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Transhumance Animale Et «trans-humanité» Politique Au Sénégal : Une Analogie évidente (par Ciré Dia) )

Transhumance Animale Et «trans-humanité» Politique Au Sénégal : Une Analogie évidente (par Ciré Dia) )

Le terme  transhumance  vient des mots latins trans (de l’autre côté) et humus (la terre, le pays) ;  il signifie stricto-sensu une migration périodique de bétail vers des prairies plus abondantes. C’est donc un  phénomène, à l’origine, applicable  au monde animal et qui désigne dans son acception primitive ou bestiale le mouvement naturel vital d’un troupeau à la recherche de verts pâturages ou de sources de subsistance, comme on le remarque chez les zèbres ou les buffles traversant les lacs ou les fleuves au péril de leurs vies. La transhumance animale apparaît, de ce point de vue, comme un mouvement instinctif ou spontané de l’animal à trouver des moyens de subsistance pour assurer sa survie. Vue sur cet angle, cette migration animale ou transhumance est donc inscrite dans les gènes de l’animal ; en tant que telle, elle est loin d’être volontaire ou réfléchie.

Pourtant, les termes de «transhumant» ou de «transhumance» sont de plus en plus utilisés dans l’univers politique pour caractériser ce mouvement – du terme grec trans – qu’effectue un homme politique quittant une formation politique pour rejoindre directement ou indirectement une autre formation politique. Motivée  par l’«instinct» de survie, comme c’est le cas pour la bête, la transhumance politique résulte cependant d’un acte opportuniste, calculé, pensé, découlant d’une stratégie de positionnement politicien visant à assouvir la soif de pouvoir ou de privilèges «de l’animal politique» qui sommeille en nous. En ce sens, la transhumance politique devient trans-humanité du fait qu’elle atrophie l’humanité en nous par une corruption  des valeurs qui sous-tendent la vie en commun, par un divorce avec  la Respublica (la chose publique en latin) et par une consécration des intérêts privés sur l’intérêt de tous, par le triomphe des volontés particulières sur la volonté générale.

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Ce phénomène de la transhumance politique existe certes depuis toujours et prospère dans plusieurs pays, mais sa récurrence, sa recrudescence et son intensité sont plus remarquées en Afrique et en particulier dans les pays où paradoxalement le multipartisme, pour ne pas dire la démocratie «tropicalisée» ou «arithmétique» est en vigueur. Au Sénégal, la transhumance est devenue le sport favori de la classe politique de telle sorte qu’elle a réussi à faire voler en éclats les clivages idéologiques, à brouiller les convictions politiques pour  céder  la place à un imbroglio politique impossible à démêler même par les politologues les plus chevronnés. En effet, il n’est pas rare dans le paysage politique sénégalais de voir un trotskiste, se muer tour à tour à un marxiste-léniniste, à un socialiste et à un libéral radical.

La question légitime qu’on pourrait se poser même si on sait que le champ politique n’est pas aussi rigide que celui de la religion, est celle de savoir comment un socialiste de souche peut-il renier, en un laps de temps, ses convictions idéologiques au point de se transformer en un libéral de vocation et/ou de raison ? Nul besoin d’aller chercher la solution à cette équation dans les prétendues justifications tirées par les cheveux que nous servent «les transhumants invétérés» du genre : «Je suis intéressé par le peuple» ou encore «quand le Président m’appelle, c’est un devoir de lui répondre». Au fond, quels que soient les alibis grotesques, les prétextes fallacieux ou les rhétoriques sophistiques dont les politiciens ont le secret, la raison principale qui commande leur mutation «partisane» n’est ni plus, ni moins que d’ordre pécuniaire, pour ne pas dire de manière crue alimentaire. Certes, le modus operandi peut varier, mais la finalité est la même : se positionner pour bénéficier des délices du pouvoir.

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Les transhumants les plus téméraires ou les moins subtiles quittent simplement une formation politique moins «lucrative» ou «moins attractive» et, sans transition aucune, se retrouvent le plus souvent dans le parti politique le plus offrant ; et c’est généralement le parti qui est au pouvoir. Les transhumants les plus stratèges ou les plus fins pour leur part, avant d’effectuer une adhésion directe au parti présidentiel, opèrent une feinte politique à l’orée des prochaines échéances électorales, consistant à créer leur propre parti ou leur mouvement politique pour se donner une illusoire bonne conscience ou faire une amende honorable auprès du peuple. On assiste alors à une sorte de jeu d’échec politique où le transhumant cherche de son côté à bénéficier des largesses du pouvoir et que celui-ci, à son tour, essaie de tirer profit de ce partenariat de circonstance en jouant sur la cupidité et la vulnérabilité du premier.

Toutefois, bon nombre de transhumants politiques ne le font pas toujours par choix politiques, car ils subissent le plus souvent le chantage du pouvoir. Lequel détenant des informations compromettantes à leur égard ou des rapports accablants envers leurs personnes, brandit ainsi la menace de poursuites judiciaires pour enrôler ces nomades politiques dans son juron. Ce «lambi golo» politique (combats de gorilles en wolof) ou cette bataille stratégique de dupes que se livrent ces deux bêtes politiques, à savoir «le trans-humain» – excusez du néologisme – et le pouvoir ou le «monstre froid», pour reprendre les mots de Nietzsche, ne place guère les intérêts du peuple au premier plan.

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Cette alliance  politicienne entre le transhumant et le pouvoir n’a d’autre finalité que le partage du «gâteau étatique»  et le pillage des ressources du pays. Autant affirmer que la transhumance n’a rien d’éthique ou de morale, car elle accorde la primauté aux désirs purement égoïstes, aux intérêts personnels, à la satisfaction immédiate et elle ne s’accommode guère du devenir de la nation. Sous ce rapport, la transhumance politique coïncide avec la transhumance animale par sa finalité, à savoir la quête de sources de subsistance même si elles se  distinguent dans leurs modalités, car  celle animal est involontaire, spontanée et inscrite dans ses gênes alors que celle politique est voulue, calculée et mûrement réfléchie, pour ne pas dire perverse.

Bref, une condamnation sans appel de la transhumance politique est plus que nécessaire pour assainir les mœurs politiques, pour éclairer le choix des électeurs, pour démasquer les opportunistes sans vergogne et sauver le peuple de ces «charognards» prêts à tout pour festoyer sur leur misère.

Ciré AW

Professeur de Philosophie

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