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Les Réserves De Gaz Naturel Et De Pétrole Découvertes Au Sénégal : Une Opportunité Unique De Développer Le Pays En L’espace D’une Génération

Les premières réserves de gaz naturel qui viennent d’être découvertes au large des côtes du Sénégal (plus de 700 milliards de mètres cubes) sont suffisamment importantes pour envisager, à moyen terme, de développer une véritable activité industrielle profitable à l’ensemble des populations sénégalaises. A cet égard, l’arrivée prochaine du gaz naturel va entraîner une révolution industrielle beaucoup plus importante que l’introduction de l’électricité au Sénégal, car ayant un impact direct à la fois sur les ressources naturelles, l’environnement, l’économie et le bien-être des populations. D’où l’urgence d’une large concertation, appelée par le président de la République, sur l’exploitation des ressources gazières et pétrolières, conformément à la Constitution du 5 avril 2016. L’Association sénégalaise pour le développement de l’énergie en Afrique (Asdea), cercle de réflexion stratégique sur les problèmes d’énergie en Afrique et qui regroupe des experts de haut niveau, vient de tenir, du 4 au 5 mai 2018, à Dakar, son 13ème Salon international de l’énergie et du pétrole en Afrique. Dans ses conclusions, elle souscrit à cette démarche du chef de l’Etat.

En effet, l’article 25-1 de notre Constitution dispose que : « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables ».

Pour cela, toutes les mesures d’accompagnement doivent être prises sans délai et surtout mises en œuvre dans les trois ans qui séparent de la date d’exploitation effective des réserves de gaz naturel.

Comme gouverner, c’est prévoir, il y a lieu d’anticiper trois mesures :

– Elaborer un cadre institutionnel rénové du secteur à travers la révision en cours du Code pétrolier dont la dénomination pourrait devenir « Code des hydrocarbures » et qui sera soumis prochainement à l’Assemblée nationale. Ce nouveau code devra intégrer le modèle type de contrat de partage de production des ressources d’hydrocarbures et de fiscalité applicable à la fois au secteur pour, d’une part, éviter toute suspicion entre acteurs et, d’autre part, donner des gages incontestables de transparence et de bonne gouvernance des ressources et des revenus. Ce sera donc la loi qui définira les conditions contractuelles ainsi que le régime fiscal et non les acteurs en présence.

– Organiser un marché national de l’industrie du gaz naturel, pendant qu’il est encore temps, en toute sérénité et sans l’influence de groupes d’intérêt. Cela, conformément à ce qui se fait de mieux dans les économies des pays développés. L’objectif serait de favoriser la création de plusieurs entreprises et donc, de nombreux emplois durables liés au développement du secteur. Dans la foulée, l’outil industriel pourra être modernisé.

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– Développer une offre multiple de formation des ressources humaines pour toutes les catégories de jeunes, qu’ils soient diplômés ou non, et de création de milliers d’emplois modernes.

Puisque les réserves de gaz naturel seraient sur le point d’être exploitées, précisément à partir de 2021, le Sénégal, en particulier le secteur privé, doit se positionner sans délai pour offrir toutes les opportunités aux opérateurs dans le but de capter les avantages du « contenu local » qui sera inscrit dans les contrats de partage de production. L’Etat, les institutions, les organisations patronales, le privé national, les hommes et les femmes d’entreprise doivent se tenir prêts à faire face aux besoins et aux défis d’un pays producteur de produits pétroliers pour accompagner les opérateurs et les investisseurs. Dans ce sens, la concertation prônée par le président de la République pourrait ajouter certains points essentiels à son ordre du jour, à savoir :

Mise en place et application d’un cadre juridique :

Le nouveau Code pétrolier devra être le fruit d’une large concertation entre tous les segments de la vie socio-économique, avant d’être présenté à la représentation nationale pour le vote d’une loi au cours de la présente législature. Ce sera un cadre législatif qui garantirait la transparence et la bonne gouvernance. Il définira les conditions claires, stables et durables de partenariat dans un modèle type de contrat de partage de production et de fiscalité entre l’Etat, les opérateurs et la compagnie nationale Pétrosen. Ce code devra aussi permettre d’appliquer une fiscalité souple et adaptée au secteur, de nature à mettre les investisseurs et les opérateurs à l’abri de toute incertitude.

Mesures de contrôle de l’exploitation et des revenus des ressources pétrolières et gazières :

Le Sénégal doit surveiller les mouvements des navires qui viennent s’approvisionner en pétrole et en gaz en mettant sur pied une flottille où des unités mixtes de la Marine nationale et de la Douane vont embarquer. Ces dernières seront chargées d’établir les statistiques relatives à l’identité de l’embarcation, au tonnage, à la date et aux heures d’entrée et de sorties, ainsi qu’au lieu où sont localisés ces mouvements. Le Sénégal doit contrôler en temps réel les volumes des enlèvements effectifs de pétrole et de gaz et les comparer aux déclarations des opérateurs.

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Il doit également faire des rapprochements entre les prix annoncés par les opérateurs et ceux du marché international en temps réel et mettre sur pied une cellule de suivi des cotations en temps réel des prix des produits pétroliers sur les marchés internationaux. Il faut, en outre, que le Sénégal crée une cellule spécifique dédiée à la comptabilité et à la fiscalité des hydrocarbures pour traiter toutes les déclarations fiscales sur les opérations pétrolières et gazières.

Traçabilité des revenus tirés de la rente pétrolière et gazière :

Le Sénégal doit faire domicilier auprès d’un organisme distinct tous les revenus de la rente pétrolière et gazière afin d’en assurer la traçabilité. Cet organisme devra publier, tous les ans, les revenus et les dépenses mouvementés dans ses livres. Pour tenir compte de l’instabilité des prix des produits pétroliers et gaziers, un prix moyen sera calculé tous les trois mois à partir des données du marché international et les excédents feront l’objet d’épargne pour les générations futures ou serviront à compenser les chutes importantes des prix pour limiter leur impact sur les dépenses prévues dans le budget de l’Etat.

Programme de formation technique et professionnelle :

Le Sénégal doit, sans tarder, sélectionner des ingénieurs sénégalais membres ou non de l’Administration devant faire partie des équipes de l’opérateur chargées de la prospection et de l’interprétation des données sismiques, mais surtout les équipes embarquées dans les navires de l’opérateur à qui il revient de mettre en place, dans les fonds marins, les dispositifs d’extraction et de collecte du pétrole et du gaz offshore. Ce transfert de savoir-faire est vital pour l’avenir du secteur des hydrocarbures au Sénégal.

De même, il devra sélectionner des cadres et des gestionnaires sénégalais à envoyer au siège social des opérateurs pour une formation par compagnonnage. Tout ce programme de formation est à charge de l’opérateur qui se fera rembourser sur la part de l’Etat dans les revenus de début d’exploitation.

Le Sénégal devra aussi publier un catalogue des métiers du gaz, des formations y afférentes et des débouchés offerts afin d’accompagner les jeunes dans leur orientation professionnelle vers les opportunités d’emplois dans le secteur. A cet égard, le marché de l’emploi sera organisé à travers les antennes des Inspections régionales du travail modernisées avec des services en ligne capables d’accueillir en temps réel les demandes et les offres d’emplois.

Financement des infrastructures :

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Le Sénégal doit faire financer ses infrastructures et la formation de ses cadres par les opérateurs sur les revenus partagés au moment de l’exploitation et que les opérateurs se feront rembourser sur la part revenant à l’Etat. Ce sera le même mode de financement qui sera utilisé pour équiper le pays de centrales à gaz pour la production d’électricité, la réalisation de réseaux de gazoducs et surpresseurs pour le stockage, le transport et la distribution des produits pétroliers destinés à alimenter les industries et les ménages en gaz et en produits pétroliers.

Création d’un marché national du gaz naturel :

Il s’agit, pour le Sénégal, de créer et de structurer un marché intérieur du gaz naturel ouvert et compétitif avec les composantes suivantes :

• Une production indépendante libre

• Une distribution assurée par un acheteur unique, gestionnaire du réseau de canalisations de gaz et contrôlé par l’Etat

• Des fournisseurs privés pour la commercialisation des produits aux usagers domestiques, professionnels et industriels.

• Comme l’eau et l’électricité, le gaz naturel serait distribué, à travers un réseau de canalisations enterrées, aux ménages, aux entreprises et aux collectivités pour la cuisson (65% de l’énergie finale consommée au Sénégal) et la climatisation.

En effet, 65% de l’énergie finale consommée au Sénégal provient du bois et du charbon de bois essentiellement utilisés dans la cuisson par les ménages, soit plus que toute l’énergie consommée pour produire l’électricité et la consommation des véhicules automobiles. Conséquence : une déforestation en constante progression, une avancée de la désertification et une augmentation des terres impropres à la culture. Le tout combiné avec les effets négatifs du changement climatique sur l’environnement, l’économie agricole et la biodiversité.

De plus, les importations de produits pétroliers pèsent lourdement sur la balance commerciale et constituent une source de préoccupation pour la stabilité des prix et tarifs appliqués dans les secteurs essentiels de l’économie moderne du Sénégal.

Enfin, le règlement du problème de l’emploi au Sénégal nécessite une modernisation vigoureuse et à grande échelle de l’activité économique soutenue par une véritable diversification et à grande échelle de la formation professionnelle. La distribution du gaz naturel dans les ménages, l’énergie non renouvelable la plus propre, pour la cuisson essentiellement, transformerait radicalement la vie dans nos foyers, moderniserait l’habitat et créerait de nouveaux métiers durables et modernes.

Elhadj Ibrahima NDAO

Docteur-Ingénieur

Ancien Directeur général de Senelec

Vice-président de l’Association sénégalaise pour le

développement de l’énergie en Afrique (Asdea)

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