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Dpg Du Premier-ministre : Un Grand Contenant Au Contenu Vide (ibrahima Sadikh Ndour)

Dpg Du Premier-ministre : Un Grand Contenant Au Contenu Vide (ibrahima Sadikh Ndour)

Sur la forme, la déclaration de politique générale (DPG) que vient de prononcer le Premier-ministre (PM) Mahammed Boun Abdallah Dionne, est un ramassis de slogans creux et de faits tronqués ou déformés. Une véritable soupe où se côtoient de nombreuses choses sans fil conducteur, ce qui donne l’impression d’une absence de vision. Une DPG où il est difficile de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire ; ce qui relève d’initiatives structurantes de ce qui relève d’une gestion quotidienne d’un État.

Sur le fond, la DPG s’articule essentiellement autour des 4 points suivants : 1) l’inclusion ; 2) l’économie ; 3) la sécurité et la justice ; 4) la politique extérieure et la diaspora. Sur tout ces points, le PM a fait étalage de nombreuses statistiques lui ayant permis, sans doute, de dessiner les contours d’un grand contenant qui donne l’impression que le gouvernement pense à tout, fait tout et que tout est sous contrôle. Mais, à y regarder de près, on s’aperçoit que c’est un grand contenant au contenu vide qu’il va vendu à nos parlementaires.

Une déclaration de politique générale (DPG) basée sur de fausses prémisses

Le PM commence d’emblée sa DPG par rappeler que celle-ci découle de la vision du Plan Sénégal Émergent, c-à-d. la vision « d’un Sénégal de tous, d’un Sénégal pour tous ».

Il énonce sa première prémisse en ces termes : « (…) c’est d’abord un Sénégal sans exclusion, où tous les citoyens bénéficient des mêmes chances et des mêmes opportunités pour réaliser leur potentiel et prendre en main leur destin. » Cela est complètement faux et ne cadre pas avec les réalités quotidiennes que vivent les sénégalais. Les recrutements politiques des rejetons des dignitaires du régime et des militants de l’APR dans les structures publiques (Port, Coud, La Poste, etc.) sont là pour nous rappeler que tous les sénégalais ne bénéficient pas des mêmes chances et des mêmes égalités. L’octroi scandaleux de nombreux et lucratifs marchés de gré-à-gré à des hommes-liges de personnalités publiques montre que tous les hommes d’affaires et opérateurs économiques sénégalais ne sont pas traités au même pied d’égalité.

La seconde prémisse énoncée par le PM est relative à « un État qui rassure le citoyen en lui assurant une gouvernance vertueuse et un partage équitable des ressources ; un État qui associe le citoyen à ses décisions par une écoute attentive ; un État qui prend soin du citoyen et réalise ses attentes. C’est aussi un État qui combat la précarité, l’injustice sociale, les inégalités, l’insécurité, l’iniquité et la vulnérabilité. » Là aussi, il a tout faux ! L’état de désillusion des sénégalais est réel et va grandissant lorsqu’ils voient qu’on leur avait promis une gestion sobre et vertueuse et qu’ils assistent, impuissants et dépités, à une gestion sombre et vicieuse des biens publics. Pire, on n’a jamais vu des gouvernants autant autistes que Macky Sall et ses différents gouvernements. Combien de fois, Macky Sall lui-même, a proféré des menaces, voire des insultes à l’endroit de ses opposants au lieu de les écouter et de dialoguer avec eux ? Qui s’est comparé à un lutteur, comme si la politique était une arène pour des combats physiques ? C’est lui ! Qui s’est assimilé à un lion qui dort, donc un fauve prêt à faire la chasse de ses opposants une fois sa sieste terminée ? C’est encore lui ! Qui a traité ses détracteurs « d’oisifs errants » ? Toujours lui. En conséquence, pour l’écoute et la proximité ainsi que le respect, le PM repassera.

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Enfin, la troisième prémisse sur laquelle le PM s’est adossé, c’est que le Sénégal est « un pays de grande prospérité, d’une réelle inclusion et d’une forte cohésion sociale ; un pays où l’on produit plus de richesses et où règne une forte solidarité envers les moins favorisés, notamment les jeunes et les femmes. » Encore faux ! Le Sénégal, un pays d’une grande prospérité ? Évidement non ! S’il faisait référence au taux de croissance qui dépasse 6,5%, il ne se serait pas inutile de lui rappeler que cette croissance est extravertie et ne profite qu’aux compagnies étrangères. Lui rappeler aussi que cette croissance n’est portée que par le secteur des services, principalement les télécommunications (donc la consommation), et n’induit aucune création de richesse significative susceptible de faire sortir les sénégalais de la pauvreté.

Une déclaration de politique générale (DPG) au contenu vide

En ce qui concerne le premier point de la DPG, à savoir l’inclusion, le PM a égrené toutes les réalisations accomplies depuis 2012 et décliné son plan de route (ce qui va venir) en matière d’inclusion sociale, d’inclusion financière ainsi qu’en matière de lutte contre les inégalités et les disparités régionales. C’est ainsi qu’il a parlé, par exemple, de l’inclusion sociale par les territoires à travers la correction des déséquilibres territoriaux et le rattrapage infrastructurel grâce aux programmes PUDC, PROMOVILLES et PUMA. Il a aussi évoqué les mesures prises pour faciliter l’accès aux services essentiels de santé, au logement, à l’eau, à l’assainissement et à un cadre de vie sain. Au titre de l’inclusion financière, il a rappelé les divers programmes mis en place au profit des couches les plus vulnérables à travers le développement de produits et services adaptés aux besoins de ces cibles (microfinance islamique, entreprenariat féminin, microfinance, etc.). Enfin, à propos de l’inclusion sociale à travers l’éducation et la formation, il a fait référence à la réhabilitation et à la construction d’infrastructures scolaires, à la formation professionnelle surtout à la nécessité de l’adapter au marché du travail. Tous ces aspects ont été traités sous l’angle quantitatif et celui des infrastructures : le gouvernement a mis tant de milliards ici, le gouvernement a construit tant de classes là, etc. Pas un seul instant le PM n’a pris la peine de donner une idée claire sur leur contenu, c-à-d. les améliorations qualitatives auxquelles le gouvernement voudrait parvenir en procédant à ces investissements. Par exemple, en matière d’éducation et de formation, le PM ne parle pas (ou le fait insuffisamment) des choix de modèles d’école que voulons-nous (former des citoyens ? acquérir des compétences ? faire de l’instruction ?…), du véhicule linguistique qui nous comptons privilégier (valorisation ou abandon des langues nationales ?), de l’orientation des programmes (plus d’importance aux filières techniques et professionnelles), etc.

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Pour ce qui est du second point, l’économie, le PM a passé en revue plusieurs choses allant des indicateurs macroéconomiques, qui sont au vert, à la promotion des investissements en passant par l’agriculture, l’élevage, la pêche, les industries extractives, les activités industrielles, l’énergie et les hydrocarbures ainsi que la mobilité. Là aussi, il ne dit rien sur comment faire pour que la formation de forts taux de croissance soit plus endogène (avoir des retombées sur toute l’économie nationale et non extravertie), adossée sur des activités créatrices de richesses (et non sur les activités commerciales essentiellement) et fortement utilisatrice de main d’œuvre (pour contribuer à la résorption du chômage des jeunes). Donc, tout laisse croire, que le gouvernement continuera à favoriser un modèle de croissance qui ne profite et continuera à profiter qu’aux compagnies étrangères. Plus préoccupant, le PM ne dit rien sur les mutations économiques à opérer pour faire passer le Sénégal d’aujourd’hui à celui de demain, c-à-d. un Sénégal où la création de richesse va reposer, en grande partie, sur la production et l’exportation d’hydrocarbures. Aucune information n’a été donnée, par exemple, sur les stratégies escomptées pour faire acquérir aux travailleurs sénégalais les qualifications et compétences nécessaires à l’exercice des métiers du pétrole pour que le Sénégal ne soit pas obligé, le moment venu, de faire appel à la main d’œuvre étrangère qualifiée pour exploiter nos ressources. Il ne dit rien, non plus, sur les modalités opératoires prévues pour la gestion des revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures : comment seraient-ils ventilés ou dépensés (parts destinées aux investissements sociaux, parts consacrées à un fond des générations futures, etc.). Enfin, on notera au chapitre économique, que le PM n’a donné aucune indication sur l’éventualité d’un relèvement, à l’horizon, du pouvoir d’achat des gorgolous sauf pour les retraités.

Le troisième point de la DPG est relatif à la sécurité et à la justice. Au titre de la sécurité, le PM a parlé de renforcement des équipements, des moyens de surveillance, de renseignement et d’intervention des forces de défense et de sécurité. Là encore, il a promis, par exemple, la construction de nouveaux commissariats de police, de brigades de gendarmerie et de casernes de sapeurs-pompiers ainsi que le recrutement de personnel. Il ne dit rien de concret sur la nécessité, voire l’urgence que revêt la dotation en équipements suffisants de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers en tirant les enseignements des récents catastrophes. La justice n’a pas échappé à cette manie infrastructurelle à travers la construction prévue de tribunaux, de maisons de justice, d’une nouvelle maison d’arrêt et de correction ainsi que d’une école nationale de la magistrature avec, à la clé, un recrutement massif de magistrats. Même s’il est louable que tout ceci s’inscrive dans le cadre du rapprochement de la justice aux justiciables, les aspects les plus importants, et qui constituent des enjeux très actuels, sont occultés notamment l’indépendance de la magistrature et la distribution inégalitaire de la justice. Que compte faire le gouvernement pour cesser ses immixtions dans le fonctionnement de la justice (ou l’instrumentalisation politique de la justice), voire couper le cordon ombilical qui lie l’Exécutif au pouvoir judiciaire (un CSM qui n’est plus présidé par le Président ; un Procureur de la République qui ne relève plus du Ministre de la Justice ; …) ? Rien ! Quelles initiatives le gouvernement compterait prendre pour que tous les sénégalais soient traités de façon égalitaire devant la justice (par exemple transmission automatique des rapports des corps de contrôle) ? Rien non plus !

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Enfin, le quatrième et dernier point de la DPG est relatif à la politique extérieure et à la diaspora. Au titre de la politique extérieure, le PM n’a fait que se décerner des autosatisfecit : le Sénégal figure parmi les 10 premiers pays contributeurs de troupes au monde ; le Sénégal est élu ou réélu au Conseil de Sécurité des Nations Unis, au Conseil exécutif de l’Unesco, au Conseil des droits de l’Homme, etc. Rien n’est dit ni prévu pour casser l’incapacité de notre diplomatie à faire élire un sénégalais ou une sénégalaise à la tête d’une institution internationale d’envergure (échec d’Éva Marie Coll à l’OMS, de Bathily à l’UA, etc.). En ce qui concerne la diaspora, cette importante question est malheureusement traitée avec beaucoup de légèretés en la réduisant à sa seule dimension politique : élection de 15 députés et accroissement des moyens du FAISE. Deux aspects importants sont occultés : la mise en place d’un dispositif d’assistance et de rapatriement des sénégalais de l’extérieur confrontés à des difficultés de toute sorte et la mise en place d’une politique audacieuse et efficace d’utilisation des compétences sénégalaises travaillant à l’étranger comme l’a fait la Chine et l’Inde et comme est en train de le faire la Côte d’Ivoire (le poste de Directeur général des impôts et domaines a été pourvu après un appel international de candidatures incluant les Ivoriens de la diaspora et non octroyé automatiquement à un inspecteur sorti de l’ÉNA).

Au total, nous ne pouvons qu’être consternés en écoutant le PM dérouler une politique insipide, sans audace et qui ne fait rêver personne. Une politique qui n’annonce aucune rupture. On continuera à gérer le pays comme une boutique, c-à-d. avec une prudence obsessionnelle en étant certain d’avoir ce qu’il faut pour vivre confortablement et faire vivre le Roi sur le dos du peuple. L’avenir et les réformes en profondeur ? Ils attendront …  

Ibrahima Sadikh NDour

ibasadikh@gmail.com

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