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Ce Que M’inspire La Rue

Ce Que M’inspire La Rue

Il y a quelques mois, de passage à « Présence Africaine », à Paris, Bintou, la petite-fille de Christiane Yandé Diop me demanda si j’avais lu Elgas, je répondis par la négative et elle m’offrit « Un Dieu et des moeurs ». Cette phrase ouvrant le livre, « On ne soupçonne que très peu la providence qu’assure la misère », décrit de façon magistrale le fatalisme chez les Sénégalais et me fait penser à un autre grand Africain Ahmadou Kourouma, avec son roman paru en 2000 aux éditions du Seuil, « Allah n’est pas obligé ».

La fougue et la jeunesse d’Elgas nous rappellent que notre société a besoin d’une véritable révolution citoyenne, certes pas copernicienne mais il est toutefois urgent d’oeuvrer pour une transformation radicale des mentalités et attitudes si nous voulons aller dans le sens du progrès. Il est vrai que je ne pourrai pas évoquer tous les sujets qui font l’objet de préoccupations à mon niveau personnel, néanmoins j’en choisirai quelques-uns.

Tout d’abord, ce qui frappe, c’est l’illettrisme chez l’adulte. Des faits anodins le prouvent à merveille. Par exemple, vous vous trouvez dans une rue, à la recherche d’indications et de repères susceptibles de vous orienter vers un endroit déterminé, tâche souvent ardue car les rues de Dakar ne sont pas toujours numérotées ou nommées. Et il s’y ajoute l’érection de nouveaux bâtiments souvent sans harmonie, reflet d’une urbanisation galopante qui défigure la ville. Vous tournez en rond et vous voilà bloqué. Soudain, vous êtes nez-à-nez avec un adulte qui pourtant exerce une activité dans la zone depuis bien longtemps et lorsqu’en désespoir de cause, vous sollicitez son concours, c’est bien souvent lui qui va tout simplement vous détourner de votre chemin alors que vous étiez tout proche du but. Pourquoi ?

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Parce que tout simplement, il n’est jamais arrivé à lire l’enseigne d’une échoppe, la plaque apposée devant la porte ou le nom d’une école qui lui sont pourtant si familiers dans son environnement quotidien. Ce sentiment d’une prégnance de l’illettrisme se trouve renforcé par la situation des jeunes qui sont certes allés à l’école mais ne se donnent pas les moyens d’entretenir leurs maigres connaissances. Ces jeunes, déscolarisés très tôt, viennent grossir à rebours les rangs des adultes qui n’ont jamais été à l’école.

Pourtant tout le monde n’est pas totalement analphabète car beaucoup de nos concitoyens ont appris le Coran ou savent lire l’Ajami ou le Wolofal. Seulement leur contact avec l’alphabet arabe ne signifie pas une maîtrise de la langue de Taha Hussein ou de Nagib Mahfouz. Finalement l’Arabe ne leur est pas d’un grand recours dans les actes de la vie quotidienne.

Il y a urgence à agir! Par exemple, il existe à notre avis, une corrélation entre l’illettrisme de certains chauffeurs et le nombre élevé d’accidents sur les routes. On se rappelle que pendant les premières années de l’indépendance, on exigeait des chauffeurs de transport en commun, au moins l’obtention d’un certificat d’études primaires. A l’époque les cours du soir pour adultes faisaient florès.

Pourtant, il est possible de noter des expériences intéressantes sur le continent africain où l’analphabétisme se trouve vaincu. Des langues comme l’Amharique, le Swahili sont usitées dans l’espace public des pays comme l’Ethiopie, ceux d’Afrique de l’Est ; ce qui facilite la communication des citoyens concernés.

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En attendant que le relèvement du taux de scolarisation ait un réel impact sur la vie quotidienne ou que la codification de nos langues nationales se répercute dans l’espace public, on peut se poser la question de savoir s’il existe des alternatives. L’utilisation de l’image, des enseignes lumineuses ou des directives sonores peuvent servir de palliatifs. L’éducation de base, dans les années soixante dirigée par Amadou Mahtar Mbow en faisait un large usage. Les adultes aussi doivent manifester une réelle volonté en s’inscrivant à des cours du soir ou des cours à domicile.

Il me semble que rien n’empêche qu’on puisse renouer avec l’action citoyenne et donner un sens au bénévolat et à l’engagement. Il n’y a guère longtemps, des intellectuels, des ONG comme ANAFA (Association Nationale pour l’Alphabétisation des Adultes) organisaient des séances d’alphabétisation pour adultes. Vers la fin des années 70, le mouvement maoïste, les militants de la Révolution Nationale, Démocratique et Populaire (RNDP) envoyaient dans les campagnes et les zones déshéritées les jeunes volontaires à l’effet d’alphabétiser les populations. Est-il possible d’évaluer l’impact de ces expériences? À l‘époque, certains adultes achetaient les rares journaux (Les Pape Alé et Ahmed Aidara n’avaient pas encore pignon sur rue) que leur lisaient et traduisaient leurs enfants ou petits-enfants. Malgré le rôle des radios et l’ingéniosité de nos compatriotes, le fait de ne savoir ni lire ni écrire reste un véritable fléau.

Il est urgent de redonner vie à des pratiques « intellectuelles ». Les lectures commentées dans des groupes de quartier, l’émulation à travers un art oratoire dans toutes les langues (je ne suis pas très sûre qu’on maitrise toujours nos propres langues), l’ouverture vers les autres cultures même africaines (attention, le Sénégalais se ferme de plus en plus sur lui- même malgré son goût du voyage). On peut insuffler aux différentes organisations que sont les associations de toutes sortes d’autres fonctions et tâches qui ne soient uniquement des fonctions ludiques ou solidaires, notamment au moment des cérémonies familiales mais également et surtout de formation citoyenne. Il s’agit là d’une manière de recréer le lien social pour une amélioration qualitative du sujet-citoyen.

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La deuxième préoccupation que je voudrais évoquer très rapidement car j’y reviendrai est la rue comme site de tous les travers de la société sénégalaise : indiscipline, refus de la modernité, trottoirs transformés en une infinité de marchés, de garages, d’ateliers, de lieux d’habitation, de mise en scène de la misère, etc. Pourtant, il est impératif d’imaginer des solutions. Seule une éducation multidimensionnelle qui part de la sphère familiale, en passant par l’école, les daaras modernes et traditionnelles, le service militaire obligatoire, que sais-je encore, pourra transformer en profondeur la société sénégalaise. Les véritables changements ne viendront pas du sommet vers la base mais d’une oeuvre patiente des éléments les plus avancés au sein de la société. C’est cela le sens véritable d’un mouvement citoyen.

 

Penda MBOW

pmbow@seneplus.com

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