L’économie sénégalaise va subir de grands bouleversements dans moins d’une décennie, avec les découvertes de pétrole et de gaz. De multiples opportunités vont se présenter dans l’offre de formation, et des métiers jusqu’ici inconnus chez nous vont apparaître et sous plusieurs occurrences. Il existe plus de 500 métiers liés au pétrole et au gaz et à leurs produits dérivés. En conséquence, de nouvelles filières de formation vont naître pour accompagner tous ces métiers dédiés. Naturellement, nous ne devons pas accepter l’exportation de la totalité de notre production de pétrole et de gaz. Le Sénégal doit saisir les multiples possibilités de création de valeurs, par l’investissement dans des unités industrielles à forte valeur ajoutée. C’est la raison pour laquelle, dans une optique prospective, notre pays doit s’atteler à organiser les assises d’une économie nouvelle. Lesdites assises devront permettre de réfléchir sur les offres de formation et de recherche à mettre en place et les nouveaux métiers à prévoir. C’est dire que le secteur privé national doit être à l’avant-garde de ces réflexions. Nous devons nous mettre en incubation pour réfléchir sur les jalons à poser et qui seront les piliers d’une économie nouvelle et d’un nouveau départ.
La formation et la recherche
L’incubation dont il s’agit concerne particulièrement la formation et la recherche. Les acteurs du secteur : les universitaires, du public comme du privé, les responsables des business schools, les ministères concernés et le patronat doivent se retrouver pour réfléchir sur les curricula à mettre en place. Nous ne devons pas attendre que les premiers barils se présentent pour nous demander ce qu’il faut en faire ; c’est maintenant qu’il faut repenser notre système de formation technique et professionnelle. Le réaménagement des curricula, pour les réadapter, s’impose. La Faculté des sciences, l’Ecole supérieure polytechnique, l’Ecole polytechnique de Thiès, les Isep, les lycées techniques sont tous concernés. Ces institutions scolaires et universitaires doivent se mettre à niveau face à un nouveau paradigme qui risque de bouleverser tant de certitudes. Les filières dans le secteur du pétrole et du gaz sont nombreuses, elles vont au-delà de l’enseignement technique. Les sciences juridiques, les sciences de gestion et les sciences économiques sont concernées.
Aujourd’hui, les cohortes de bacheliers doivent être orientées, pour la plupart, dans les nouvelles filières à mettre en place et qui touchent le secteur pétrolier et gazier. Il est vrai que l’Etat projette de créer un institut de formation aux métiers liés au pétrole et au gaz, et que des business schools proposent déjà des filières de formation liées au pétrole. Cependant, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. La formation et la recherche dans ce secteur demandent de gros investissements. La création d’une multitude de laboratoires de chimie et/ou de pétrochimie doit être une des priorités.
La gestion du stockage des produits pétroliers et gaziers est un domaine très sensible, comme du reste la logistique liée à ce secteur. C’est dire qu’il faut nécessairement organiser des réflexions inclusives et au niveau national pour anticiper sur les décisions à prendre.
Quand on parle de pétrole et de gaz, on ne peut pas occulter les questions liées à l’environnement. L’exploitation du pétrole et du gaz peut impacter les environnements off-shore et on-shore. Le Sénégal est un pays de pêche et les découvertes de pétrole et de gaz se situent effectivement dans les zones où la principale activité des populations est justement la pêche. Les pouvoirs publics doivent tout faire pour préserver nos ressources halieutiques et veiller sur l’intégrité de notre environnement. C’est à ce prix que l’expression développement durable trouvera tout son sens. Lorsque les questions environnementales sont abordées, l’on ne peut ignorer l’aménagement du territoire ; autrement dit «l’action et la pratique de disposer avec ordre, à travers l’espace, d’un pays et dans une vision prospective, les hommes et leurs activités, les équipements et les moyens de communication qu’ils peuvent utiliser, en prenant en compte les contraintes naturelles, humaines et économiques, voire stratégiques».
Dans le cadre du Pse (Plan Sénégal émergent), il est prévu la création de pôles économiques, à l’image de celui de Diamniadio. Il est défini comme un groupement d’acteurs (collectivités locales, entreprises, acteurs de la recherche/formation), ancrés sur un territoire, qui visent à développer ensemble des projets économiques innovants par une stratégie de coopération et de mutualisation. Un pôle économique se rapproche d’ailleurs d’un cluster qui est la concentration géographique d’entreprises interdépendantes qui fournissent des biens et services dans des domaines d’activités proches ; les firmes, livrant le produit final, coopèrent avec les universités, et leurs concurrentes.
Les pôles économiques sont des instruments de création de richesses dans un territoire déterminé et délimité et permettent de fixer les populations dans leur terroir par la création d’emplois ou d’activités génératrices de revenus. L’Acte 3 de la décentralisation a certainement pris en compte l’importance des pôles territoires.
Les métiers liés au pétrole et au gaz
L’incubation doit mener vers l’éclosion d’idées nouvelles qui permettront d’asseoir les prémisses d’une nouvelle économie.
L’espoir est permis, à condition de savoir saisir les opportunités qui se présentent, au lieu de les laisser nous passer sous le nez et de nous échapper.
En effet, plus de cinq cents (500) métiers liés au pétrole et/ou à ses produits dérivés sont recensés.
Rappelons quelques produits dérivés du pétrole que nous utilisons quotidiennement, sans nous poser des questions sur leurs origines. La pétrochimie a permis de produire par exemple du nylon, du polyester, des détergents, du caoutchouc, des adhésifs, des matières plastiques, des solvants, des cosmétiques, etc.
Il est par ailleurs démontré que 59% du pétrole mondial sont consommés par le secteur des transports (fret routier, véhicules, navires, avions).
Les Gpl ou Gaz de pétrole liquéfié (butane, propane), issus du raffinage du pétrole ou du traitement du gaz naturel, sont utilisés en bouteille pour la cuisson des aliments ou le chauffage domestique. Le secteur de la construction routière utilise 90% de la production mondiale de bitume, produit issu des pétroles lourds. Dans le secteur de l’agriculture et de la pêche, de nombreux engrais et pesticides proviennent des transformations pétrochimiques. Le rouge à lèvres, le chewing-gum et certaines assiettes et vaisselles sont des produits dérivés du pétrole.
Aujourd’hui, plus de 6 000 produits sont fabriqués entièrement ou en partie à partir du pétrole.
Ce rappel des possibilités qu’on peut tirer du pétrole et du gaz est nécessaire pour montrer toutes les opportunités qui se présenteront aux investisseurs.
Puisqu’il est question ici d’activités nouvelles, il serait souhaitable que des missions de benchmarking soient effectuées à travers le monde. Il est une technique de marketing ou de gestion de la qualité qui consiste à étudier et analyser les techniques de gestion, les modes d’organisation d’autres entités (entreprise, organisme, Etat, etc.) afin de s’en inspirer et d’en tirer le meilleur profit.
Ceci étant dit, le secteur privé national doit prendre ses responsabilités. Les hommes d’entreprises sénégalais ne peuvent certainement pas investir dans l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz, compte tenu de la limitation de leurs capacités financières. Néanmoins, des opportunités inestimables se présentent avec les produits dérivés du pétrole. Il est possible d’investir dans des unités industrielles légères, créatrices de valeurs ajoutées et d’emplois, pour la production de différents produits destinés à la consommation locale d’une part, et à l’exportation d’autre part.
Le Sénégal sera une destination attractive pour les Ide (Investissements directs étrangers), mais par la même occasion, les investisseurs nationaux devront rechercher des partenariats en joint-venture et profiter de futurs transferts de technologies. Cependant, il faut un accompagnement des institutions financières comme la Bnde (Banque nationale de développement économique) et le Fongip (Fonds de garantie des investissements prioritaires). D’ailleurs, les pouvoirs publics doivent réfléchir sur la transformation du Fongip en Banque de financement des Pme pour plus d’efficacité.
Si le Sénégal parvient à gérer avec intelligence, efficacité et efficience cette manne de pétrole et de gaz, le Pib pourrait atteindre les deux chiffres à l’horizon 2025.
L’installation d’unités industrielles adaptées, avec la maîtrise des chaînes de valeurs de ces nouvelles industries, aidera certainement à résorber le chômage endémique que nous connaissons présentement et nous permettra d’utiliser la force et l’intelligence de notre jeunesse.
Au demeurant, l’économie ne peut prospérer que dans un contexte socio-économique apaisé. C’est la raison pour laquelle, comme nous l’avons toujours souhaité, il faut dialoguer pour trouver un consensus. Si nous parvenons à créer les conditions d’un climat politique et social serein, l’émergence dont le deadline est fixé à 2035 pourrait être une réalité en 2030, soit avec cinq (5) ans d’avance, c’est possible.
Comme nous le voyons, les perspectives sont prometteuses. Il y a vraiment de l’espoir.
Antisèche, pour mémoire
Du pétrole et du gaz ont été découverts en quantités suffisantes qui permettront à notre pays d’être éligible dans le club des pays producteurs de pétrole, tel que l’Opep.
Nous devons faire preuve d’anticipation dans la gestion et l’exploitation de ces richesses.
Cependant, nous devons organiser des réflexions, des assises, sous forme d’incubation. Les idées qui jailliront de ces réflexions nous permettront de savoir comment réorienter notre système d’enseignement technique, disons notre système d’enseignement tout court, compte tenu des opportunités qui vont se présenter.
Notre économie sera boostée, c’est certain, par la création de richesses issues des chaînes de valeurs, des nouvelles industries à mettre en place.
Tout cela doit nous permettre d’envisager le futur avec sérénité et espérance, compte tenu des perspectives qui se profilent à l’horizon.
Serigne Ousmane BEYE
beyeouse@ucad.sn