Le projet de loi de finances pour l’année 2018, adopté lors du dernier conseil des ministres, est arrêté à 3 709,1 milliards de FCFA. Le premier grand poste de dépense du budget est, sans conteste, celui des dépenses de personnel communément appelé masse salariale (860,4 milliards de francs CFA exactement au lieu des 633 milliards de FCFA annoncés dans la presse) suivi des dépenses de fonctionnement hors personnel (785,5 milliards de FCFA) et du service de la dette, c’est-à-dire le remboursement des sommes empruntées en plus des intérêts (633 milliards de FCFA).
Ce montant des dépenses de personnel a vite suscité des polémiques qui ont débouché sur la mise à l’index les « fonctionnaires » désignés par la vindicte populaire, injustement, comme des « bons à rien », des « paresseux », des « privilégiés » qui représentent moins de 1% de la population et qui « grugent » une bonne partie du budget national. Avant d’apporter des éléments de clarification qui vont dans le sens de la déconstruction de cette fausse représentation mentale qu’ont les sénégalais de leurs « fonctionnaires », il me paraît important de revenir sur les micmacs opérés par le gouvernement autour des dépenses de personnel dans le budget 2018 pour camoufler son non-respect des règles communautaires (UEMOA).
Le Sénégal dépasse la norme fixée par le pacte de convergence de l’UEMOA
Contrairement à ce qui est écrit ici et là, le montant total des dépenses de personnel prévues dans le budget 2018 s’établit à 860,4 milliards de francs CFA au lieu des 633 milliards de FCFA annoncés. Pour rappel, le pacte de convergence de l’UEMOA impose aux États membres un ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales inférieur à 35%. C’est un des critères de convergence pour avoir des budgets sains dans l’espace UEMOA. Pour donner l’impression que le Sénégal respecte ce critère de convergence, le gouvernement a opéré des micmacs en n’inscrivant dans le Titre II du projet de loi de finances (Dispositions relatives à l’équilibre des ressources et des charges) que 633 milliards de francs pour les dépenses de personnel et 227,3 autres milliards de FCFA destinés à des salaires, des émoluments, des indemnités et des traitements divers sont inscrits hors du Titre II. Autrement dit, le gouvernement a pratiqué une politique de dissimulation en ventilant, dans différentes parties du budget autres que le Titre II, des sommes prévues pour prendre en charge des dépenses de personnel.
Au total, les dépenses de personnel du budget 2018 s’élèvent exactement à 860,4 milliards de francs CFA (633 + 227,3). Avec des recettes fiscales prévues de 2211 milliards de francs CFA en 2018, les dépenses de personnel représentent près de 39% de ce montant, soit 4% au-delà du critère de convergence de l’UEMOA. Ainsi, le gouvernement de Macky Sall vient de battre un sinistre record qu’il se garde de dire et qu’il essaie de camoufler à travers une gymnastique budgétaire.
Consacrer plus de 860 milliards à des dépenses de personnel (sur un budget de 3709 milliards de francs CFA) au profit de 1% de la population sénégalaise peut paraître choquant dans un pays pauvre comme le Sénégal en plus de limiter les possibilités d’investissements ou de transferts sociaux au bénéfice de la population toute entière. Mais à y regarder de plus près, on peut constater que cette manne profite beaucoup plus aux clientèles politiques recrutées dans la fonction publique. Une analyse fine permet aussi de savoir que cette situation d’anormalité est la conséquence directe de la politique du gouvernement en matière de création d’agences de toute sorte.
Les fonctionnaires des boucs émissaires commodes
Par abus de langage et de façon générique, on a souvent tendance à considérer tous les agents de la fonction publique comme des fonctionnaires. Dans la réalité, les fonctionnaires constituent un groupe juridiquement distinct au sein des agents de la fonction publique. En effet, les fonctionnaires sont des agents nommés dans un emploi permanent et titularisés dans un grade de la hiérarchie des corps de l’administration. Ils sortent généralement des différentes écoles nationales de formation (après y être entrés par voie de concours). Ce sont, donc, des personnes méritantes qui ont reçu une formation appropriée, tant du point de vue technique que déontologique, pour accomplir leurs charges dans les règles de l’art. Il est bien établi que les fonctionnaires sénégalais jouissent d’une grande crédibilité professionnelle. Ils sont très prisés et respectés au plan international ce qui leur permet de mener des trajectoires professionnelles très brillantes en dehors du pays. Malheureusement, les traitements (salaires) et avantages qu’ils reçoivent sont définis de façon statutaire et décidés arbitrairement par l’Autorité sans tenir compte de leurs compétences réelles ainsi que de leurs contributions. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’ils sont sous payés et ne bénéficient pas d’un plan de carrière. Plusieurs études l’ont démontré et l’ont maintes fois rappelé.
Quant aux agents de la fonction publique non-fonctionnaires, ils sont plus nombreux et se trouvent à tous les échelons de l’Administration. Beaucoup parmi eux proviennent de la clientèle politique des partis et personnalités au pouvoir. Ce n’est pas une chose nouvelle. Par contre, ce qui est nouveau, depuis Abdoulaye Wade, c’est l’ampleur des recrutements clientélistes dans la fonction publique avec des contrats spéciaux. Ce phénomène s’est accéléré avec l’arrivée de Macky Sall. Ainsi, on retrouve au sein des agents de la fonction publique, d’un côté, des fonctionnaires bien formés et soumis à un statut qui ne leur permet pas de gagner à la hauteur de leurs compétences et, d’un autre côté, de nombreux agents non fonctionnaires dont certains sont titulaires de contrats spéciaux payés à coups de millions de francs CFA. C’est cette dernière catégorie qui grève les ressources consacrées aux dépenses de personnel. Aujourd’hui, il est courant de voir des personnes que certaines autorités politiques ont fait venir de la France, du Canada ou des États-Unis, par exemple, certes bardées de diplômes, mais sans aucune expérience professionnelle significative qu’on nomme Directeurs, Responsables de quelque chose, etc. avec des salaires à coups de millions. D’autres sont recasés, tout simplement, dans les représentations diplomatiques du Sénégal à l’étranger. La plupart du temps, c’est leur premier emploi permanent et sont des parents des autorités en place ou des militants du parti au pouvoir. C’est eux qui coûtent chers et leur valeur ajoutée reste à démontrer.
La politique de création des agences : une des causes
La politique de création d’agences développée par Abdoulaye Wade et toujours entretenue par Macky Sall, en dépit de ses engagements de démantèlement, explique également le poids important des dépenses de personnel dans le budget. On assiste, depuis plusieurs années, à un délestage systématique des Directions nationales de l’Administration centrale de certaines de leurs compétences techniques au profit d’agences crées de toute pièce. L’autonomie de gestion dont bénéficie ces agences fait qu’elles constituent un instrument plus souple de recasement de la clientèle politique avec des salaires faramineux (l’embauche est immédiate, et il n’y a pas de concours d’entrée ni de formation qui peut durer 2 à 3 ans).
Ibrahima Sadikh NDour
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