Monsieur le Président de la République,
En tant que citoyenne impliquée de la diaspora afro-américaine et sincère patriote de la République du Sénégal, je viens respectueusement solliciter votre attention sur des faits concernant la Place de l’Europe à Gorée. En fait, un pan de notre histoire vient d’être travesti avec cette inauguration à grande pompe. Je ne ferai pas une lettre kilométrique pour faire toute la genèse de l’esclavage, de son impact sur l’Afrique et des séquelles que trainent encore tous ceux dont les ancêtres ont été déportés en Amérique, en Europe et en Océanie.
Je me contenterai d’être qu’un porte-voix qui rappelle que l’Europe, après la découverte de l’Amérique, a orchestré sa mise en valeur grâce à la traite négrière. Donner le nom du vieux continent à une place sur l’île de la Porte du non-retour, d’où partaient à jamais des vies volées, est un second crime, une offense à la mémoire des victimes, une insulte à leurs descendants et de tous ceux qui en ont subi les dommages collatéraux. En somme, cette situation ne concerne pas exclusivement le peuple sénégalais et les Afro-américains, elle blesse aussi nos voisins des pays limitrophes.
Le nom de cette place se murmurait depuis des années sans que l’on veuille vraiment y croire. Mais, voir sa mise en beauté et l’inauguration officielle fut un choc pour toute la diaspora, au-delà de nos frontières. De plus, nous, fiers Sénégalais, devons désormais baisser la tête devant les regards accusateurs de nos frères noirs d’ailleurs. Comment justifier la célébration du bourreau sur les lieux où, pendant 4 siècles, se faisait la plus grosse saignée démographique de l’humanité ? Comment réagir, sachant que pour le génocide juif, ils ont eu droit à des demandes de pardon, un musée de l’holocauste et une déclaration de crime contre l’humanité ?
Rappelons que c’est le commerce triangulaire, du 16e au 19e, qui a rendu riche l’Amérique, l’Europe et a financé la révolution industrielle. Pourtant, il n’y a eu que des conséquences désastreuses sur l’Afrique, particulièrement sur les côtes du Sénégal, du royaume du Dahomey et du Congo où vivaient le peuple yoruba, une « race » très prisée par les maîtres des champs de coton, de tabac, de canne à sucre, etc.
Malgré notre courte mémoire collective, l’esclavage et la traite des Noirs demeurent des souvenirs encore douloureux. Parce que ce commerce a arraché les plus jeunes et les plus forts de leur terre et famille. Il a confisqué leurs droits et libertés dès qu’ils furent vendus comme esclaves. Il est, par conséquent, périlleux pour notre identité ne pas réagir, en débaptisant cette Place de l’Europe qui justifie et donne un sens à ces horreurs. Je le répète, l’esclavage a été une source de revenus des puissances européennes. Il fut le socle de l’économie de la plupart des civilisations occidentales. L’Afrique à donc payé, de force, sa part de sacrifices pour toutes ces inventions, avancées technologiques et médicales qui font, aujourd’hui, le bonheur de l’humanité. Aidez-nous donc à conserver la seule chose qui lui reste : sa dignité. J’ai essayé, auparavant, en vain, de m’adresser à M. Senghor, le maire de Gorée. Cependant, son personnel n’a jamais donné suite à mes appels. C’est donc dans le but de ne pas être la risée internationale et pour atténuer nos peines que j’ai pris mon courage à deux mains pour vous écrire.
Monsieur le Président de la République, je viens solliciter votre aide, au nom des pouvoirs qui vous sont conférés, de nous aider à relever la tête aux yeux du monde. Je vous le demande solennellement, Excellence, au nom des âmes d’exilés qui souffrent, errent et planent sur l’île de Gorée depuis des siècles à la quête de la paix. A la mémoire de M. Joseph Ndiaye qui a pris les armes pour libérer la France et raconter au monde entier l’histoire de la traite négrière, débaptisez cette place. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes salutations les plus distinguées.
Charlène-Rokhaya JAYE
Consultante & Formatrice
en Management – Canada