Il y a eu la route des caravanes et celle des caravelles. Des siècles durant, l’Afrique s’est brutalement vu imposer l’usage de langues étrangères. Du coup, ses enfants sont aujourd’hui contraints de tout reconstruire à partir des systèmes de valeurs des ex-puissances coloniales.
Les premières écoles coraniques naquirent à l’université de Sankoré, à Tombouctou, au Mali. Puis, un siècle plus tard (1603), à l’université de Pire, fondée au Sénégal par Khaly Amar Fall. L’islamisation d’une partie du continent contraignit les Africains à renoncer à leurs traditions.
Par la suite, l’école coloniale utilisa l’arme linguistique pour aboutir au même résultat. Au moment des indépendances, les nouveaux États durent choisir entre trois modèles d’enseignement accordant des statuts bien différents aux langues vernaculaires.
Trois modèles pour l’enseignement
Le modèle monolingue, qui impose l’usage exclusif d’une langue africaine pendant toute la durée de l’enseignement. C’est celui que mirent en place la Somalie et la Tanzanie avec le somali et le kiswahili. Julius Nyerere, le premier président tanzanien, joua de ce point de vue un rôle capital. Mais l’expérience fut un échec.
Le modèle bilingue successif, qui utilise au départ une langue africaine, puis la remplace à mi-parcours par la langue officielle du pays, généralement le français (Burundi, Burkina Faso, Mali, Niger) ou l’anglais (Nigeria). Après le fiasco du monolinguisme, la Zambie fit pour sa part un autre choix…
Le modèle bilingue simultané, qui, à tous les niveaux, recourt conjointement à une langue africaine et à la langue héritée de l’ancien colonisateur. Le Primary Reading Program zambien utilise par exemple sept langues locales couplées à l’anglais.
L’autodéfense culturelle
Considérant ces trois modèles, on dira avec Aimé Césaire qu’il y a deux façons de se perdre : l’une par dilution dans l’universel ; l’autre, par fragmentation dans le particulier. La dilution dans l’universel est un piège inhérent au bilinguisme successif. Différentes expériences en ce sens ont été tentées au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Elles ont abouti soit à des échecs, soit à des succès mitigés. On en vient presque à se demander si le bilinguisme entre les langues africaines et le français n’a pas d’abord pour vocation de contribuer au rayonnement international de cette dernière langue.
D’autres pays ont fait le choix inverse : celui de l’autodéfense culturelle face au français et à l’anglais. Mais ne risquent-ils pas de s’isoler dans un ghetto linguistique ? Pour refonder les écoles africaines, il est essentiel de maintenir un équilibre entre les forces linguistiques en présence. L’avenir est au polyglottisme.
Tirant les leçons du passé, pourquoi ne pas rompre avec le centralisme linguistique européen, qui a montré ses limites dans les systèmes éducatifs africains ? Pas d’émergence économique et culturelle sans les langues africaines, sachant que celles-ci sont les partenaires naturels de l’anglais, de l’arabe, de l’espagnol, du français et du portugais.
Daouda Ndiaye
Juriste et docteur en sciences de l’éducation