C’ est maintenant officiel, reconnu et prouvé. Il existe bien des Djihadistes Sénégalais. Ceux qui nourrissaient encore quelques illusions ou versaient dans le déni de réalité ont vu leurs espoirs balayés par le procès Iman Ndao et ses 30 codétenus. Comme un grain de poussière par les bourrasques de la tempête. D’ ailleurs, des peines allant de 30 ans à la perpétuité, ont été requises pour une vingtaine d’ entre eux.
Maintenant que l’ infâme réalité a fini par se faire prégnante dans les esprits les plus récalcitrants, quelles réactions face à cette Nakba? cette catastrophe?
Pour notre part, ces réactions doivent être au nombre de trois:
L ‘ émotion.
c’ est ce que nous vivons actuellement. La surprise, la stupéfaction, qui sont d’ailleurs proportionnelles à la stratosphérique et systémique découverte.Le Djihadisme, ce n’ est plus uniquement pour les Syriens, Irakiens, Saoudiens, Maliens, Nigériens et autres Nigérians ou Libyens.Nous autres Sénégalais , réputés débonnaires et placides y sommes plongés jusqu’ au cou.
Ce moment d’émotion est tout à fait naturel, voire salutaire car pouvant servir d’ électrochoc et de catalyseur . Aussi ne doit-il pas être émollient, inhibant et hypnotisant. Surtout, il doit être le plus court possible afin de passer rapidement à la seconde réaction:
La réflexion
Il nous faut nous poser les questions essentielles et ne pas nous contenter d’ explications superfétatoires, comme quoi, se trouvant dans un environnement géopolitique d’expansion terroriste et Djihadiste , notre pays ne saurait faire exception. Tous ces pays Africains ou Arabes,gagnés par le djihadisme ont plus ou moins une tradition de violence politique, ethnique ou religieuse.Que cette même violence rejaillisse cette fois sous étendard de la charia, n’ est qu’une simple variante, le substratum demeure immuable .
L e Sénégal a lui toujours échappé aux coups d’ état, guerre ethnique ou religieuse. Il n’y a pas de tradition de violence structurelle au Sénégal. Comment alors expliquer que certains des nôtres eussent éprouvé le besoin non seulement de rejoindre Al qaida, l’ Etat Islamique ou Boko Haram, mais pire d’ envisager l ‘ implantation de Wilaya en vue d’ instaurer la loi Islamique dans leur pays? quel ressort s’ est brisé?
La vérité est qu’au Sénégal, on note l’ inexistence de ces remparts qui contribuent à mettre le citoyen à l’abri de certains risques ou aléas:
Un système éducatif exhaustif, inclusif et performant qui fournit au citoyen un blindage intellectuel qui le rend assez fort pour ne pas répondre à l’ appel de sirènes, dussent-ils être des prosélytes Salafistes.
Certains avocats l’ont compris qui ont axé leurs plaidoiries dessus: l’ ascendance psychologique que les recruteurs de Boko Haram avaient sur leurs clients qui,pour beaucoup sont, soit analphabètes , soit des déchets scolaires.
Une politique économique génératrice et redistributrice de richesses qui permet aux citoyens une vie décente et digne.
Là aussi, le procès l’ a prouvé. Tous ces jeunes qu’on a convaincus de se rendre chez Boko Haram ou au Mali sont de pauvres hères qui n’ avaient même pas le billet . On leur a payé le voyage ( 150000f à chacun ) tout en leur faisant miroiter l’assurance de trouver un travail là bas.
Des têtes et des ventres vides. Peut-on rêver de terreaux plus fertiles pour semer des graines de haine et transformer de pauvres et paisibles diables en aspirants au djihad et au martyr?
Nous avons eu à surprendre la conversation de deux femmes juste avant le début du procès. Nous n’ en revenons toujours pas.
L’ une disait à l’ autre avec une naïveté et un détachement incroyables : Dans le quartier, tout le monde savait que le mari de Coumba Niang et de Amy Sall était un terroriste. Des propos corroborés par l’ interrogatoire de certains prévenus. L’ appartenance de Mactar Diokhané à Boko Haram était connue de la famille. Un secret qui a fini par se retrouver dans le voisinage.
Dans un pays normal, avec des citoyens bien éduqués et conscients, une telle information aurait atterri depuis longtemps sur les bureaux de la police. Or , il a fallu la maladresse inexplicable de Abu Hamza Ndiaye, qui le 7 juillet 2015, publia sur sa page Facebook des photos de Sénégalais morts en Libye, suivies de menaces contre Macky Sall pour mettre la police en branle. Autrement dit, sans cette bourde du terroriste, leur funeste projet aurait connu au moins un début d’ exécution.
Le seul et unique véritable rempart contre la déferlante Salafiste qui a fini de gangrener tous les pays de l’ Afrique de L’ ouest est l ‘ Islam confrérique Sénégalais, qui comme nous l’ avions écrit précédemment est un Islam Soufi, c’ est à dire qui s’ est épanoui autour de guides religieux , souvent des ascètes insensibles aux choses de la vie, car résolument tournés vers Dieu ( Serigne Bamba Mbacké, El hadji Malcik Sy, Baye Niass, Limamoulaye…) avec une base ou capitale religieuse ( Touba, Tivaouane, Yoff, Ndiassane..). Un Islam confrérique qui a permis de canaliser, de protéger, d’orienter,et surtout de répondre aux besoins spirituels des Sénégalais, notamment lors de rencontres annuelles ( Magal, Gamou) par des discours qui entretiennent la flamme religieuse et renforcent leur foi.
Malheureusement, le rempart présente aujourd’hui de plus en plus de brèches. Les marabouts, à force de frayer avec le pouvoir, sont devenus des mondains friands de luxe ( Belles voitures, belles villas), les rencontres annuelles organisées pour raffermir la foi se sont transformées en bamboula où les méchouis, fruits et autres canettes ont remplacé le traditionnel couscous et les sermons sont devenus des serments de fidélité à l’ endroit du président. Voilà pourquoi, certains Sénégalais qui ne se reconnaissent plus dans ce syncrétisme car en quête d’une véritable spiritualité ont préféré aller faire allégeance à Ben Laden, Al Bagdadi ou Shekau avec tout ce que cela comporte de danger pour la stabilité et la sécurité de notre pays.
L’action
La tradition au Sénégal est de ré- agir, c’ est à dire de n’ agir qu’ après que la catastrophe ait eu lieu ( bateau le Djola, accidents de la route..) On investit rarement dans la prévention. Pourtant, l’ histoire nous a prouvé que chaque fois que nous avons fait le choix de la prévention, nous avons réussi à éviter un drame.Nous avons ainsi pu éviter à notre pays les affres de la pandémie du Sida en prenant le taureau par les cornes dés le début , ce qui nous a valu un taux de prévalence qui tourne autour de 1 pour cent alors que d’ autres qui avaient choisi de faire la politique de l’ Autriche en minimisant ou en niant l’ existence de la maladie ont connu une véritable hécatombe. Celle d ‘ Ebola a fait des milliers de morts chez nos voisins les plus proches alors qu’ aucun cas n’ a été signalé au Sénégal. Aujourd’hui, nous voici face à la pandémie du Djihadisme .Il s ‘ agit d’ avoir les mêmes réflexes qu’ avec le Sida et Ebola, reconnaître son existence et sa gravité, mettre le sujet sur la place publique afin que chaque Sénégalais le fasse sien , soit vigilent et alerte les autorités si dans son entourage ,il constate quelque chose de louche( radicalisation, apologie du djihadisme violent, incitation à rejoindre leurs camps par des imams dans les mosquées…). Penser que le Djihadisme est une affaire d’ état qui ne concerne que la police et les services de renseignement serait une véritable erreur. Croire que le danger viendra uniquement de l’ extérieur et donc ne miser que sur la surveillance de nos frontières , encore plus. Tous les 32 prévenus jugés en ce moment sont Sénégalais. Les terroristes vivent parmi nous, avec nous . La collaboration des citoyens est donc primordiale dans cette lutte contre le djihadisme.
Mais est-ce que cette synergie Police / citoyens , condition siné qua non pour faire face au péril djihadiste est possible dans un pays où les policiers sont formés, entraînés, structurés et formatés pour casser et tuer des citoyens ? Cette police qui aurait dû être une émanation, un prolongement naturel du peuple se trouve paradoxalement dans une posture d’ antagonisme et d’ antinomie. Le miracle doit pourtant avoir lieu. La jonction doit se faire. Elle est même urgente….avant que la première bombe n’ explose.
Serigne Mbacke Ndiaye
Ecrivain
serignembackendiaye897@gmail.com
Djihadistes Sénégalais: la Nakba .