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«wolof Jaamu Joolaa»: Pour Que La Casamance Fasse Passer «ce Passé Qui Ne Passe Pas*»

Il y a une bizarrerie qui enveloppe les monstrueuses tueries de la forêt BOFA d’un feuillage trop touffu. En effet, l’adresse à la nation, le 31 Décembre 2017, du Président Macky, empreinte d’un souci affirmé d’apaisement, a intelligemment intégré cette dimension humaniste de la reconnaissance tacite de l’exception culturelle casamançaise en traitant les combattants du MFDC de frères et en leur rappelant qu’ils ne sont en rien des vaincus, parce qu’il n’y a pas de vainqueur. Ce discours a fait mouche dans le cœur de tout joolaa initié et va dans la bonne direction. Le porteur de la culture joolaa ne peut donc pas réagir négativement ou violemment à une telle invite à moins qu’il ait choisi de violer son serment. C’est eu égard à cette considération culturelle que j’écarte la responsabilité du MFDC dans cette boucherie de BOFA jusqu’à preuve du contraire établie par une enquête juste et indépendante de la Police ou/et de la Gendarmerie Nationales qui sont encore sur les lieux des crimes. Par contre, il peut bien s’agir de combattants du MFDC agissant en solitaires; auquel cas ce sont ni plus ni moins que des bandits, des criminels et il convient de les traiter comme tels avec toute la rigueur requise.

A noter simplement que ce sont les flammes de l’incendie qui intéressent les « sapeurs pompiers » tandis que le « feu sous la cendre » ne profite qu’à ceux qui ont intérêt à se réchauffer et ces derniers sont naturellement contre son extinction.

Ce n’est pas le rôle de l’armée de traquer ceux qui se « réchauffent » (ils sont curieusement dans les deux camps qui s’affrontent en Casamance et sont souvent insoupçonnables). Les forces de police et de Gendarmerie seraient évidemment mieux indiquées.

Je ne crois pas qu’une armée qui allume des incendies en crachant du feu, a vocation à éteindre le « feu sous la cendre » ; c’est le métier « des sapeurs pompiers ».

Des facilitateurs falsificateurs en passe de devenir de vrais ‘’complexificateurs’’

C’est ce qui rend très inconfortable la position des membres du Collectif Casamançais. De culture joola qu’ils partagent avec les combattants du MFDC, ils sont accusés par ces derniers de renier leur héritage culturel en défendant les positions de l’Etat du Sénégal pour avoir été colonisés par l’idéologie wolof. Ce n’est pas toujours vrai; mais c’est la perception qu’en ont leurs interlocuteurs du MFDC qui font preuve d’une grande méfiance à leur égard; ce qui est très préjudiciable à leur démarche de facilitateurs.

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De l’autre côté, chaque fois qu’ils parlent en tant que joolaa (ce qui est on ne peut plus normal et naturel), les tenants du pouvoir central les suspectent de rouler pour les indépendantistes. Du coup, ils sont obligés de s’en tenir à une posture d’équilibristes qui a pour conséquence de desservir la cause de la Casamance et du Sénégal en retardant l’avènement d’une paix définitive en Casamance, à leur corps défendant (je le leur concède). Alors qu’il aurait été plus simple pour eux et plus utile pour la Casamance et le Sénégal que ces membres du Collectif se comportassent naturellement comme de vrais joolaa conformément à leur culture tout en expliquant aux autorités ce que cela signifie et comment s’y prendre avec les combattants du MFDC pour créer rapidement les conditions d’une réconciliation nationale et d’une paix irréversible. Surtout que, en tant que cadres, anciens hauts fonctionnaires de l’Etat pour la plupart d’entre eux, ils ont une connaissance détaillée de nombre de pratiques contreproductives et regrettables des différents Chefs d’Etat qui se sont succédé à la tête du pays et de leurs administrations depuis l’Indépendance du Sénégal.

Construction collective d’une mémoire heureuse

Pour la première fois, la paix est à portée de main et doit être actée.

Il faut juste OSER affronter notre contradiction sociologique majeure en anticipant la construction d’une « Mémoire Heureuse », par une représentation positive du passé à travers l’invention de repères gais au sein de toute la société sénégalaise. Bien évidemment, cela doit intéresser tout le monde et chacun doit y mettre du sien; certains, certes plus dynamiques et plus volontaristes que d’autres, mais tous résolument engagés dans un élan salvateur d’une responsabilité collective réparatrice. Ce cadre de confiance une fois créée par une reconnaissance collective et sincère des évènements passés qui ne coûte rien à personne, alors le décor est enfin planté pour une représentation heureuse des multiples souvenirs noirs qui les ont construits. Ensemble, les sénégalais décideront enfin la commémoration collective et nationale de certains faits vécus par les casamançais et qui continuent de hanter individuellement la mémoire de certaines victimes. Ces dernières se sentiront légitimement soulagés, tandis que les militaires, les officiers et leur Chef suprême (le Président de la République) ne devront y voir qu’un acte majeur de défense nationale autant ou plus glorieux que celui posé avec des armes pour défendre valeureusement notre territoire et protèger la nation. Ainsi, nous aurons décidé de privilégier un mode de pensée qui nous permet de jouir de la vertu de l’oubli par l’assainissement collectif de la mémoire commune longtemps polluée par le culte de la mémoire. Pour y arriver, nous devons, tous sénégalais, prendre le contrepied de Nietzsche qui, lui, considère l’oubli comme un phénomène naturel qu’il oppose à la mémoire «…l’oubli s’oppose à la mémoire qui n’est qu’un artifice, et fait devenir objet de contemplation tout ce qui touche au passé ». Nous nous devons, par conséquent, de faire preuve d’humilité en commençant par  l’apprentissage simple, courageux et fructueux de l’engendrement de la décision collective de nous souvenir de ce qu’on a détesté sans jamais l’adorer, juste pour retenir ensemble les leçons d’un passé douloureux que nous nous interdisons de reproduire.

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La situation de la Casamance concerne chaque sénégalais. C’est une période douloureuse de notre histoire que nous devons assumer pour éviter de la subir. Elle a profondément marqué notre histoire récente et présente. Certains sénégalais ont certes subi plus que d’autres les évènements qui s’y sont déroulés, mais heureusement, nous partageons tous le sentiment que cela n’honore personne et n’est pas gratifiant pour notre cher Sénégal; c’est ce sentiment commun de regret qui constitue un atout précieux pour tous ceux qui sont animés par une volonté de construire la paix dans cette partie meurtrie du territoire national. 

Faits et méfaits culturels : Nos tares congénitales jamais pointées du doigt

Contre le poids de l’idéologie et de la culture, appelons LA PHILOSOPHIE A LA RESCOUSSE. Loin de moi l’idée saugrenue de me focaliser sur les références ethniques qui sont par essence innées et toutes valeureuses, mais n’ont, par conséquent, aucun mérite particulier; je convoque plutôt les cultures qu’elles génèrent. C’est pourquoi je me limiterais aux seules deux cultures (wolof et joolaa) en conflit dans la crise casamançaise. Pourtant toutes les ethnies du Sénégal se retrouvent heureusement aussi bien dans l’armée que dans le MFDC. Mais je parle de pesanteurs culturelles acquises à travers différentes étapes de la vie.

Alors, je vais risquer une caricature suggestive, à mes risques et périls, pour déclencher la procession dans la bonne humeur. Pour moi, les délices de la tolérance ne sont rien d’autre que les larmes d’un amour déçu. Par conséquent, je nous invite à nous élever pour bannir la Tolérance et la Crainte en épousant l’Amour et le Respect. Rien que ça !

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La chance des Wolofs, c’est qu’ils oublient vite et tolèrent tout; c’est leur faiblesse. Tant qu’ils sont victimes, c’est de l’humanisme. C’est du mépris et de la condescendance chaque fois qu’ils ont tort. Bien heureusement ils l’ignorent.

La force des joolaa, c’est qu’ils n’oublient jamais et sont rancuniers; leur malchance. Tant qu’ils sont victimes, c’est le culte de la mémoire. C’est de la haine et de la méchanceté gratuites, quand ils ont tort.

Pour dire que l’idéologie wolof regorge de tous les atouts nécessaires à la pacification des espaces relationnels aussi bien en Casamance que dans toutes les contrées du Sénégal. En réalité, la culture wolof n’a jamais usé de suffisamment d’arguments philosophiques pour se faire comprendre et accepter par la culture joolaa. Elle n’a certainement pas jugé nécessaire de justifier son hégémonisme et pourtant la culture wolof colonise en douceur, même si ce n’est ni de manière intentionnelle, encore moins violente; mais cela conduit malheureusement à son rejet systématique par la culture radicale joolaa. La culture wolof est plus légère, plus ouverte et plus spontanée. Elle subit peu ou pas de pesanteur; c’est elle qui doit par conséquent faire l’effort d’offrir les leviers qui permettront d’actionner les rampes de lancement pour des retrouvailles constructrices autour d’une paix véritable et définitive qui est à portée de main aujourd’hui, comme jamais avant.

Enfin, que celui qui a tort se confesse et  demande pardon même s’il est fort, si son désir de paix est sincère. Que celui qui a subi du tort soit généreux et pardonne si seule la paix est sa préoccupation.

En attendant, je décrète « Joolaa jaamu wolof ».

 

Cheikh BASSENE

 

*Propos empruntés à Paul Ricoeur

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