L’ancien premier ministre et envoyée spéciale du Président de la République a déclaré, lors d’une interview radiophonique que « plus de 200 milliards ont été récupérés » (passage 9’05 de l’interview) dans le cadre de la traque des biens mal acquis. En justifiant la pertinence de la traque, elle lâche une phrase très floue sur l’origine des sommes récupérées en déclarant : « si vous avez récupéré 200 à 300 milliards, alors que le condamné gérait la moitié du budget du Sénégal, c’est important et cela constitue une première en Afrique » (passage 10’08 de l’interview). En plus de relever, encore la barre des montants récupérés (200 à 300 milliards FCFA), ses propos laissent penser que tout cet argent prétendument récupéré provient des poursuites engagées contre l’ancien Ministre d’État Karim Meïssa Wade. Plus tard, questionnée par un quotidien de place relativement aux 200 milliards recouvrés par l’État, elle apporte des détails concernant l’origine des sommes récupérées : Karim Wade (30 milliards FCFA récupérés dans le compte de Monaco), Dubaï Ports Word (37 milliards représentant le ticket d’entrée au Port de Dakar), Abbas Jaber et le Groupe Advens (5 milliards FCFA) et Tahibou Ndiaye, ancien Directeur du cadastre (2 milliards FCFA).
À l’analyse, les déclarations d’Aminata Touré ne résistent au test de la vérité. Elles s’avèrent non fondées avec de forts relents propagandistes. Des choses que l’ancien Premier ministre nous a habituées. D’ailleurs, cela n’a pas pris du temps pour que telles affirmations soient contredites, arguments à l’appui, par la seule voix, réputée crédible et courageuse, de la société civile sénégalaise en l’occurrence celle de Birahim Seck.
30 milliards récupérés dans un compte bancaire qui n’en a que 1,3 milliard à son crédit
En ce qui concerne Karim Wade, il est impossible d’avoir récupéré 30 milliards FCFA dans son compte de Monaco, pour la bonne et simple raison qu’on ne peut pas récupérer ce qui n’existe pas ! En effet, dans le jugement rendu par le Président de la CREI, Henri Grégoire Diop, voilà ce qui est écrit, noir sur blanc, à propos de ce compte : « Considérant qu’il appert des documents, en l’occurrence des relevés de comptes reçu à la CREI, à la suite de l’exécution de la commission rogatoire adressée aux autorités judiciaires monégasques par la Commission d’Instruction de la dite Cour que Karim WADE est titulaire d’un compte n°5102960 ouvert dans les livres de la Julius Baer à Monaco ; Qu’il s’agit d’un compte dormant puisqu’aucune opération de retrait n’a eu à y être effectué depuis son ouverture et dans lequel des personnes non identifiées ont eu à verser au total la somme d’un milliard trois cent vingt neuf millions neuf cent soixante sept mille six cent soixante quinze francs (1 329 967 675 frs) ; ». Par conséquent comment peut-on prendre 30 milliards dans un compte bancaire qui n’a à son crédit que 1,3 milliard FCFA ? En tout cas, la ficelle est trop grosse comme le théorisait le propagandiste Goebbels, voilà pourquoi cette assertion pourrait être tenue pour une « vérité » par le peuple non averti.
Dubaï Ports Word : les sommes payées n’ont rien à avoir avec la traque des biens mal acquis
Suite aux contestations des co-inculpés de Karim Wade sur l’illégalité de la mise sous administration provisoire de leurs sociétés, le Président de la CREI Henri Grégoire Diop, répond, dans les attendus du jugement qu’il a rendu, par ce qui suit : « Qu’en effet le juge d’instruction ne peut laisser un inculpé poursuivi pour enrichissement illicite gérer ou faire gérer par des prête-noms ou des hommes de paille des sociétés qui lui permettent de continuer à s’enrichir illicitement ; Que c’est par conséquent à bon droit que la Commission d’instruction, en se fondant sur les dispositions des articles 72 et 87 bis du CPP, a mis sous administration provisoire les sociétés AHS, ABS, AN MEDIA, HARDSTAND et BLACK PEARL FINANCE ; ». Il est dès lors évident que Dubaï Ports Word ne figurait pas sur la liste des entreprises mises sous administration provisoire, donc n’avait aucun lien avec l’affaire Karim Wade. Le premier Procureur de la CREI, Aliou NDAO, avait essayé d’aller dans ce sens, appuyé en cela par la presse à la solde de l’APR, mais ce chemin n’a pu prospérer faute de preuves et suite aux contestations vigoureuses et fondées des émiratis.
D’abord, contrairement à ce qu’affirme Mimi Touré, ce n’est pas 37, mais un peu plus de 24 milliards FCFA que Dubaï Ports Word a versé au Trésor sénégalais. Ensuite, ce montant payé par Dubaï Ports Word fait suite à une enquête diligentée par l’Inspection générale d’État (IGE) sur les conditions de concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Dakar (PAD). L’IGE avait conclu à une présomption de fraude sur les manipulations du ticket d’entrée, car Dubaï Ports Word ne s’était pas acquitté « selon l’article 5–1 du contrat de concession, la 2e partie du ticket d’entrée évaluée à vingt-quatre milliards six cent millions de francs (24 600 000 000) CFA » (Rapport IGE 2013, p. 96). Sur ce point, l’IGE conclut en proposant une « renégociation du pacte d’actionnaires pour que la deuxième composante du ticket d’entrée, soit vingt-quatre milliards six cent millions (24 600 000 000) de francs CFA, soient affectés au capital social de la société d’exploitation, conformément à l’article 5.1 b de la concession » (Rapport IGE 2013, p. 97). Ce que Macky Sall s’est chargé de faire lui-même, en juin 2013 à Paris, en négociant, avec le Sultan Bin Sulayem, Chairman de Dubaï Ports World, lors de l’audience qu’il lui a accordée. La même Mimi Touré, alors Ministre de la Justice, s’était aussitôt fendue d’un communiqué de presse confirmant que « DPW s’est résolument engagé à payer le reliquat du ticket d’entrée d’un montant de 24 milliards de FCFA » et appelant à faire la différence entre l’exécution régulière des termes du contrat liant l’État du Sénégal à Dubaï Ports World et les procédures judiciaires en cours dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Est-elle amnésique au point d’oublier tout cela en mettant les sommes payées par Dubaï Ports Word au crédit de la traque des biens mal acquis ? Cela s’appelle mauvaise foi ou mensonge. Où les deux à la fois.
Paiement d’Abbas Jaber : aucun lien avec la traque des biens mal acquis
À la suite de la Cour des comptes, l’IGE dirigée par François Collin est revenue sur les conditions nébuleuses qui avaient entouré la cession des parts de l’État dans la SONACOS au consortium ADVENS mené par Abbas Jaber. En résumé, voici le problème : le 22 décembre 2004, l’État du Sénégal a convenu de céder 66,90% des actions de la SONACOS au consortium ADVENS correspondant à un prix de vente de 5,352 milliards FCFA déterminé sur la base d’une fausse évaluation (volontaire ?) des fonds propres de la SONACOS (fixée à 8 milliards FCFA) alors que ces derniers étaient réellement de 25,967 milliards comme en faisant foi le bilan comptable de la compagnie au 31 décembre 2004. Ce qui a amené l’IGE à écrire que « force est de constater qu’à l’occasion de sa privatisation, la Société nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (SONACOS) n’a pas été cédée à son juste prix » (Rapport de l’IGE 2015, p. 104). Fait important à noter : le 22 décembre 2004, Karim Wade n’était pas encore un Ministre du gouvernement (il devenu ministre pour la première fois dans le gouvernement dirigé par Souleymane Ndéné Ndiaye à partir du 30 avril 2009).
Suite à la convergence, dans leurs constations et recommandations, des rapports des deux organes de contrôle (Cour des comptes et l’IGE), Abbas Jaber et le consortium ADVENS se sentaient cernés de toutes parts et n’avaient pas d’autre choix que de corriger le prix de cession de la SONACOS dans le sens de la hausse. Cela a abouti au paiement d’une somme supplémentaire de 5,4 milliards de FCFA même si c’était au titre « des taxes, des frais de loyer et des pénalités » (on peut noter, au passage, le caractère dérisoire du montant par rapport aux préjudices subis). Quel est le lien entre le paiement de ce montant et la traque des biens mal acquis déclenchée à l’arrivée de Macky Sall ? Aucun, si l’on se fie à la liste des personnes que la CREI avait l’intention de poursuivre. À noter que ce n’est pas la première fois que Mimi Touré tente, faussement, d’établir un lien entre ces faits. En sa qualité de Ministre de la Justice, elle avait tenté de le faire pour prouver l’efficacité de « sa » traque des biens mal acquis.
Tout ça pourquoi ?
Ces mensonges avec des relents propagandistes que Mimi Touré a fini de nous habituer ne visent qu’une chose : lui permettre de revenir au cœur du pouvoir, à défaut, de continuer à jouir de son train de vie à la charge de l’État avec la pompeuse, creuse et absurde fonction d’Envoyée spéciale du Président de la République. Elle passe tout son temps à appeler les opposants et contradicteurs du régime à des débats basés sur des faits et chiffres et, en ce qui la concerne, elle se fait remarquer par des propos au ras des pâquerettes d’une plate évidence (qui est contre la vertu ?) comme ceux -ci : une personne qui gère les deniers publics est tenue de rendre compte ; elle ne doit pas confondre sa poche avec la caisse de l’État dont elle a la responsabilité de gérer ; le contrôle et la vérification de l’utilisation des deniers publics est un impératif de développement ; de même que la lutte contre le développement ; et tutti quanti.
Elle enfume son monde avec des propos du genre « (…) ce que je percevais était 20 fois plus, voire 30 ou 40 fois supérieur au salaire du maire (…) » (passage 13’20 de l’interview). Les personnes compétentes issues du système onusien, on les connaît et elles reçoivent immédiatement des offres alléchantes dès leur sortie du gouvernement leur permettant de réintégrant la fonction publique internationale au plus haut niveau. Le cas de Matar Diop, premier ministre des Finances de Wade et actuel Vice-Président de la Banque mondiale ainsi que celui d’Éva Marie Coll Seck qui était retournée dans le système international comme Directrice exécutive du partenariat de Roll Back Malaria après sa défenestration sont là pour le prouver. Mimi Touré doit comprendre que sa nomination comme Premier ministre a été un accident de l’histoire qui risque de plus se reproduire, car les sénégalais la connaissent maintenant, à commencer par le premier d’entre nous, le Président Macky Sall.
Ibrahima Sadikh NDour