Politique et religion ont toujours pu cohabiter aussi bien dans les régimes anciens que dans les républiques modernes. Même dans les plus grandes monarchies de l’histoire, la religion d’une façon ou d’une autre, a toujours aidé les politiques dans leur règne. Et les politiques ont principalement eu à recourir aux hommes religieux pour pouvoir mieux administrer leur territoire.
Dans le passé, la religion était pour la plupart du temps au service des princes, monarques, rois, etc. Mais les temps modernes ont vu l’émergence d’hommes religieux d’un tout autre type. En effet, si la laïcité a fini par étendre ses tentacules dans la plupart des régimes politiques, il n’en demeure pas moins que politiques et religieux continuent d’avoir certaines connivences. Et dans l’histoire de notre nation, religion et politique ont toujours cheminé côte à côte d’abord dans le Sénégal des royaumes et ensuite avec l’arrivée de l’administration coloniale. Alors qu’est-ce qui a changé pour mériter une place dans notre analyse ? Quelle est exactement cette évolution qui fait tant baver les politiques et dont personne ne peut minimiser les impacts ?
Depuis 2012, ou même bien avant, les rapports politico-religieux sont plus de nature conflictuelle que complémentaire. Les hommes religieux ne sont plus consultés et impliqués dans la marche du pays, à moins que ce soit pour régler des problèmes comme ceux notés dans le système éducatif. Aujourd’hui, la plupart refuse de rester dans ce rôle de sauveteur, de sapeur-pompier, dont on ne sollicite les services que quand le danger est là. L’origine de ce conflit émane du fait que les religieux, ayant ras-le-bol de subir les caprices des différents régimes, décident de se lancer dans la politique purement et simplement.
Chaque président a en effet eu son groupe de marabouts qui le soutiennent et un autre qui, même s’il ne le combat pas, ne le supporte point non plus. Si le régime socialiste avait en face de lui Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum, Le régime libéral fut acculé par des marabouts tels que Serigne Mansour Sy Djamil de Bess DU Niakk et Imam Mbaye Niang du MRDS. On se rappelle encore les piques de Farba Senghor à l’encontre des jeunes marabouts qu’il toisait en ces termes : « Petits marabouts, taisez-vous » ! Après cinq ans de règne, le président Macky Sall fait face à une armada de marabouts désenchantés et qui décident de ne plus laisser le terrain libre aux politiciens.
L’engagement politique des chefs religieux n’est pas pour autant accepté et toléré par ces hommes politiques. Nombre de politiciens, de mauvaise foi, essaient de confiner les marabouts au daara et à la réception de l’aumône ou hadiya. Que c’est simpliste de dire à un honnête homme, qui plus est un leader d’opinion : « arrêtez-vous ici » ! Si la politique c’est la gestion des affaires de la cité, alors qui est mieux placé qu’un chef religieux pour savoir ce qu’il faut ? Si, comme disait Général De Gaulle, « la politique est une chose trop sérieuse pour qu’on la laisse aux politiciens », devrions-nous continuer à subir l’arrogance des politiques sans broncher ?
Les hommes religieux sont ainsi stigmatisés et victimes d’injustice de la part des politiques qui veulent les réduire à leur plus simple expression : religion seulement. Et pourtant dans une démocratie et un Etat de droit, tout le monde jouit des mêmes libertés et privilèges. Tout le monde, sans exception, doit pouvoir aspirer à exercer ses droits confinés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Mieux encore, s’il s’avère que le chef religieux est un citoyen ordinaire, il lui est alors tout à fait légitime et légal de jouir de son droit d’élire et d’être élu tant qu’il n’en est pas déchu.
Ce qu’il y a lieu de constater c’est que les chefs religieux ont décidé de ne plus être faiseurs de rois. Ils ont choisi d’agir au lieu de subir. Ils ont choisi d’être actif et non passif. Combien sont-ils à avoir fréquenté les plus prestigieuses écoles supérieures et universités de l’Etranger pour rivaliser avec un homme tel que Serigne Mansour Sy Diamil ou son ami Serigne Abdou Fatah Mbacké, récemment arraché à notre affection? Ils sont nombreux, ces petits-fils de marabouts qui ont roulé leur bosse partout dans le monde à la recherche de savoir et de compétence. De retour au pays, ces braves hommes et femmes doivent pouvoir demander le suffrage des sénégalais si cela leur tente. Car il vaut mieux un intellectuel doublé de religieux (musulman ou chrétien) que cent intellectuels simples aux idées occidentales excentriques.
Le débat sur l’engagement des religieux dans la politique m’apparaît ainsi stérile dans la mesure où rien de tangible ne sous-tend leur dénigrement. Depuis les temps coloniaux, les religieux ont toujours été aux côtés du citoyen, du disciple, et lui ont pourvu du savoir et d’humanisme. La trajectoire de beaucoup d’entre eux dont Cheikh Ahmadou Bamba nous a appris que personne n’est à l’abri du pouvoir autoritaire de l’Etat ou de ceux qui l’incarnent.
Etant entendu que seule la force peut faire marcher la société en bien ou en mal, avec des lois et décrets de toutes sortes, il est primordial que les hommes honnêtes s’imprègnent dans la politique. Il ne faut plus jamais laisser le choix et l’occupation du terrain aux hommes politiques. Seuls ceux qui sentent leurs intérêts menacés en viennent à demander que soit établie une barrière infranchissable entre religion et politique qui ont pourtant rayonné ensemble partout. Si force doit rester à la loi, pourvu que cette force soit entre les mains les plus magnanimes qui soient !
Ababacar GAYE