Le 04 septembre 1957, Sidney Lumet réalisait un film intitulé 12 hommes en colère (twelve angry men) qui demeure toujours d’actualité de par sa pertinence de par la problématique des failles de la justice et du jugé qu’il soulève. Dans ce film culte, un jeune homme d’origine modeste est accusé du meurtre de son père et risque la peine de mort. Le jury composé de douze hommes se retire pour délibérer et procède immédiatement à un vote : onze votent coupable, or la décision doit être prise à l’unanimité. Le juré qui a voté non-coupable, sommé de se justifier, explique qu’il a un doute et que la vie d’un homme mérite quelques heures de discussion. Il s’emploie alors à les convaincre un par un.
Pour reprendre le titre de ce film, on peut dire qu’il y a 15 726 037 sénégalais en colère et que la vie d’une nation mérite quand même quelques heures de discussion. Je suis consterné quand je suis ce qui se passe à l’Assemblée qui ressemble plus à la ferme des animaux de Georges Orwell qu’à une quelconque instance délibérative qui parle pour le peuple et à son nom. Aujourd’hui plus que jamais, les députés sont les soldats de la cause du Parrain qui, du haut de sa haute autorité, commande, recommande et décommande. Ces soi-disant représentants du peuple se positionnent comme une télévision à la demande dont le chef de l’état a le monopole du zapping.
Quand je pense au Chef de l’Etat, ma mémoire m’oriente toujours vers Geppetto, le personnage principal des Aventures de Pinocchio, un pauvre menuisier italien, qui, après avoir fabriqué par accident dans un morceau de bois à brûler un pantin, celui-ci lui fait tout de suite des tours et il lui arrive de nombreuses aventures qu’il n’arrive pas à maitriser. Les tours de ces pinocchio qui nous représentent sont dans le fait qu’ils pensent servir le Geppetto président alors qu’ils l’enfoncent. De même que le nez de Pinocchio s’allonge à chacun de ses mensonges de même le courroux de la population va croître à chacune de leurs forfaitures.
Je pense intimement qu’on mérite le minimum de respect de la part de ces députés. S’il fallait rester une semaine à débattre au niveau de l’hémicycle pour ausculter le projet de loi, la moindre des choses c’était de le faire. La censure des débats témoigne ainsi à souhait que l’intérêt du peuple n’est pas au fondement de leurs préoccupations. Nous les logeons, nous les blanchissons, nous les procurons une foultitude de privilèges pour qu’ils débattent avant de délibérer, parce que comme le montre Selon Hervé Pourtois, la condition d’argumentation, c’est-à-dire le processus qui vise à choisir le meilleur argument en faveur d’une thèse, et la condition de participation, qui permet de faire reconnaître différents points de vue moraux sur une question, sont essentielles à l’idéal de la démocratie délibérative.
Pour terminer je dirais simplement que le Président et ses députés ne peuvent pas vouloir notre bien plus que nous. S’ils le font, ils me feront penser à ce passage de La ferme des animaux que je reprends. Les animaux de la ferme de Jones ont fait une révolution en le chassant de sa propriété. Mais à peine au pouvoir, les têtes de file commencent à changer d’attitude. Interpellés notamment sur le fait qu’ils s’approprient certains privilèges comme boire et manger sans partage le lait et les pommes, les cochons répondent ceci : « Vous n’allez tout de même pas croire, camarades, que nous, les cochons, agissons par égoïsme, que nous attribuons des privilèges. En fait, beaucoup d’entre nous détestent le lait et les pommes. Si nous nous les approprions, c’est dans le souci de notre santé. Le lait et les pommes renferment des substances indispensables au régime alimentaire du cochon. Nous sommes, nous autres des travailleurs intellectuels. La direction et l’organisation de cette ferme reposent entièrement sur nous. De jour et de nuit nous veillons à votre bien. Et c’est pour votre bien que nous buvons ce lait et mangeons ces pommes ».
Président ce que vous faites, ce n’est pas pour notre bien. Aujourd’hui, vous avez crée 15 726 037 en colère vos partisans y compris parce qu’ils vont se casser la tête pour vous défendre.
CHEIKH AHMADOU ABDUL GUEYE