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Gouvernance De Macky Sall : Sans Nationalité, Ni Loi, Ni Etat De Droit

Cette contribution met l’accent sur les atteintes graves de la gouvernance actuelle en rapport à l’état de droit et au respect dû à la loi, axe 3 du Plan Sénégal Émergent. Elle m’a été inspirée par les aveux du ministre porte–parole du gouvernement sur le plateau d’une télévision, sur sa possession d’une nationalité étrangère. D’autant plus, qu’il s’était régulièrement offusqué de la possible possession par Karim Wade de la nationalité de sa mère. Pour comprendre pourquoi le titre : «une gouvernance: sans nationalité, ni Loi, ni Etat de droit», il faudra faire un bref exposé sur le régime de la nationalité, pour ressortir le peu de respect que le régime de Macky Sall a de la loi.

La nationalité est le lien juridique qui relie un individu à un Etat déterminé. De ce lien découlent pour cette personne aussi bien des obligations que des droits politiques, civils, voire professionnels. La possession de la nationalité sénégalaise peut résulter :

  • soit d’une attribution par la naissance au Sénégal d’un ascendant de premier degré qui y est lui-même né «jus soli au second degré» ou par filiation «jus sanguinis»
  • soit d’une acquisition par déclaration (exemple : mariage avec un Sénégalais) ou par décret de naturalisation.

La preuve matérielle de la nationalité sénégalaise est rapportée par le certificat de nationalité sénégalaise délivré par le tribunal d’instance.

Il est manifeste que l’exercice de droits politiques reste lié à la nationalité, raison pour laquelle, la constitution sénégalaise exige de tout candidat à l’élection présidentielle d’être exclusivement de nationalité sénégalaise. Il s’agit là d’un paradoxe parce que c’est le candidat qui est soumis à l’obligation d’être exclusivement de nationalité sénégalaise et non le président de la République. Autrement dit, lorsqu’après son élection, on découvre la binationalité du président élu, aucune conséquence ne viendra affecter son élection. Ce qui pose la question de l’utilité d’une telle disposition, dès lors que le Conseil constitutionnel n’a ni pouvoir d’investigation, ni possibilité pour vérifier ou non de la bi-nationalité des candidats. Comment vérifier que le candidat ne possède pas la nationalité d’un pays de la communauté internationale ? Il serait plus judicieux pour sanctionner les cas de dissimulation, d’exiger du président élu, en prêtant serment, de déclarer sur l’honneur et solennellement qu’il est exclusivement de nationalité sénégalaise. S’il est établi plus tard, qu’il a dissimulé la possession d’une autre nationalité, il pourrait être poursuivi pour haute trahison.

Qu’en est-il du ministre ? Autrement dit, le binational peut-il exercer des fonctions ministérielles ? D’où l’intérêt de réfléchir sur les conséquences juridiques qui s’attachent aux fonctions ministérielles confiées aux «Sénégalais» possédant une autre nationalité.

Le code de la nationalité sénégalaise a rejeté le principe de la binationalité en disposant en son article 18 : «Perd la nationalité sénégalaise, le Sénégalais majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère.» Toute acquisition volontaire d’une nationalité étrangère entraîne de plein droit la perte de la nationalité sénégalaise pour le Sénégalais majeur. La loi sénégalaise n’accepte que la double nationalité et non la binationalité, pour les Sénégalais qui ont acquis une nationalité étrangère sans volonté expresse, à savoir ceux qui ont subi l’acquisition de la nationalité étrangère. Il en est ainsi de l’exemple du mineur à qui ses parents sénégalais confèrent une nationalité étrangère. Il en est de même des enfants issus des mariages mixtes et de ces couples sénégalais qui ont pris l’habitude de faire accoucher leur femme aux Etats-Unis d’Amérique pour conférer à leurs enfants la nationalité américaine.

Ceux qui ont subi, pourrait-on dire, la nationalité étrangère ne perdent la nationalité sénégalaise que sur demande expresse conformément à l’article 19 : «Un Sénégalais, même mineur, ayant une nationalité étrangère peut être autorisé, sur sa demande, à perdre la nationalité sénégalaise. Cette autorisation est accordée par décret.» C’est cette disposition qui permet au Sénégalais qui voudrait acquérir une nationalité étrangère incompatible avec sa nationalité d’origine d’y renoncer par décret et sur sa demande. C’est le cas de l’acquisition de la nationalité allemande qui exige la renonciation à sa nationalité d’origine.

Alors que le Sénégalais même mineur qui subit l’acquisition d’une nationalité étrangère ne perd sa nationalité d’origine que sur sa demande, le majeur sénégalais à chaque fois qu’il acquiert volontairement une nationalité étrangère, perd d’office sa nationalité sénégalaise. Ici, il n’y a aucune formalité à accomplir ; la perte de la nationalité sénégalaise s’effectue de plein droit, comme sanction de son attitude.

Au vu de la loi sénégalaise, beaucoup de Sénégalais majeurs qui continuent à se comporter et à être traités comme sénégalais par les autorités sénégalaises ont perdu leur nationalité sénégalaise. Cette perte paraît définitive car le code de la nationalité sénégalaise ne prévoit pas la réintégration dans la nationalité sénégalaise.

Comment comprendre alors que le président de la République qui a juré solennellement de respecter et de faire respecter la constitution et la loi, s’autorise la nomination à des postes ministériels, des personnes qui ont perdu par l’effet de la loi, leur nationalité sénégalaise et sont de nationalité exclusivement étrangère. Cette situation devient choquante quand le Premier ministre, à la tribune de l’Assemblée nationale où le code de la nationalité a été voté, déclare que l’Etat du Sénégal n’appliquera pas cette disposition législative. Drôle de République où la loi n’a plus de force face à la volonté des représentants du pouvoir exécutif. Peut-être que le Premier ministre cherche à protéger la famille du président de la rigueur de la loi. A ma connaissance, il n’existe aucun pays au monde, où des personnes ne possédant pas la nationalité du pays puissent y exercer des fonctions ministérielles. Pourquoi, faudrait-il qu’une telle situation ne puisse exister qu’au Sénégal et nulle part ailleurs ?

Le ministre «non- sénégalais» de nationalité étrangère exerçant ses fonctions de représentation pour le compte de l’Etat du Sénégal ne se verra pas reconnaître les immunités diplomatiques par le pays dont il possède la nationalité. De même, le ministre «binational» ne peut faire prévaloir sa nationalité sénégalaise auprès des autorités de l’autre Etat dont il possède aussi la nationalité lorsqu’il y exerce ses fonctions. Ce binational est alors généralement considéré par cet Etat comme son ressortissant exclusif et il s’ensuit que la protection diplomatique du Sénégal ne peut s’exercer contre l’Etat dont dépend le binational et, réciproquement, pour l’Etat étranger qui ne peut faire bénéficier de sa protection le binational sur le territoire sénégalais.

Les représentants de l’Etat et ceux qui appellent toujours au respect de la loi et de l’Etat de droit ne peuvent se détourner de ces violations graves de la loi. Le procureur de la République est interpellé par l’article 26 du code de la nationalité sénégalaise qui dispose : «Le Procureur de la République a également seul, qualité pour intenter une action dont l’objet direct est d’établir que le défendeur possède ou non la nationalité sénégalaise. Les tiers intéressés peuvent intervenir à l’action. Il agit soit d’office, soit à la demande d’une administration publique ou d’un tiers ayant soulevé l’exception de nationalité devant une juridiction qui a sursis à statuer. Dans ces deux derniers cas, il est tenu d’agir. Le ministère public doit être mis en cause même si la question de nationalité ne se pose qu’à titre incident entre particuliers et il doit être entendu dans ses réquisitions.» Il ne peut rester aphone face à cette situation car lui seul d’office ou sur instructions des autorités exécutives dont il dépend, peut intenter les procédures adéquates.

En plus de cette question de nationalité, le président de la République assiste en toute complicité et pour des intérêts purement politiciens qu’un ministre viole allégrement la constitution Sénégalaise pour des raisons mercantiles, au vu et au su de tout le monde. En effet, notre constitution rend incompatible la qualité de ministre avec un mandat parlementaire ou l’exercice de toute activité professionnelle publique ou privée rémunérée. Et pourtant, le président de la République se complaît de la situation de violation de la constitution par un artiste de renommée mondiale nommé ministre-conseiller et en même temps organisateur de concerts grassement rémunérés.

Ce sont là les traits hideux d’une gouvernance, sans nationalité, ni Etat de droit, ni loi qui symbolise une République à deux vitesses qui renvoie certains Sénégalais au respect de la loi, tout en permettant à d’autres de la violer allégrement sans encourir les sanctions qui s’y attachent. Un Etat qui n’est plus en mesure de faire respecter sa propre légalité, est menacé d’affaissement et n’est plus légitime d’inviter ses citoyens au civisme, au respect de la loi et de l’Etat de droit. Ces questions sont sérieuses, car elles remettent en cause les fondements de notre Etat de droit.

 

Maître Ibrahima DIAWARA

Avocat à la cour

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