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Pour Un Nouveau Sursaut Démocratique

Bien que la loi sur le parrainage ait fait voir rouge à l’opposition, alors que certains mécontents ont ressorti leur brassard rouge et que des agences onusiennes ont lancé une alerte rouge sur la faim pour le nord du pays, la couleur rouge est à la fête au Sénégal. Elle a été choisie comme emblème par la biennale Dak’Art 2018. Cette couleur associée à l’expression d’Aimé Césaire « l’heure rouge », est le signe d’une énergie émancipatrice et transformatrice.

Avec la perspective du ramadan, de la coupe du Monde de la FIFA et des vacances scolaires lors de l’hivernage, une période de point mort envers la campagne présidentielle s’annonce. Ne serait-ce pas l’ultime chance pour les acteurs politiques sénégalais, a fortiori pour ceux issus des rangs de l’opposition, de plancher sur ce que pourrait être l’âge de raison de la démocratie sénégalaise ? L’heure rouge de la démocratie sénégalaise a sonné ! Une prise de position constructive et positive attendue, en phase avec les aspirations de la jeunesse sénégalaise et les nouvelles synergies de la société civile.

L’évolution du modèle démocratique sénégalais en question. Deux régimes politiques se sont succédé, parachevant le modèle démocratique sénégalais que la communauté internationale cite en exemple dans la sous-région. Le premier se déclinait comme suit : stabilité, autorité, discipline, tolérance, marxisme. Le second : alternance, libertés, indiscipline, citoyenneté, libéralisme. Chaque régime tirait sa légitimité des exigences de son époque : la stabilité senghorienne dans le cadre d’un nouvel Etat indépendant, l’alternance wadiste après 40 ans de régime socialiste.

Depuis l’accession au pouvoir de Macky Sall, les cartes sont brouillées. Indiscutablement, il poursuit la politique économique libérale de son prédécesseur. Mais sa doctrine politique est un cocktail panaché entre formules senghoriennes et wadistes. Le président pioche dans le premier modèle démocratique senghorien pour reconstruire un Etat fort au dam des libertés publiques. De ce point de vue, le Sénégal glisse dangereusement (si l’on défend les valeurs du libéralisme politique) vers une poutinisation de sa démocratie. La CREI, expression d’une justice soviétique par excellence, sorte de léviathan judiciaire à la sénégalaise, a été verticalement pilotée par d’anciens trotskistes. Revoilà le rouge, couleur symbolique du communisme !

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Avec les derniers transhumants-allégeances issus de la famille libérale, Macky Sall embrouille davantage le jeu politique. Pourtant, il n’est pas assez idéologue pour refonder une famille libérale. C’est avant tout un pragmatique. A la poutinienne, il cherche à déstabiliser l’opposition en vue de la réduire à sa plus simple expression. A moyen terme, Macky Sall mise sur l’ordre et le pouvoir afin d’arriver au bout des efforts de l’émergence, aidé en cela à l’horizon par la manne pétrolière et gazière. Il compte sur la reconnaissance des sénégalais pour conserver le pouvoir. Et ce peut-être au-delà de ce que l’on peut imaginer, dans l’aspiration et inspiration d’un Erdogan et Poutine ! La déclaration d’un nouveau palais présidentiel en la présence du président turc (annexe, pas résidence) incarne ce nouvel autoritarisme, sur fond d’une démocratie souveraine (contre la judiciarisation de la CEDEAO) et d’un panafricanisme de circonstance. Certains opposants se trompent lorsqu’ils décrivent un président faible, c’est tout le contraire ! C’est lui le maître de l’opportunité des poursuites judiciaires. Et bien plus encore !

L’exigence d’une nouvelle synthèse démocratique. Le déroulement du jeudi 19 avril nous conforte sur la conception démocratique de Macky Sall. Il s’est appuyé sur la discipline des sénégalais imposée par Senghor, il a eu raison. A l’opposition parlementaire, il leur a objecté la « dictature » de la loi sur la base du fait majoritaire. Aux leaders de l’opposition, il les a tous mis à distance par la garde à vue. Il a légitimement remporté la bataille politique de la loi relative au parrainage républicain. A ce jour, les sénégalais se livrent à leurs occupations habituelles. Chapeau l’artiste !

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L’opposition quant à elle, s’englue dans des considérations juridiques et politiciennes mal comprises par les sénégalais. Seulement, une voix s’est élevée au-dessus de la mêlée le 19 avril, celle de Me Aïssata Tall Sall. La démocratie, a-t-elle rappelé, c’est la règle du nombre de plusieurs hommes, le consensus c’est le fait des grands hommes. C’est une bonne façon de reprendre l’initiative politique. Et ça parle aux sénégalais ! Ces mots consensus, sagesse, symbiose, synthèse sont intrinsèquement liés à la régulation sociale, culturelle, religieuse et familiale du quotidien des sénégalais.

La démocratie sénégalaise actuelle souffre de vrais contre-pouvoirs. Bien entendu, l’indépendance des trois pouvoirs républicains est un enjeu crucial. Une ancienne analyse de Me Abdoulaye Wade sur l’époque senghorienne fait écho à la situation politique actuelle : « Les trois corps se rejoignent dans le creuset du parti unique qui distribue des ordres ». Toujours selon l’ancien président, pas de démocratie, sans démocrate ! Ce sont les hommes qui font les institutions, pas l’inverse. Ce sont les grands hommes qui garantissent la vie démocratique, pas ceux qui ambitionnent la simple survie politique.

Sur ce dernier point, il serait approprié de réfléchir à l’instauration d’un autre conseil constitutionnel, accolé d’une nouvelle appellation plus proche socio-culturellement du Sénégal. Un organe d’un nouveau genre qui romprait sa filiation directe avec la constitution de la Vème République. Dans la conception française, le gardien de la loi fondamentale est une juridiction. Peut-être est-cela une erreur pour les Etats africains ! La constitution est plus qu’un simple texte juridique, c’est un contrat social, un texte de science politique. Il respire toute l’histoire d’un pays. Et là, dans ce nouveau conseil constitutionnel, le Sénégal pourrait songer à y intégrer les sages issus des forces vives de sa société. Pas se limiter à des professionnels du droit ! Un vrai conseil des sages avec des pouvoirs indépendants réels et des compétences élargies à l’esprit du consensus pour garantir un nouvel équilibre démocratique. Ce serait une sorte de Toguna à la malienne (invitant à l’humilité dans l’exercice du pouvoir et à sa non-confiscation) dont les membres seraient désignés par un parrainage citoyen (c’est à la mode !) et engageraient leur responsabilité devant ces mêmes citoyens.

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Dans la sous-région, les transitions démocratiques se multiplient même si celles-ci demeurent fragiles. Le Sénégal n’a plus un quasi-monopole dans ce domaine-là ! Si le Sénégal veut conserver son rang de chef de file, son modèle démocratique doit être repensé, réinventé pour l’ériger en un nouveau laboratoire démocratique mondial. Ce pays ne peut pas se permettre d’être la lanterne rouge. Messieurs les artistes politiques à vos stylos, à votre biennale…

 

Emmanuel Desfourneaux

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