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L’agriculture Sénégalaise Ne Nourrit Toujours Pas Son Homme

Depuis quelques années, on nous annonce cycliquement que l’agriculture sénégalaise a battu encore des records de productions pour la quasi-totalité des principales spéculations agricoles. Pourtant, de juin à septembre, chaque année, la soudure reste une dure réalité dans presque tous les départements du Sénégal. A l’évidence, l’agriculture sénégalaise ne nourrit toujours pas ses paysans qui sont demandeurs davantage de bourses familiales.

L’Etat du Sénégal met beaucoup de moyens dans le secteur de l’agriculture depuis 2000. Le budget alloué à ce pilier de l’économie sénégalaise que viennent de voter nos députés a connu une hausse substantielle de 19 milliards de Francs CFA. Au plan budgétaire, l’Etat montre à ainsi son intérêt à relancer l’agriculture.

Chaque année, les autorités du secteur annonce des productions records en arachide, en mil et en riz. Des records de productions de riz et oignons en 2017 seraient crédibles mais en mil et arachide, les productions ont peut être augmenté mais pas au point de battre des records. En 2017, les productions d’arachide et de mil pourraient être quantitativement et qualitativement meilleures qu’en 2016 mais parler de record est tout simplement aller vite en besogne.

Au-delà des productions annoncées mais contestables, certains éléments d’appréciation des retombées économiques de l’agriculture sur les familles des paysans montrent que ce secteur n’est pas assez performant pour nourrir son homme. Il y a encore beaucoup à faire.

Si notre agriculture était performante et battait des records de productions pour la quasi-totalité des spéculations sur plusieurs années, la soudure dans le monde rural allait reculer d’année en année en conséquence. Pourtant, tous ceux qui s’intéressent au bien être des paysans savent que ceux ci ne mangent pas à leur faim dans presque tous les départements du pays à partir du mois de juin. Cela est vérifiable in situ, de juin à septembre. Pour l’hivernage 2017, 6 départements avaient frôlé la famine, heureusement l’Etat est intervenu rapidement pour soulager les paysans. Le choix des 6 départements est même contestable car la soudure touche en réalité les 45 départements du pays annuellement. Beaucoup d’autres observateurs et des députés de la 13ème législature défendent le même point de vue.

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En milieu rural, pour atténuer les effets de la soudure dans leurs familles, de jeunes paysans migrent vers les villes pour soutenir leurs parents en devenant des vendeurs ambulants dans les zones d’embouteillages. Cela aussi est vérifiable in situ. La conséquence de cette migration des jeunes vers les grandes agglomérations est le déficit en main d’œuvre dans les champs. Dans ces conditions, à quoi servent les records de productions agricoles si les familles sont toujours pauvres et ne mangent pas à leur faim toute l’année ?

Les bourses familiales constituent une innovation sociale à saluer et à magnifier. Elles aident nos compatriotes à faire face à la soudure, à se soigner et à prendre en charge les frais scolaires des enfants notamment. Avec une agriculture qui bat chaque année des records de productions, le nombre de bénéficiaires des bourses familiales devrait en toute logique baisser annuellement. Dans les faits, c’est le contraire qui est constaté. L’Etat augmente régulièrement le nombre de bourses attribuées aux paysans. Cela est un signe incontestable que le monde rural ne s’enrichit pas encore et que l’agriculture sénégalaise, en dépit des milliards injectés, ne produit pas assez de richesse pour baisser le nombre de candidats aux bourses familiales. Les records de productions agricoles, si elles existent, n’impactent pas encore le panier de la ménagère paysanne.

L’agriculture sénégalaise a toutefois fait des bonds qualitatifs significatifs et progresse continuellement depuis 2000. Il est utile de rappeler qu’avant la première alternance, le secteur agricole était totalement en faillite et la pauvreté avait gagné toutes les familles rurales. Les paysans étaient déboussolés, la filière arachidière disloquée, le système de commercialisation de l’arachide démantelé, la culture du riz pilotée sans vision prospective etc.

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De 2000 à 2012, l’Etat du Sénégal avait pris beaucoup d’initiatives intéressantes pour la relance de l’agriculture. La volonté des autorités publiques de booster le secteur ne souffrait d’aucun doute mais leur vision manquait de cohérence et de fil conducteur pour relancer véritablement l’agriculture. C’est à partir de 2012 que la politique agricole du pays a commencé à être fondée sur une vision intégrée dans le cadre d’un plan stratégique national. On peut regretter toutefois que certains grands projets audacieux initiés entre 2000 et 2012 soient abandonnés alors qu’ils commençaient à donner des résultats positifs.

En 2017, les productions agricoles sont encourageantes mais elles sont encore globalement insuffisantes eu égard aux milliards injectés ; la pauvreté ne recule toujours pas significativement dans le monde rural. Au-delà des moyens colossaux dédiés à l’agriculture, aucune réforme majeure n’a été initiée pour moderniser l’agriculture pluviale. Le Sénégal n’a pas encore une politique bien pensée de production de semences de qualité pour nos différentes spéculations. Il n’est un secret pour personne que la productivité d’une agriculture, donc sa performance, dépend entre autres de la qualité des semences utilisées par les producteurs. Tant qu’on fournira majoritairement aux paysans des semences écrémées, notre agriculture fera du surplace comme c’est le cas actuellement.

Les subventions de l’Etat à l’agriculture (semences, intrants, matériel agricole, achats des productions) enrichissent plus les commerçants que les paysans. Elles n’impactent pas significativement le secteur. Il est impératif et urgent d’initier des réformes à ce niveau pour une meilleure utilisation des fonds publics destinés à la relance du secteur. Lorsque cette subvention devient le maillon faible du secteur, il urge de faire l’état des lieux et réformer la procédure. Les députés de la 13ème législature ne disent pas moins.

Le principal facteur limitant de notre agriculture est incontestablement l’eau. La tutelle n’a initié là encore aucune réforme crédible pour la maîtrise de ce facteur clé pour une agriculture performante et sécurisée. La mécanisation du secteur n’inclue pas l’usage de cet élément vital par les paysans. Nous avons fait pourtant des propositions concrètes pour stocker les eaux pluviales afin de lutter contre les pauses pluviométriques comme cela fait ailleurs. Il faut mettre à contribution nos vaillants ingénieurs et chercheurs pour mettre en place une véritable politique nationale de maitrise de l’eau, préalable à toute modernisation de l’agriculture.

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Les autorités de la première alternance avait initié et réussi la création d’un syndicat national des paysans du Sénégal pour la défense de leurs intérêts. On regrette l’abandon de cette idée novatrice qui permettait à l’Etat d’avoir des interlocuteurs crédibles, défendant les intérêts de leurs mandants. Aujourd’hui, ce sont des gens non mandatés qui parlent au nom des paysans et qui sont toujours satisfaits de l’action du ministère. Pour réussir la relance et l’intensification de la production agricole, l’Etat a besoin d’interlocuteurs libres capables de dire oui ou non. L’unanimisme n’est jamais une source de progrès. L’Etat devrait prendre des initiatives fortes pour la syndicalisation des paysans.

Pour une agriculture performante et capable de nourrir son homme, il est indispensable de former et d’encadrer les producteurs. A ce niveau aussi, l’Etat n’a pris aucune initiative majeure depuis 2000. L’ANCAR ne semble pas apte à assurer cette mission essentielle si elle n’est pas réorganisée et reprofilée. La production agricole est devenue très sophistiquée à cause des avancées de la science agronomique et de la mécanisation de l’agriculture. La formation des paysans doit être considérée comme une sur-priorité, voire un préalable à l’intensification de la production agricole. Pour les besoins de la sécurité alimentaire et de la sécurité sanitaire des aliments la formation des producteurs est incontournable.

L’agriculture est un secteur dynamique, en perpétuelle mutation. Elle doit être de façon permanente repensée pour s’adapter toujours aux enjeux du moment.

 

Pr Demba Sow

Ancien député

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