Le décès de la petite Aicha Diallo, il y a de cela quelques semaines, a été un moment de pleine et grande douleur, ayant permis à beaucoup de Sénégalais, de se prononcer sur l’état de leur système de santé. À dire vrai, grisés par ce drame inacceptable pour une société civilisée, beaucoup sous le coup de l’émotion, se sont laissés entrainer dans des diatribes à l’encontre du personnel médical et particulièrement contre les médecins. Quelques mois auparavant, c’est le rappel à Dieu d’un brillant directeur d’une agence nationale chargée justement de promouvoir l’accès des plus démunis aux soins médicaux, la CMU en l’occurrence, qui avait servi de prétexte à un de ses frères pour jeter à la vindicte populaire, un excellent confrère chirurgien cardiovasculaire de son état, qui s’était pourtant dévoué de la plus belle manière, pour lui sauver la vie. À chaque fois que pareil drame se produit, la tendance est au lynchage médiatique du corps médical. Aujourd’hui que la clameur populaire s’est estompée, il me semble important et surtout nécessaire de revenir sur la responsabilité des uns et des autres dans la déliquescence de notre système de santé.
Accéder aux soins de santé dans notre pays, relève d’un vrai parcours du combattant, et nous le reconnaissons volontiers. Lorsque vous avez besoin de recourir aux services médicaux vous êtes confrontés à plusieurs difficultés :
D’abord il vous faut trouver la structure outillée pour prendre en charge votre pathologie. Puis il vous faut trouver un rendez-vous dans les meilleurs délais. Ensuite il faudra certainement trouver les moyens financiers pour honorer les prestations qui vous y seront offertes. Mais le plus difficile c’est certainement, une fois arrivé dans la structure de soins, de pouvoir convaincre les uns et les autres que votre cas mérite une prise en charge prioritaire, tant des centaines de cas similaires au votre, vous ont précédés.
En analysant les différents éléments constitutifs d’une bonne organisation des soins, on se rend compte que nos hôpitaux manquent de tout. Conçus pour la plupart par les colons, il y a de cela plusieurs décennies, peu de structures répondent aujourd’hui aux normes d’une bonne pratique médicale. Avant même l’intervention des médecins, on note des difficultés liées à la configuration de l’infrastructure hospitalière. Nous avons encore dans la plupart de nos hôpitaux, de grandes salles d’hospitalisation où plusieurs patients s’entassent sans qu’il soit possible de préserver la dignité de qui que ce soit. Les conditions d’hygiène y sont telles, qu’il est possible, lorsque la mort vous a épargné, d’en sortir avec une infection nosocomiale.
Au-delà de ces problèmes liés à l’infrastructure, on rencontre souvent des aléas liés au management même des structures de soins. Les budgets y sont réduits à leurs portions congrues, et leur exécution souvent peu transparente, ne permet, le plus souvent, qu’à payer des salaires et alimenter des marchés souvent octroyés de gré à gré. Les dotations en médicaments sont insuffisantes, et le plateau technique, s’il n’est pas obsolète, manque cruellement de maintenance. Conséquences : lorsque vous avez la chance d’être admis, tout vous incombe. Vous devez vous nourrir, amener vos draps, acheter vos médicaments, payer tous vos examens complémentaires.
Par ailleurs, au sein de la structure de soins, des personnes attitrées doivent s’occuper de tous les aspects liés au séjour des patients. Certains doivent rendre l’endroit où vous êtes admis, sûr, convivial et agréable à vivre : ce sont les techniciens de surfaces, les préposés à la sécurité, les agents chargés de la maintenance. D’autres sont plus spécifiquement affectés aux taches de soins et d’aide au diagnostic. Ce sont les aides-soignants, les sages-femmes, infirmiers, techniciens de labo et de radiologie, les médecins. Chacun en ce qui le concerne, déroule un certain nombre de gestes et d’actes, pour qu’au final le patient soit soulagé de ses maux. Ce qui vient d’être décrit, constitue évidemment le standard minimum pouvant permettre d’atteindre un objectif optimal en termes d’amélioration de la santé des populations. Mais très souvent, vous n’avez pas assez de personnel qualifié. Certains sont recrutés pour leur affinités politico-religieuses ou leur proximité avec les responsables de la structure. Ceux dont la compétence est avérée, sont démotivés par le bas niveau de rémunération qui leur est offert et par le peu d’égard qu’ont envers eux, aussi bien les autorités administratives que certains usagers des services de soins. À l’analyse rigoureuse et sans complaisance de ce qui se passe réellement sur le terrain, on se rend aisément compte qu’on est loin de l’idéal. Lorsqu’à côté des problèmes d’accessibilité aux structures, se pose la question d’un environnement social, marqué par la forte propension à ne recourir à la médecine moderne que quand la pathologie est hors de toute ressource thérapeutique, on comprend facilement les difficultés que nous observons, dans la prise en charge des malades. Et pourtant malgré tout, des hommes et des femmes ont fait de la médecine leur sacerdoce, œuvrant nuit et jour pour faire reculer les frontières de la maladie. La nuit quand tout s’endort, ils veillent au grain dans des conditions de travail des plus ardues. Pas de weekend ni de jours fériés pour toutes ces braves personnes engagées dans un combat épique contre la maladie et la mort. Dans le secret de leurs cabinets, ils soignent, conseillent, compatissent à la douleur d’autrui, en taisant toutes leur rancœur et leur frustration de travailler dans des conditions parfois si dégradantes. Pour parfaire leur art, la plupart paient de leur poche, leur développement professionnel continu, s’inscrivant ainsi dans une dynamique d’actualisation de leurs connaissances et de leurs compétences, en vue d’une amélioration constante des bonnes pratiques de leur métier.
Alors vous comprenez toute la déception et la rage que peuvent vivre ces médecins, lorsque l’exitus survenant, ils se voient accusés d’être responsables, de ce contre quoi, ils se sont battus de manière acharnée.
Il est temps que le peuple du Sénégal comprenne que lorsqu’il est mal soigné, ce n’est certainement pas toujours la faute d’un médecin, mais parce que son État n’a pas construit assez d’hôpitaux ou ne les a pas suffisamment équipés.
C’est aussi parce que très souvent, nous même en tant qu’individus, mettons du temps et beaucoup d’énergies à aller chercher des solutions chez des charlatans et autres rebouteux, avant de nous tourner vers la science lorsque les carottes sont déjà cuites.
Nous médecins, avons trois ordres de sanctions lorsque nous sommes reconnus coupables d’une faute médicale : la première sanction, sans doute la plus redoutable, est le poids de notre conscience. Elle dicte notre art et la guide continuellement dans le sens du respect de la vie et de la dignité de nos patients. Lorsque notre pratique nous amène à faire du mal à la place du bien que nous aurions dû faire, nous souffrons nous même du fond de notre être pour avoir trahi le serment juré, d’apporter soins et assistance à tout humain.
La deuxième sanction est celle de nos pairs qui jugent, encadrent et surveillent notre pratique afin que nul ne ternisse la réputation de la corporation. Et je vous assure, notre tribunal des pairs est implacable.
Enfin le législateur a mis en place des normes juridiques qui permettent de sanctionner tout médecin reconnu coupable d’une faute médicale.
Conscients de tous ces degrés de sanctions auxquels nous sommes assujettis, nous exerçons notre art avec responsabilité, mais ne voulons porter le chapeau de personne d’autre. Nous ne voulons être le bouc émissaire de personne et ne porterons aucune autre responsabilité qui ne soit le nôtre.
Dr JEAN FRANCOIS DIENE
Médecin Anesthésiste Réanimateur
BP 6507 DAKAR