Dans ma précédente contribution, j’ai commencé à passer en revue les méfaits de la ‘’générosité’’ déferlante de l’ancien vieux président-politicien. Celle-ci a donné lieu à des frustrations insupportables qui expliquent, pour l’essentiel, les tensions sociales que nous connaissons aujourd’hui. Je rappelle que, comme poussé on ne sait par quelle force, il a profité d’un séminaire pour annoncer des augmentations de salaires et d’indemnités à des niveaux qui en avaient surpris plus d’un. Les premiers bénéficiaires étaient les autorités administratives (gouverneurs, préfets, sous-préfets), les élus locaux et nationaux (les députés). Je n’avais pas précisé, dans ma contribution de mardi dernier, que ces derniers n’étaient pas en reste. L’indemnité mensuelle du député simple passait de 600000 à 1300000 francs, entraînant celle du président de commission qui se tapait 1800000. Quant aux membres du Bureau pléthorique de l’Assemblée nationale (président, vice-présidents, secrétaires, questeurs), ils avaient les mêmes avantages que les Ministres, c’est-à-dire : 2000000 d’indemnités mensuelles (3 millions aujourd’hui + une indemnité de logement d’un million) et 1000 litres de carburant (également par mois), 500000 francs de crédit téléphone, sans compter d’autres avantages substantiels mais invisibles, que le brave député Ousmane Sonko est heureusement en train de remonter en surface.
Le ‘’Fari’’ Wade poussera plus loin encore sa ‘’générosité’’ en s’emparant de la réserve de la Zone de captage. Il la fit morceler sans état d’âme et distribua les parcelles à ses députés et à ses ministres. La première conséquence de sa folle ‘’générosité’’ est que, dès l’installation de l’hivernage qui suivit, les eaux de ruissellement qui n’avaient plus où s’infiltrer, traversèrent l’autoroute pour aller transformer en un grand lac toute la zone de la Cité ‘’Belle Vue’’, y causant des dégâts incalculables. Rien que cette faute devrait lui coûter de graves ennuis. Mais nous sommes au Sénégal, pays de tous les possibles, et il s’en sortit sans frais.
On se rappelle aussi que La mèche des ‘’dessous de table’’ accordés aux gouverneurs, préfets et sous-préfets a été vite vendue par leurs différents adjoints qui, paradoxalement, n’en bénéficiaient pas. Le ‘’généreux’’ vieux président fut saisi par l’Amicale des administrateurs civils qui, au cours d’une audience rapidement accordée, lui suggéra de formaliser ‘’ ses dessous de table’’ par un décret et de l’étendre aux adjoints. Elle ne manqua pas, l’occasion faisant le larron, d’attirer son attention sur le fait que, de nombreux autres administrateurs civils, qui n’exerçaient pas de responsabilités significatives, se trouvaient dans des situations peu confortables.
Leur démarche ne fut pas vaine, car l’insouciant vieux président accorda à tout le corps des administrateurs civils une augmentation de salaire de 180 000 francs répartis sur trois ans (se reporter à ma précédente contribution). L’Amicale des inspecteurs et contrôleurs des Impôts et du Trésor leur emboîtera plus tard le pas et remettra un mémorandum à leur collègue Aguibou Soumaré, alors Premier Ministre. Avec un ultimatum, disait-on. Pourquoi pas, puisque c’est par eux que les recettes rentrent. Ils auront évidemment leur part du gros gâteau, une part naturellement substantielle. Un tollé s’en suivit évidemment et, pour se donner bonne conscience, notre vieux politicien national décida, contraint et forcé, d’augmenter le salaire de tous les fonctionnaires de l’Etat. Augmentation malheureusement dérisoire par rapport à celle accordée aux ‘’princes’’ de sa nébuleuse gouvernance.
Quelques mois auparavant, notre ‘’Fari’’ national avait, au détour d’une audience accordée à l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS), porté leur indemnité dite de judicature de 150 000 à 300 000 francs. L’appétit venant en mangeant et le vieux Président politicien ayant ouvert imprudemment la boîte de Pandore, les magistrats revinrent à la charge quelque temps après et exigèrent 500 000 francs. Contre toute attente, et à la grande surprise des magistrats eux-mêmes, il leur accorda 800 000 francs.
Arrêtons-nous un peu sur cette augmentation substantielle de l’indemnité dite de judicature et expliquons comment elle a été consentie avec autant de désinvolture ! Dans son interview au journal Le Quotidien du mardi 17 mai 2011 (page 13), Me Ousmane Sèye raconte que quand, en 2006, les magistrats ont réclamé l’augmentation de cette indemnité, c’est lui que le président de la République a mandaté pour rencontrer l’UMS, alors dirigée par Mamadou Dème. Reproduisons exactement les propos du médiateur : « Je les ai rencontrés à deux reprises, j’ai rendu compte au président de la République et lui ai donné la bonne information, à savoir que la revendication des magistrats était légitime (…). Il m’a demandé combien demandaient les magistrats, je lui ai dit une augmentation de 500 000 francs sur leur salaire. Il m’a dit de les appeler, qu’il allait leur donner 800 000 francs Cfa. » Voilà, et le tour est joué !
Mais, quelle mouche a-t-elle donc dû piquer notre vieux président, pour qu’il s’empressât d’accorder une indemnité de 800 000 francs, alors que les magistrats n’en réclamaient « que » 500 000 ? Quelle idée avait-il derrière la tête ? Qu’attendait-il d’eux pour se montrer aussi généreux à leur endroit ? En tous les cas, les magistrats, sentant qu’ils tenaient le bon bout, se montreront plus exigeants encore – pourquoi pas – en demandant que cette indemnité substantielle fût exempte d’impôts, et intégrée « dans les émoluments de base servant au calcul de la pension de retraite ». Ils « (estimaient) que ce qu’on leur (donnait) de la main droite, on le (retirait) de la main gauche ». Etaient-ils seuls dans cette situation ? En tous les cas, un premier lot de parcelles de terrains leur fut octroyé, auxquels viendront s’ajouter 70 autres, peut-être pour calmer leur ardeur à avoir toujours plus. Et l’insouciant vieux président maintenait le rythme de cette bienveillante attention à leur endroit. Sur leur forcing, il avait fait adopter par le Conseil des ministres du jeudi 14 février 2008, « un projet de loi organique modifiant l’article 40 de la loi organique n° 92-27 du 30 juin 1992 modifiée, portant statut des magistrats. Et ce, pour pouvoir donner trois ans de plus aux magistrats » (L’AS du vendredi 15 février 2008, page 2). L’Amicale s’était opposée avec vigueur au maintien en fonction de leur collègue Guibril Camara, alors Président de la Cour de Cassation : il était question de lui accorder une prolongation d’activité de trois ans. Réunie en assemblée générale le 7 janvier 2006, l’Amicale se disait alors prête à attaquer devant le Conseil d’État, tout acte pris en faveur du maintien de M. Camara (L’AS du vendredi 3 février 2006, page 3). « Il n’est pas normal que l’on prolonge le mandat de Guibril Camara, alors qu’il est atteint par la limite d’âge », s’était insurgée l’Amicale qui poursuivait : « Nous l’avons déjà dit lors de notre dernière assemblée générale, le texte qui prévoit sa prolongation a été prorogé. C’est donc illégal qu’il soit maintenu. En tant que magistrats, nous ne pouvons cautionner un acte illégal. » Et l’Amicale ajouta, comme pour conforter son argumentaire : « Et puis, Guibril Camara n’est pas indispensable. Il y a des juges qui peuvent le remplacer magistralement. » Deux ans après, nos amis magistrats s’estimaient indispensables et demandaient la prolongation d’activité de trois ans, qu’ils refusaient catégoriquement à leur collègue Camara. Il est vrai que, entre temps, les 800 000 francs d’indemnité de judicature qu’ils ne sont pas arrivés à faire exempter d’impôts et intégrer « dans les émoluments de base servant au calcul de la pension de retraite », sont passés par là. Il fallait continuer donc à en bénéficier pendant trois ans supplémentaires.
L’attention particulière (et calculée) portée à ces privilégiés de la République, plus exactement de notre vieux président-politicien, allait soulever des vagues de protestations. Interrogé sur la question au retour d’un voyage au Brésil, il ne trouva d’explication à la crise qui chauffait le front social que celle-ci : « J’ai décidé d’augmenter les salaires des magistrats qui gagnaient entre 250 et 300 000 francs Cfa. Est-ce acceptable pour quelqu’un qui rend la justice, qui tous les jours, décide sur des dossiers qui portent sur des millions et des milliards ? Maintenant un magistrat qui sort de l’ÉNA, il prête serment, il gagne un salaire de 800 000 francs. Je l’assume. » Et le Président, sachant bien que ce choix pouvait poser problème, d’ajouter : « On m’a dit que si vous le faites, les membres de telle ou de telle catégorie vont revendiquer, mais ceux-là n’ont qu’à aller dans la magistrature. La magistrature est le pilier de la Nation. Un pays où il n’y a pas de justice, ce n’est pas un pays. Je l’ai fait et heureusement que j’ai été suivi. »
Voilà la réponse facile du Président de la République à la crise alors en cours. Un Président de la République qui ne connaissait même pas le montant exact des salaires et des indemnités qu’il augmentait avec autant de désinvolture, qui se contentait de « on m’a dit, on m’a dit » ! Qui était ce « on » ? « Ceux-là n’ont qu’à aller dans la magistrature » ! Quand même ! Est-il donné à tout le monde d’aller dans la magistrature ? Et, pour se donner bonne conscience, il ajouta : « La magistrature est le pilier de la Nation. (…) Je l’ai fait et heureusement j’ai été suivi. ». Par qui a-t-il été suivi ?
Voilà les arguments vraiment tirés par les cheveux du vieux président-politicien ! Je les passerai en revue dans ma contribution du mardi. En attendant, Je précise, en direction de mes compatriotes dont je cite parfois les corps auxquels ils appartiennent, que je n’ai aucun contentieux avec eux. Pourquoi en aurais-je d’ailleurs ? C’est qu’il arrive qu’un pays vive des moments difficiles, très difficiles, si difficiles parfois que se taire devient un délit, surtout quand on a quelque chose à partager. Notre pays vit justement ces moments-là du fait, pour l’essentiel, de notre ancien ‘Fari’’ national qui a mis notre administration sens dessus dessous et détraqué notre système de calcul des salaires et d’octroi d’indemnités diverses. Par sa ‘’générosité’’ coupable, il a créé, ça et là, des inégalités et des frustrations insupportables, dont vous aurez davantage le cœur en lisant mes prochaines contributions.
Mody Niang