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Repenser Le Logiciel De L’action Syndicale

Après trois mois de grève, Etat et enseignants sont parvenus à un accord qui met un terme à la longue crise qui a paralysé le secteur de l’Education. Si les enseignants sont contraints, chaque année, pour obtenir gain de cause devant un Etat autiste, irresponsable et inconscient, envoyer en congés forcés les apprenants, n’y a-t-il pas lieu pour eux de repenser une autre stratégie de lutte efficace et moins déstabilisatrice ?

A la veille de la Fête du travail du 1er mai, l’Etat vient de signer un protocole avec les six syndicats les plus représentatifs du secteur de l’enseignement regroupés au sein du G-6 mettant ainsi un terme à 90 jours de grève. Le point d’achoppement qui bloquait de façon rédhibitoire l’avancée des négociations a connu une seconde revalorisation de 15 000 francs, ce qui va porter progressivement l’indemnité de logement des enseignants à 100 000 francs en janvier 2020. Des garanties ont été données par la partie gouvernementale à travers le Premier ministre qui a donné l’assurance de l’instauration d’unguichet unique destiné à mettre fin aux lenteurs administratives dans l’avancement de la carrière professionnelle des enseignants. La paix des braves a été signée et la hache de guerre enterrée même si des syndicats non représentatifs (Féder,Intercadre) ont décidé, dans un baroud d’honneur, de poursuivre momentanément la grève. Le calendrier scolaire a été réaménagé avec à la clé à un prolongement de deux semaines de la durée des enseignements et un décalage des examens.

Les enseignants ont obtenu, à bon droit, une bonne partie de ce qu’ils exigeaient depuis 2014. Mais au finish, les élèves ont été les agneaux sacrifiés sur l’autel de ce bras de fer interminable entre enseignants et Etat. L’inflexibilitéde ce dernier qui s’est heurté au jusqu’auboutisme radical des enseignants a fait des victimes innocentes : les élèves de l’école publique. Ainsi les apprenants payent le lourd tribut d’une bataille qu’ils n’ont point déclenchée. Malgré les sorties de quelques autorités du ministère de l’Education nationale pour rassurer que le temps perdu sera rattrapé, malgré les assurances de quelques syndicats qui pensent que l’ingéniosité de l’enseignant peut créer des miracles salvateurs dans le sens de combler le déficit d’enseignement durantle temps de la grève, le mal est irréparable parce que démesuré. Le spectre d’une année blanche a été exorcisé mais l’année scolaire est profondément affectée par ce trou abyssal de 90 jours de repos forcé pour les élèves de l’école publique. Pour mettre du baume au cœur des élèves concernés et de leurs parents, les autorités académiques prendront le soin et la prudence de proposer aux examens des épreuves dont elles sont sûres qu’elles traitent de sujets déjà été traités en classe. Autrement dit, enseignés en début d’année ou durant le premier trimestre ! C’est la meilleure manière pour éviter d’endosser la responsabilité d’une hécatombe aux examens d’entrée en 6e, du CFEE, du BFEM voire du Baccalauréat.

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L’Etat, principal coupable de la crise scolaire

Mais, dans cette dégradation de la situation scolaire, force est de convenir que l’Etat est plus coupable que les syndicats. En effet, si nous en sommes aujourd’hui à cette situation désastreuse que tout le monde déplore, c’est à cause de l’irresponsabilité du ministre de l’Educationnationale, de son manque de clairvoyance et de prévoyance. Il y a deux ans, ce sont les mêmes doléances qui avaient plongé l’enseignement dans une situation similaire. N’eût-été la sagesse du défunt khalife généraldes Tidianes, ElAbdoulAziz Sy Al Amine, on allait frôler la catastrophe avec les mesures de radiation envisagées par l’Etat. On pensait que l’année suivante caractérisée par une accalmie dans le secteur de l’Education allait être mise à profit pour la relance du dialogue inclusif et fécond destiné à résoudre les revendications scellées depuis les assises de l’Education de 2014 où seuls des accords jugés par le gouvernement lui-même « réalistes et réalisables» avaient été actés. Hélas ! Le ministre socialiste de l’Education a rangé dans ses tiroirs les doléances des enseignants,suscitant, par une telle posture,la colère de ces derniers qui s’indignent de sa morgue, son mutisme et son manque d’ouverture.

Serigne Mbaye Thiam, facteur bloquant

Cette grève pourtant évitable a montré que Serigne Mbaye Thiam est le facteur bloquant du secteur éducatif. Son manque d’ouverture au dialogue, ses relations tendues avec certains leaders syndicaux comme Abdoulaye Ndoye du Cusems et Saourou Sène du SAEMSS, son esprit divisionniste ont exacerbé les rapports entre le gouvernement et les organisations de travailleurs du secteur de l’Education. Son discours comminatoire d’apparente fermeté n’a fait que corseter ses rapports avec les enseignants. A cela, se sont ajoutées ses dernières maladresses lors de sa catastrophique conférence de presse où il annonçait on ne sait dans quelle intention la reddition de quatre syndicats du G-6. Et ce, au moment où le Haut conseil du Dialogue social, sous la direction de Mme Innocence Ntap Ndiaye, la Cosydep (Coalition des organisations en synergie pour le développement de l’école publique) de Cheikh Mbow et d’autres partenaires sociaux étaient en conclave avec le G-6 pour sauver la situation scolaire inquiétante voire désespérante. Cette façon singulière de communiquer avait été interprétée d’ailleurs comme une volonté manifeste du ministre en question de ravir à ces négociateursla paternité exclusive de la résolution salvatrice de la crise qui secoue l’école depuis trois mois.

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Repenser le mode d’action et la stratégie de lutte syndicale dans le secteur éducatif

La grève est suspendue pour cette année, mais il convient assurément de tirer les leçons de cette longue crise qui vient de s’achever. D’ores et déjà, nous semble-t-il, l’action syndicale, surtout dans le secteur de l’enseignement, doit être repensée. Au sortir de cette situation plus ou moins chaotique, il urge de revisiter le logiciel de lutte syndicale. Parce que, dans une grève d’enseignants, et toujours, les premières et principales victimes sont les apprenants. « Quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent », dixit l’adage.

Il ne s’agit nullement de remettre en cause ici une liberté universelle que constitue le droit de grève. Rappelons que le droit syndical fait partie de la panoplie de droits conquis au prix de longs combats par la classe laborieuse luttant pour de meilleures conditions de travail, des couvertures sociales et médicales minimales et une protection contre les licenciements abusifs ou arbitraires. Le droit de grève est un droit constitutionnel. La Constitution du Sénégal autorise les travailleurs à adhérer à un syndicat de leur choix et à défendre leurs droits par l’action syndicale. Indépendamment du préambule de la Constitution qui consacre le respect et la garantie intangible des libertés syndicales, l’article 25, en ses alinéas1, 3 et 5 stipule que « Le travailleur peut adhérer à un syndicat et défendre ses droits par l’action syndicale. Le droit de grève est reconnu. Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination des conditions de travail dans l’entreprise.»

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Même si la grève a permis au monde des travailleurs, au prix de hautes luttes et de sacrifices désintéressés, d’engranger des acquis indéniables relatifs à leurs conditions de travail, toutefois il faut souligner que la grève telle qu’elle est pratiquée en certaines occurrences est déstabilisatrice. L’action syndicale est né- cessaire, utile. Mais telle qu’elle est pratiquée outrancièrement aujourd’hui, elle devient abusive voire nuisible. La cessation des cours est-elle un mode d’action efficace même si, in fine, elle peut valoir des acquis de taille à la partie revendicatrice ? Si les conséquences sont bénéfiques pour les enseignants revendicateurs, elles sont désastreuses pour la formation boiteuse des élèves. Les enseignants doivent, devant l’autisme de l’Etat, se départir de leur tendance jusqu’au-boutiste psychorigide, et s’éviter ainsi la colère des Sénégalais excédés par ces grèves répétitives dont les seules victimes innocentes sont leurs enfants. Le syndicalisme superpuissant, « gréviculteur», jusqu’au-boutiste et déstabilisateur doit disparaitre au profit du syndicalisme diplomatique, négociateur, proposant des alternatives constructives.

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