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Le Destin De L’afrique : Innover Pour Exister : La Monnaie Numérique Pour Succéder Au Franc Cfa

Le Destin De L’afrique : Innover Pour Exister : La Monnaie Numérique Pour Succéder Au Franc Cfa

A l’origine : indépendance avec dépendance

Au lendemain des indépendances, les pays africains francophones ont hérité, entre autres, d’une Constitution, d’un système juridique, d’un cadre économique et financier et d’une monnaie. Nous étions dans les années soixante et du jour au lendemain, il fallait prendre la relève et conduire les jeunes Etats vers de nouveaux horizons. L’élite, ceux qui étaient instruits, étaient des produits du système colonial. Les conditions du changement firent qu’ils prirent le temps de dessiner et bâtir des modèles solides adaptés aux défis qui les attendaient, à l’exemple des pays asiatiques. Ils ont donc naturellement dirigé les pays selon les références de gouvernance européennes. C’est ainsi que s’est perpétué le modèle colonial tout en fragmentant les grandes zones homogènes d’influence en une multitude de petits et faibles Etats qui avaient en commun leur passé francophone. De fait, cet héritage se renforçait pendant que tous les porteurs de solutions alternatives pour créer une Afrique pour les Africains furent combattus sans pitié, et les rares tentatives de rassemblement d’Etats échouèrent devant les enjeux internationaux qu’étaient la guerre froide et la préservation de la mainmise des grandes puissances sur les ressources minières du continent.

Beaucoup de ces pays furent traversés par des successions de coup d’Etats, générant une instabilité politique incompatible avec la construction d’une Nation prospère. D’autres instituèrent le modèle du parti-Etat privant le pays de l’apport du génie de toute une partie de leur population dans la construction des Nations-Etats. Au bout d’une vingtaine d’années, la plupart des Etats étaient en faillite pour cause principalement de mauvaise gestion. Incapables de se réinventer, les dirigeants firent appel à «l’ancienne» puissance coloniale pour trouver des solutions économiques de survie de leur régime. Des institutions telles que la Banque mondiale, le Fmi, les Club de Paris, de Londres et les différentes coopérations bilatérales avec les pays occidentaux dictèrent des choix de gestion étatique qui n’ont pas réussi à amorcer durablement un développement susceptible de profiter à une grande majorité de citoyens. Au contraire, au fil des années et des endettements des Etats, les bailleurs décidèrent des priorités de ces pays. Résultat : le peu de tissu industriel fut cassé et des domaines aussi importants que l’éducation et la santé subirent des cures dont on n’a pas encore fini de payer le prix.

Aujourd’hui, nous approchons 2020 et ces pays sont confrontés à un sous-développement endémique. Face à ce fléau, certains d’entre eux ont mis en place un plan dit émergent qui, finalement, perpétue le même modèle de développement, c’est-à-dire construit sur un fort endettement. Ces plans en vogue, établis par des cabinets et des task forces qui conseillent des schémas d’intégration dans la mondialisation, déclarent des bilans faisant apparaître des taux de croissance qui sont brandis aux bailleurs et au Peuple comme preuve d’une stratégie probante. Cependant, d’une part, les économies restent fragiles, car adossées à des revenus découlant de ressources dont les tarifs varient, d’autre part, ces plans ne se traduisent pas par l’amélioration des indices de développement humain, et la capacité de nos économies à faire face sur le long terme aux charges financières reste incertaine. Et in fine, il est sûr qu’à part la Chine, presqu’aucun pays ne peut faire face au système mis en place par l’Occident pour gouverner le monde, et la mondialisation en est la pierre angulaire.

Pour preuve, ainsi s’exprimait M. Jim Yong Kim, président du groupe de la Banque mondiale, le 2 février lors du sommet de Dakar sur l’éducation, en répondant à la question sur ce qu’il pensait des 6% de taux de croissance atteints par le Sénégal : «Maintenir sa forte trajectoire de croissance représentera un défi pour le Sénégal, étant donné la conjoncture actuelle : les conditions extérieures favorables dont le pays a bénéficié ces dernières années, à savoir la faiblesse des cours du pétrole, des taux d’intérêt mondiaux et de l’euro sont en train de s’inverser. Le Sénégal devra notamment accélérer et approfondir des réformes essentielles, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des technologies de l’information et de la communication, et de l’agriculture.»

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Il traduit le sentiment que le Sénégal, comme tous les autres pays de la zone ouest africaine, ne maîtrise pas son destin malgré les récentes découvertes de gisements de gaz et de pétrole.

Les pays de l’Afrique occidentale partagent des espaces économiques et financiers que sont la Cedeao et l’Uemoa (ancêtre de l’Umoa, créée en 1962), créées respectivement 1962 et en 1994. Ces institutions n’ont pas assuré le rôle d’accélérateur de croissance inclusive. Elles sont des répliques des administrations nationales, c’est-à-dire que les Présidents y placent des amis politiques qui perpétuent des modèles venus d’ailleurs et les budgets comprennent un apport substantiel de fonds occidentaux ou chinois, ce qui limite l’indépendance des décisions.

Ce qui nous emmène à mettre sur la table la question suivante : «Quelles sont les facteurs qui bloquent l’élaboration d’un schéma basé sur un autre paradigme, afin de trouver les voies et moyens de créer un ou des pays capables de faire face aux besoins de leur population ?»

La question se pose au moment où dans ces pays, composés en très grande partie d’une population de jeunes qui ont une conscience citoyenne en construction, aspirent à ce que, très rapidement, leur soient proposées des gouvernances radicalement différentes de ce qui est en cours. Il est certain que si aucune politique ou début de solutions susceptibles de leur redonner foi à la possibilité d’un avenir meilleur chez eux ne leur est proposé, ces pays seront sous la menace de révoltes, de djihadisme et autres voies obscures complètement en rupture avec ce qui est appliqué dans leurs pays depuis des décennies, à savoir le modèle occidental qu’ils admirent tout en se le représentant comme source de tous les maux. Il nous faudra une union forte avec des schémas de développement mettant les intérêts africains au premier plan, et s’affranchir de la forte influence des autres modèles.

La monnaie en question des pays de l’Uemoa

Une des questions majeures de ces voies pouvant apporter un réel changement est celle du franc Cfa pour les pays de l’Uemoa. Alors, faut-il garder le franc Cfa ou créer une autre monnaie ? La monnaie étant un attribut de souveraineté, alors c’est aux Etats d’en décider la philosophie.

On parle d’utiliser une monnaie qui servirait comme levier de développement à l’instar des pays du Maghreb, du Nigeria ou du Ghana. Il s’agit d’améliorer notre compétitivité, de booster nos infrastructures, de garder nos ressources chez nous et surtout de régler ce problème psychologique qu’est ce sentiment de non-indépendance que nous vivons en gardant le franc Cfa dans les conditions actuelles.

Le système financier de nos pays repose sur un écosystème où la grande majorité des banques sont européennes ou maintenant maghrébines, et font le jeu de leurs actionnaires et non celui de nos Etats. Logique. Cela se traduit par «la fuite» d’énormes richesses créées dans le pays vers les zones, quelques fois paradis fiscaux, où se trouvent les sièges et les actionnaires. Elles sont sur liquides, car elles servent surtout de banques de dépôt et non d’investissement. Les seuls financements qu’elles octroient vont vers les grandes entreprises et les prêts à la consommation de clients salariés ou fortunés. Quand on connaît la sociologie de nos pays, on voit rapidement qu’elles laissent de côté les plus gros pourvoyeurs d’emplois que sont le secteur et les clients informels.

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Cependant, la décision de sortir ou rester dans le franc Cfa n’est pas facile à trancher. Plusieurs débats se posent :

– Peut-on confier la responsabilité de la souveraineté monétaire à des chefs d’Etat qui se maintiennent au pouvoir, qui utilisent les deniers publics pour s’enrichir et distribuer des prébendes à leurs militants et qui laissent une grande partie des citoyens dans le dénuement total ?

– Si le président de la République du moment joue le parfait jeu démocratique, qu’en sera-t-il du suivant ?

– Nos petits Etats et leurs faibles économies seront-ils en mesure de prospérer dans cette mondialisation ?

– Si des Etats membres ont un conflit, préservera-t-on les intérêts économiques ?

– A-t-on fait appel aux spécialistes de la monnaie pour élaborer un schéma de sortie viable ainsi qu’une nouvelle tenant compte d’une stratégie économique claire ?

– Les pays de la zone ont des économies très différentes. Iront-ils ensemble ?

– Comment intégrer le Ghana, le Nigeria, les deux Guinées et d’autres pays non Cfa ?

– Quelle stratégie avec le Maroc qui toque à nos portes ?

Il convient de franchir ces étapes, ce qui prendra du temps, d’autant qu’à part la commission mise sur pied dans les années 2010 pour étudier la question, on n’observe aucun empressement des chefs d’Etat à se saisir de la question. Pour illustration, à la dernière réunion annuelle du 5 octobre 2017 des ministres des Finances de la zone Cfa à Bercy, l’une des conclusions a été «le renouvellement de l’engagement des pays africains pour le développement de la zone franc : malgré les différentes manifestations de rejet du franc Cfa, les ministres n’ont en aucun cas remis en cause cette monnaie… Une sortie n’est pas à l’ordre du jour… Le statu quo était là pour longtemps».

Une autre monnaie, mais laquelle et dans quelles conditions ?

Dans un tel contexte politique de statu quo, il appartient aux citoyens de la zone de créer les conditions qui imposeront le changement. Il s’agit de faire converger différentes compétences pour impulser un ou des modèles alternatifs afin d’arriver à un système viable et compatible à l’aspiration des citoyens. On fera appel aux économistes, aux financiers, aux juristes, aux politiques, aux citoyens et aux technologies. Dans cette optique, pourquoi ne pas explorer la monnaie numérique ?

La monnaie numérique ou cryptomonnaie

L’Afrique a déjà innové en vulgarisant le système de transfert d’argent électronique. Il a pu prospérer parce qu’il a permis aux populations de mener des transactions commerciales et financières sans passer par les banques qui les avaient bannies pour non-conformité aux critères traditionnels d’un client. Aujourd’hui, ce système s’est imposé par le volume des échanges sur le marché financier et la diversité des usages, avant de faire l’objet d’évaluation, de législation et de régulation de la part des Etats. Son succès et sa simplicité ont favorisé le développement des offres de services, offrant des frais de transaction sensiblement moins élevés que ceux que pratiquent les banques. C’est indéniablement un success story et un pied de nez à un système qui se refuse à toute évolution et qui crée ses richesses en appliquant des frais élevés et obscurs de transaction à ses clients ainsi que des agios tout aussi prohibitifs à ceux qui traversent des difficultés. L’exemple des transferts d’argent illustre qu’il est possible d’arriver à changer de paradigme malgré tous les obstacles mis par les puissants qui tirent profit du système en cours. Il doit être un cas d’école pour aborder les voies et moyens de régler des problèmes de société.

Bitcoin, blockchain, de quoi s’agit-il ?

On entend parler de monnaie numérique, de bitcoin, blockchain. On ferait mieux de prêter attention à ces mots inconnus du grand public et récemment créés. L’inscription de ces sujets dans l’agenda du G20 de mars 2018 démontre à ceux qui doutent de leur sérieux qu’en haut lieu on s’y intéresse de près. Si les prévisions de leur évolution se confirment, on peut s’attendre à une révolution semblable aux conséquences de l’arrivée d’internet dans le monde.

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Quelques repères

Le blockchain ou chaîne de blocs : c’est la technologie qui sous tend le bitcoin, ou les autres monnaies numériques telles que l’ether ou le ripple. C’est un logiciel ouvert, qui stocke et transfère de la valeur ou des données via internet de façon transparente et sécurisée, et sans organe central de contrôle. Les données sont hébergées dans plusieurs serveurs dont ceux d’utilisateurs. On appelle cela une architecture décentralisée. Chacun peut personnellement vérifier la validité de la chaîne sans le recours d’un intermédiaire. Les informations contenues dans les blocs pouvant être des transactions, des titres de propriété, des contrats ou autres informations sont protégées par des procédés cryptographiques qui empêchent les utilisateurs de les modifier a posteriori.

C’est donc une base de donnée partagée et distribuée qui ne peut être effacée ni modifiée (inviolable). On apporte du partage, de la transparence et de la confiance.

On devine que ces caractéristiques technologiques trouvent des applications dans beaucoup de domaines et pourraient révolutionner des secteurs, à commencer par les banques et les assurances pour du transfert d’actifs (monnaie, titres, actions…), mais aussi pour une meilleure traçabilité d’actifs et produits ou encore pour exécuter automatiquement des contrats (des «smart contracts»).

Bitcoin signifie pièce (de monnaie) numérique

Ces mots ont été évoqués dans le grand public la première fois en 2008 par Satoshi Nakamoto (ce ne serait pas son vrai nom) ; il décrit un système de monnaie électronique en pair à pair. Il a été créé suite à la crise financière 2007-2008, dans le but de court-circuiter les banques. Le système est censé mettre le citoyen au cœur des échanges. Satoshi Nakomoto rêvait d’une devise apatride avec comme principe : une communauté dont les membres partagent des valeurs et se font confiance et donc une alternative au système bancaire mondial qui a montré ses limites avec la chute de Lehman-Brothers.

Le bitcoin est l’usage le plus connu de la technologie blockchain. Il désigne à la fois un protocole de paiement sécurisé et anonyme et une crypto-monnaie.

N’importe qui peut accéder à cette blockchain (elle est publique, donc ouverte à tous) et donc utiliser des bitcoins. Pour ce faire, il suffit de créer un portefeuille virtuel, téléchargeable sur les stores d’applications. La crypto-monnaie permet d’acheter des biens et services et peut être échangée contre d’autres devises.

En contribution au débat sur l’intérêt de garder ou se départir du franc Cfa, je lance l’idée que les start-up africaines développent une monnaie numérique commune qui prendra le relais des monnaies électroniques. Ce ne sera pas le bitcoin ou ether, mais une autre, basée sur la technologie blockchain qui appartient à toute l’humanité. Ce système cohabitera avec celui historique des banques héritées du système colonial. Il est à parier que les lignes bougeront et cette reprise en main du citoyen dans ce domaine très obscur, pour la plupart d’entre eux, sera de nature à modifier les rapports de force dans les négociations sur la gouvernance de l’équivalence des richesses créées, à savoir la monnaie. Les citoyens africains trouveront dans cette technologie les voies et moyens, mais surtout l’occasion de prendre en main un pan de leur destin.

Alors, «que vaut le débat sur le franc Cfa quand la monnaie numérique pointe plus que jamais son petit nez» ?

 

Mme DIOP Blondin  Ndèye Fatou NDIAYE

Consultante Télécom

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