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La Casamance : Les Racines Du Mal

“Etre radical, c’est prendre les choses par la racine. Et la racine de l’homme, c’est l’homme lui-même.”

Karl Marx / Critique de “La philosophie du droit” de Hegel

Le constat est unanime : le conflit sénégalais en territoire transfrontalier de la Casamance a survécu aux temps des régimes politiques. Ma conviction est qu’une compréhension des origines du malaise exige de faire abstraction des résultantes du conflit et d’élever ainsi notre perspective au-delà du bruit des armes. Mon postulat est que les ingrédients de la frustration sont territoriaux, sociologiques et fatalement liés à l’inadéquation des instruments de gouvernance. Cette inadéquation touche d’ailleurs d’autres régions, même si la Casamance est la seule à observer une réaction violente. Ainsi, nous délaissons donc les approches simplistes pour embrasser la complexité. Nous refusons d’emblée la politisation, le sensationnel et les stigmatisations d’un conflit qui serait soi-disant « casamançais ». Toujours dans une approche objective contributive et technique, nous allons aborder ce fait social-total.

Posons la seule véritable question : Comment, dans un État démocratique sortant de la colonisation, un sentiment de frustration a-t-il pu incuber et dégénérer en un conflit armé opposant l’appareil de gouvernance à une rébellion dans un territoire naturel bien spécifique ? Voilà une question qui nous fait comprendre que notre attention ne doit pas se focaliser sur le moment de la prise des armes et des ripostes subséquentes. En réalité, le bruit des armes n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le conflit n’est qu’un point de rupture et de convergence de dynamiques historiques, éco-géographiques, sociologiques et transfrontalières (dont la complexité n’a jamais été appréhendée et intégrée à notre dispositif de gouvernance) spécifiques à la Casamance. Il n’y a donc pas eu de rupture avec le dispositif hérité du colon.

Nous pouvons donc maintenant mesurer que l’enjeu réside dans l’outil de gouvernance et qu’un tel défi implique une introspection et une mutation du dispositif de gouvernance auquel, malheureusement, le politicien africain tient énormément à cœur. La triste réalité est donc que l’appareil de gouvernance hérité du colon est l’enjeu fondamental ici. Rappelons qu’une nation est une construction du peuple via l’appareil étatique et que l’appareil du colon, lui, est plutôt un outil de déconstruction de ces peuples. En effet, le dispositif organisationnel du colon vise la déstructuration des dynamiques sociologiques et l’extraction des ressources par les chemins de fer et comptoirs de commerce. L’héritage du mal est donc un système d’administration des hommes dans une logique de commandement des terres et de domination des libertés. Dans cette perspective, l’objectif n’est pas de rechercher la gouvernabilité, la cohésion sociale et la territorialisation des politiques publiques. Le colon vise la domination et le vol des ressources. Son appareil fonctionne suivant deux modes : la centralisation et la déconcentration du pouvoir porté par un gouverneur. Alors que la construction nationale exige une mutation vers un dispositif en quatre modèles d’action : autonomisation, décentralisation, déconcentration et concentration.

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Nous avons donc voulu gouverner une nation avec l’appareil de gestion d’un dominateur. Après les indépendances, et au fil des décennies, le Sénégal des territoires naturels en équilibre se gangrena par la macrocéphalie, l’exode rural, l’émigration, la ruralité, signe de pauvreté et la promiscuité urbaine. La ruralité est reléguée au second plan dans nos plans de développement et on ne s’y intéresse qu’en mode d’urgence (PUDC). L’axe Dakar-Thiès concentre les efforts du gouvernement (avec des projets non planifiés et à l’ingénierie financière dévastatrice pour notre économie) et le centre du pays est en perfusion grâce l’arachide, le commerce et l’émigration via l’éthique mouride. Pour le reste (Walo, Fouta, Boundou, Sine-Saloum et la Casamance), c’est la désolation, avec les inégalités, les exclusions et les frustrations. Pour ces territoires trois options s’offrent : l’exode des meilleurs, la résignation des faibles et le refus des isolés.

De tous ces territoires souffrant d’une logique étatique d’administration des hommes en toute impunité, d’ajustements structurels, d’appauvrissement et de justice inféodée à la raison d’état du parti avant la patrie, la Casamance était l’unique territoire avec 3 atouts majeurs pouvant lui permettre une perspective d’autonomie :

  • 1- L’atout premier est la composition sociologique très similaire avec les nations dans la sous-région. Et cela permet aux peuples de la Casamance d’avoir d’autres accointances et des perspectives ;
  • 2- Ensuite, nous avons le second atout de la dimension transfrontalière qui permet une vie au-delà de la frontière au moment où les capitaux collectifs sont brisés, bridés et usurpés (vols organisés et légalisés du foncier, zircon, bois etc.…).
  • 3- Enfin, des 8 territoires du Sénégal, la Casamance est le plus homogène, avec une éco-géographie distincte, calquée sur un imaginaire social et historique très vivant et un tissu économique résistant, car reposant sur des ressources spécifiques.

Nous devons comprendre que la pérennité de toute rébellion est liée au fait que les gouvernants ne comprennent pas que leur force n’est pas dans les armes, mais bien dans le fait qu’une frange de la population, à un moment précis a eu à partager une même frustration, tout en regrettant avec désolation et amertume le choix des armes dont elle est la première victime. À ce moment précis de notre réflexion, nous comprenons alors que l’objectif stratégique pour une résolution de ce conflit, sera d’estomper avec transparence, équité et en toute humilité le sentiment de frustration camouflé aujourd’hui par le désarroi, la tristesse et la peur, rien qu’à l’évocation du conflit.

In fine, nous avons donc hérité d’un appareil inapte à assurer la participation citoyenne, l’équité territoriale à travers une justice impopulaire, muselée et aveugle. Bien que plusieurs territoires en souffrent, le territoire le plus fort et le plus à risque géo-stratégiquement est bizarrement la victime la plus convoitée.

Retenons que l’instrument de gestion des droits et liberté qu’est le gouvernement est avant tout un ouvrage de raison et d’intelligence. Le raisonnement sur les enjeux sociologiques, spatiaux, économiques et dans une perspective d’unité nationale dans l’équité et l’équilibre doit être le fil d’Ariane vers le développement de notre nation et l’émergence de notre économie. Pour que le Sénégal redevienne l’étoile polaire pour la marche vers l’émergence africaine, nos leaders devront autonomiser le contrôle de gestion et la justice, territorialiser l’appareil de gestion stratégique du développement, décentraliser le budget pour ne se préoccuper que du bien être de l’enfant, de la femme, du travailleur, de l’homme d’affaire sénégalais et de la vitalité de nos milieux et cadres de vie.

Après 30 ans de conflit, les populations veulent tourner la page. Pour cela, il faut que le dispositif de gouvernance leur donne le pouvoir d’agir et des raisons de se battre pour un projet de territoire. Les populations sont la solution à la sécurité, à la paix et au développement. Et ne nous y trompons point, derrière l’épreuve de la Casamance, repose la rampe d’émergence de toute une nation.

 

Moussa Bala Fofana

Ancien conseiller technique du Gouvernement du Sénégal

Banquier / Développement des Entreprises au Canada Expert en Planification, Développement Territorial & Ingénierie urbaine. ctfofana.matcl@gmail.com

https://www.facebook.com/moussabala.fofana

Moussa Bala FOFANA

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