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Peut-on Vraiment Parler D‘un Tourisme Sénégalais ?

Au Sénégal, le tourisme est-il un pis-aller esthétique ou le résultat d’une vision politique ? La pertinence de cette interrogation se justifie non seulement par les profils hétéroclites qui se succèdent dans ce département stratégique mais aussi par l’improvisation qui caractérise les orientations encadrant ce secteur.

En fait, la torpeur dans laquelle se trouve le tourisme, pourtant placé en deuxième position en termes de rentrées de devises au Sénégal, s’explique doublement :

En premier lieu, l’absence d’une culture touristique chez la plupart des Sénégalais qui, souvent, assimilent à tort, ce secteur économique à la flânerie voire à la débauche, exacerbe la négligence des autorités vis-à-vis de cette importante source de revenus et d‘emplois.

En réalité, le tourisme, qui a été initié par les colons et stimulé par les institutions internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale), n’est pas encore pleinement entré dans les mœurs de la plupart des Sénégalais.

Ainsi, ce mythe d’antan, qui a toujours entouré le tourisme, fait que sa sémantique est tellement galvaudée qu’elle appartient maintenant au langage commun qui finit par le dessaisir de son acception et par ricochet de son intérêt. Par conséquent, cette niche a paradoxalement fini par être considérée comme la cinquième roue du carrosse de l’économie sénégalaise, pourtant essoufflée. Par exemple, en dépit de l’essor des médias (écrit, audiovisuel, électronique, etc.) qui se démocratisent davantage, le secteur du tourisme ne fait la une des titres que quand il faut relater des faits divers ayant trait au sexe, à la violence, à la drogue ou au meurtre dans certains établissements d’hébergement touristiques, généralement clandestins. De ce fait, loin de nettoyer les écuries d’Augias d’un secteur aussi transversal et multisectoriel que le tourisme, beaucoup de journalistes, avides de scoop et de buzz, ne cessent de jeter le pavé dans la mare.

En outre, face à un public crédule qui prend facilement des vessies pour des lanternes, la presse, par le biais de ce que les psychologues des médias appellent «l’heuristique de disponibilité», ne cesse de faire de cette propagande ses choux gras.

En effet, si la majorité des Sénégalais s’accordent sur le caractère pervers et folklorique du tourisme au point d’en faire la synecdoque de la débauche et de la paresse, c’est parce qu’aussi bien les autorités gouvernementales que la presse et les chercheurs ont négligé leur rôle de promotion, de valorisation, de vulgarisation et de communication au profit du tourisme.

Ainsi, ces tares institutionnelles et/ou professionnelles sont confirmées par l’amateurisme qui entoure la gestion des structures touristiques, à l’instar du ministère du Tourisme, de l’Agen­ce sénégalaise de promotion du tourisme. Aussi bien le couplage de ce ministère avec des secteurs aussi disparates qu‘hétéroclites (loisirs, culture, transport aérien, Sénégalais de l’extérieur, etc.) que les nombreux remaniements ministériels (ministère du Tourisme) au cours des différents gouvernements successifs depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, représentent des obstacles qui brident les efforts consécutifs aux différentes politiques touristiques du Sénégal.

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Par ailleurs, cette absence de vision politique avérée, s’explique également par l’option conjoncturelle du tourisme comme substitut temporaire à l’agriculture sénégalaise, confrontée pendant les années 1970 à une crise sans précédent. Mais étant entendu que le tourisme se construit dans le long terme pour espérer porter ses fruits, les autorités sénégalaises ont voulu décréter cette activité économique réputée par son effet multiplicateur, ses retombées financières conséquentes et ses différents avantages pour les destinations.

Par exemple, cette improvisation politique à l’égard du tourisme sénégalais est confirmée par les chiffres avancés dans les “Lettres de Politique sectorielle du Tourisme“ où les différents ministres du Tourisme, tels des devins, n’hésitent jamais à avancer mordicus des millions de touristes à accueillir annuellement au niveau de la destination Sénégal ; oubliant que faire venir un touriste chez soi n’est pas du tout une sinécure.

Par conséquent, cette absence de culture touristique dont sont victimes aussi bien les gouvernés que les gouvernants sénégalais a eu pour conséquences directes une politique touristique désarticulée qui empêche le décollage du secteur du tourisme.

En second lieu, l’indifférence et/ou l‘ignorance affichées des autorités gouvernementales face aux énormes enjeux économiques de l’activité touristique constituent un frein pour le développement du tourisme. Pourtant, à en croire Jean-Louis Caccomo, «une meilleure connaissance des dimensions économiques du secteur touristique est de nature à éclairer les décideurs publics à tous les niveaux de l’intervention publique». Ces remarques de Monsieur Cacco­mo confirment la nécessité absolue de compréhension du fonctionnement basique du système touristique pour pouvoir poser les jalons du développement de cette activité. A défaut de cette condition sine qua non, la politique de développement touristique de notre destination risque de laisser en rade une partie des acteurs concernés, à savoir les populations locales et l’Etat censés bénéficier en premier du développement du tourisme (impôts, taxes, emplois, aménagement, etc.)

En effet, ce triste paradoxe résulte de plusieurs facteurs dont les plus saillants sont la timide implication des acteurs locaux (secteurs public et privé) pour l’exploitation de cette niche économique, la monopolisation du même secteur par des multinationales étrangères, la morosité de l’environnement économique sénégalais peu propice à la promotion d’une acti­vité touristique durable, l’insuffisance voire l‘absence d’une formation en tourisme et hôtellerie susceptible de mettre à disposition des ressources humaines locales qualifiées et compétentes et l’exclusion des populations locales du fonctionnement du tourisme. Car comme le souligne Bernard Schéou , «ce n’est que lorsque le tourisme s’insère dans un tissu économique développé qu’il génère un effet multiplicateur maximal sur l’ensemble de l’économie».

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Un autre problème du tourisme sénégalais est la monopolisation croissante du secteur du tourisme par le privé (national et étranger) qui a fini par dicter sa loi à l’Etat du Sénégal.

En parcourant un article du quotidien L’Observateur (numé­ro 4068) daté du vendredi 14 avril 2017 et intitulé : Mamadou Racine, président de la Fopits «il faut alléger le plus possible les conditions d’accès au crédit hôtelier», mon scepticisme par rapport à l’administration du secteur touristique sénégalais s’est confirmé.

En fait, la gestion horizontale officielle du secteur du tourisme, prônée par le gouvernement du Sénégal et illustrée par l’exclusion du tourisme des neuf compétences transférées aux collectivités locales, tranche avec la mainmise dudit secteur par le secteur privé qui exagère son rôle et va jusqu’à imposer les règles du «jeu touristique» au gouvernement du Sénégal.

En réalité, c’est un truisme de rappeler que le développement voire le dynamisme du tourisme de n’importe quelle destination, dépend en partie de la bonne santé du secteur privé de ladite destination. Cependant, l’expression de ce secteur privé doit absolument être encadrée par le secteur public dont la première mission est de faire profiter aux différentes couches de la société (hommes, femmes, enfants, ins­truits, illetrés, antiquaires, hôteliers, investisseurs,etc.), des retombées des secteurs économiques dont le tourisme.

Par contre, la privatisation à outrance, non encadrée, du tourisme sénégalais, a ceci de particulier qu’elle est en train de promouvoir un secteur touristique élitiste, exogène et indifférente aux réalités sui generis des populations locales des différentes zones touristiques du Séné­gal. D’autant plus qu’à côté du tourisme d’affaires et balnéaire, pullulent d’autres créneaux jusque-là peu exploités tels que le patrimoine, la culture, la chasse, la religion, la gastronomie, etc. Et l’on sait les relations qu’entretiennent ces populations locales avec les créneaux susmentionnés. Par exemple, un produit touristique sénégalais axé sur la religion, la culture ou la gastronomie, est susceptible de susciter plus d’attention et d’intérêt chez ces populations qu’un produit exclusivement basé sur le balnéaire.

Malheureusement, sous l’influence de représentations sociales hégémoniques, les autorités sénégalaises (publique et privée) en charge du tourisme ne cessent de perpétuer un modèle touristique classique réduisant le tourisme à l’hôtellerie, au touriste à l’étranger ; et la motivation touristique au loisir et aux affaires. Autrement dit, rien n’est fait pour impliquer directement ou indirectement les populations locales dans le système touristique sénégalais, qui ne profite qu’aux élites (locale et étrangère).

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D’ailleurs, le schéma établi ci-dessus montre l’influence de la politique touristique sénégalaise sur la motivation des visiteurs et des prospects. En dépit de l’existence de créneaux porteurs susceptibles de contribuer à la diversification du produit touristique et à l’exploitation des patrimoines touristiques des six pôles touristiques du pays (Pôle touristique de Dakar, Pôle touristique du Nord, Pôle Thiès/Diourbel, Pôle touristique du Sine-Saloum, Pôle touristique du Sénégal Oriental et Pôle de la Casamance), un accent particulier continue d’être mis sur le balnéaire et les affaires dont l’essor ne profite qu’aux secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et du transport où une infime partie de Sénégalais ont la chance de trouver un emploi. Du coup, cette conception simpliste voire eurocentriste du tourisme passe sous silence de précieuses attractions touristiques présentes dans presque tous les pôles touristiques du Sénégal.

En effet, la réduction de l’activité touristique au simple balnéaire et aux affaires, entretenue par le secteur privé, n’est pas encore corrigée par le secteur public. Mieux, le gouvernement du Sénégal a tendance à sous-traiter la gestion du tourisme au secteur privé local et étranger. En attestent les propos de Mamadou Racine Sy, président de la Fédération des Orga­nisations Patronales de l’Industrie Touristique (Fopits) : «La vocation de l’Agence sénégalaise de promotion du tourisme est d’être au service du secteur privé, de s’approprier ses préoccupations et d’aller au-delà de ses attentes.»

La quintessence des propos de Monsieur Sy remet en question les missions du gouvernement du Sénégal en général et de l’Agence sénégalaise de promotion du tourisme en particulier, qui consistent à promouvoir la destination Sénégal dans son entièreté.

Enfin , ce hiatus abyssal entre le statu quo économico-politique du Sénégal et l’ambition de son gouvernement en quête perpétuelle de revenus, oblige ce dernier à brader les précieux patrimoines touristiques du Sénégal au secteur privé local et étranger. Ainsi, loin de profiter aux populations locales et à l’Etat, cette forme de politique touristique porte atteinte non seulement aux communautés locales des différents pôles touristiques du Sénégal mais aussi à l‘Etat sous plusieurs formes, parmi lesquelles la monopolisation de l‘investissement touristique par des entreprises étrangères, le développement du phénomène des fuites, un développement touristique exogène, la construction de la part des acteurs locaux de représentations sociales défavorables au tourisme, etc.

Mame Birame SARR

Chercheur en tourisme

Universite de Las Palmas de Grande Canarie

sarrbirame@hotmail.fr

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