités entre elles et les véritables questions cruciales palpables sur autre terrain qu’un luxueux hôtel m’échappe encore.

« Le journalisme de compte-rendus n’en est pas un, tout le monde peut le faire. » disait un formateur, le même qui interdisait fermement qu’un journaliste reçoive de l’argent de la part d’un interlocuteur ou organisateur, fut-il un de ces jeunes Reporters qu’on exploite couramment dans les rédactions sénégalaises, démuni et en perpétuel calcul de sa subsistance. Il était de cette même école où on contait encore cette anecdote lointaine d’une promotion ayant failli être virée pour avoir acceptée de recevoir des cadeaux en marge d’une interview. Quelle fable !

« On paie pour être visible boy » me disait un ami conseiller en communication d’une entreprise (ayant déserté le métier à la première occasion), « tu fais le dur, épris d’éthique, tout comme moi à mes débuts, mais un jour ou l’autre ce 10.000frs, tu le prendras ! ».

Je n’en avais presque cure d’éthique sur cette question, elle ne datait pas de mon entrée dans une école où l’on apprendrait, appris-je plus tard, « que de la théorie » selon des aînés.

Non, cet aspect pécuniaire de la relation entre certains hommes de presse et personnages (surtout politiques) ou organismes, je l’avais senti avec effarement à mon premier contact avec le journalisme juste après l’annonce de mon admission au concours du CESTI, où entre stages dans différentes ONG et confidences de quelques personnalités bien au fait des réalités médiatiques, le dégoût me gagnait peu à peu avant de découvrir plus tard la face hideuse d’une infantilisation que nul concerné ne suspecte ni dénonce et un irrespect grandissant envers une profession que les acteurs semblent, quant à eux, ne point soupçonner :

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– « Les Journalistes, c’est incroyable, tu convoques un point de presse et tu en reçois des dizaines qui n’attendent que la fin pour t’exiger le transport, figure-toi qu’au lancement de mon livre ils ont envoyé une des leurs venue sans gêne me réclamer « leur dû ».

– « Les journalistes, ils ont faim et il faut les avoir de ton côté. Moi, ce que je fais c’est que chaque mois j’en invite quelques uns à l’hôtel et leuir paie à manger. Comme ça ils te seront à coup sûr redevables. »

– « Figure-toi Moussa qu’on est dans un pays où personne ne travaille, même les journalistes là pour faire leur travail ils te demandent de l’argent ? C’est pour ça que je me suis dit que je ne ferai plus rien que ce que j’ai à faire, c’est leur affaire s’ils s’intéressent à nos activités. »

– « Tu peux me construire cette base de données des journalistes, c’est eux qu’on contactera à notre prochain évènement, ils n’hésiteront pas à venir puisqu’ils savent qu’il y aura de l’argent ».

– « T’as suivi mon interview de tout à l’heure ? C’était avec … J’ai voulu lui donner un petit 5.000 pour le taxi, Tu sais, les journalistes là sont friands de ça, parait qu’ils n’ont pas de sous pour se déplacer ».

Mais celui-ci (grave erreur serait de généraliser) avait heureusement refusé. Sa réputation de grand journaliste respecté qu’il a à l’heure actuelle en aurait d’ailleurs été plus que ternie par celui qui à grands renforts de sourires au moment de le raccompagner ne le voyait pourtant pas mieux qu’un pauvre porteur de micros manipulable.

Et il me rappelait d’ailleurs le sourire (de ceux qui veulent coûte que coûte apparaître à l’écran) de cet homme politique me mettant en rapport avec son vigile à la fin d’une interview, tel un Roi faisant gratifier son serviteur par son valet:

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« Je suis vraiment content […]. Euh … ! Donne-lui 10.000 pour le transport !»

Pffff !

« Je quitte le journalisme ! ». C’était la seule possible, la même réponse sur laquelle je m’étais accordé avec un camarade effondré depuis qu’un enfant assistant avec ébahissement à une scène de remise de « thiomp » en marge d’une manifestation lui avait posé une naïve question pleine de sens: « Kone journalistes yii dagn lén di fey » ?

Pire que ça. Une « corruption passive » qu’on blâmait dans toutes les morales journalistiques du monde mais qu’on minimisait, d’ailleurs les railleries, illustratives de conceptions opposées, étaient garanties pour les petits révolutionnaires empreints d’angélisme écolier osant appliquer leur leçon: « 5.000frs ou 10.000frs ce n’est rien du tout comparé à ce que ceux qui te disent de faire preuve d’éthique et déontologie prennent en dessous des tables ».

Du pareil au même. Si en réalité on pouvait cautionner que les subalternes aient droit à un transport autre que celui de leurs employeurs (« c’est ton argent ! »), il n’y aurait pas plus de mal à ce que leurs supérieurs hiérarchiques bénéficient de moyen de transport en tant que tel parmi les largesses « légitimées » qu’ils pourraient recevoir.

S’il faut que des médiateurs de l’espace public « rackettent » leur monde encore moins ont-ils la légitimité pour relayer les plaintes de ceux qui s’attendent à les voir dénoncer d’autres travailleurs s’enrichisant indûment dans l’exercice « relatif » de leur métier.

Bizarre de voir une corporation accusée d’avoir « trahi », brocardée parfois par des « bienfaiteurs », dans leurs courts moments de mécontentement, d’ailleurs fabrications des médias et louchement « intouchables ».

Je dis ça, je dis rien, je ne suis qu’un apprenti.

 

MOUSSA NGOM

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