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La Ruée Des Compagnies Pétrolières Et Gazières Vers Le Bassin Sédimentaire Sénégalais: Quels Risques Environnementaux Et Socio-économiques Sur La Biodiversité Marine?  

Les récentes découvertes importantes de pétrole et de gaz au Sénégal par les juniors pétroliers dans l’offshore Sénégalais ont fait la promotion du bassin sédimentaire côtier sénégalais en y attirant de plus en plus les compagnies pétrolières internationales en particulier les majors qui cherchent à tout prix à s’octroyer des blocs offshores. Ces activités de recherches pétrolières et gazières dans les côtes sénégalaises ne seront pas sans conséquence sur certaines activités économiques à l’occurrence la pêche artisanale si elles ne sont pas bien encadrées.

Nous savons tous que l’exploitation des hydrocarbures peut générer des opportunités économiques inestimables  à l’Etat  et aux communautés en promouvant un développement durable, mais aussi des externalités négatives.  Cependant, notre modeste contribution essaie  de traiter  les risques  environnementaux et socioéconomiques  liés spécifiquement aux  activités de prospection sismiques, de forage exploratoire et d’exploitation éventuelle des blocs pétroliers offshores  sur les ressources halieutiques et sur la pêche artisanale.

Il faut comprendre que c’est dans le sous-sol, plus précisément dans les bassins sédimentaires que les hydrocarbures sont générés, au niveau des roches mères, à partir de la matière organique, au cours d’un processus long de dizaines à des centaines de millions d’années, dans des conditions de pression et de température élevées. Elles migrent ensuite à travers les couches sédimentaires perméables, avant de s’accumuler dans des « pièges » constitués dans les roches réservoirs pour devenir des réserves ou gisements exploitables. Ces réserves sont les cibles des méthodes d’investigations géophysiques telles que la sismique. Et au cas où elles satisfont à un certain nombre de critères, elles font l’objet de forages.

En Afrique, les premières découvertes de pétrole et de gaz, remontent à la période coloniale, avec les sociétés occidentales appelées « les Majors » comme Exxon, Mobil, BP, Shell, Chevron, Texaco, Elf, Total. C’est le cas de l’Algérie, l’Egypte, la Lybie, le Nigéria, le Cameroun, le Congo, le Gabon, l’Angola etc. Ces pays sont connus pour être de riches provinces pétrolières.

Dans les autres pays, il faudra attendre quelques dizaines d’années après leur accession à la souveraineté internationale, pour assister aux premières découvertes de pétrole et de gaz, à la faveur du premier choc pétrolier de 1973.

Au Sénégal, les premières découvertes de pétrole offshore ont vu le jour vers les années 80 alors que personne n’imaginait qu’une goutte de pétrole pouvait jaillir de notre bassin sédimentaire. Plus de 160 puits ont été forés de 1981 à 2014, date de la première découverte. Les compagnies pétrolières privées ont ainsi flambé plus de 1 milliard de dollars soit environ plus de 500 milliards de francs Cfa pour l’exploration. Malheureusement pour elles, les recherches ne se sont pas avérées fructueuses avec une découverte de pétrole lourd du Dôme Flore (10°API) non commerciale, au large de la Casamance.

Ce n’est qu’en 2014, qu’il y a eu les vrais fruits de recherches dans le bassin sédimentaire offshore Sénégalais, avec la découverte de pétrole sur Sangomar offshore Profond (entre 475 et 641 millions de barils) ; en 2015 la découverte de gaz naturel (17 à 20 TCF ou 450 à 500 milliards m3) sur Saint-Louis offshore Profond ; en 2016 la découverte de gaz naturel (5 TCF ou 145 milliards m3) sur Cayar offshore profond.

Actuellement, il y a 12 blocs situés en offshore parmi les 19 que dispose le Sénégal et les  activités de recherche, d’exploration  ou d’exploitation future dans ces blocs pourraient entrainer des conflits d’intérêts avec d’autres usagers de la mer notamment les pêcheurs artisanaux vivant au long des côtes sénégalaises.

En effet, une des activités majeures de la côte sénégalaise est la pêche. Cette activité est organisée en deux secteurs : la pêche artisanale qui est conduite à partir de pirogues, est la composante la plus dynamique du secteur et la plus importante en termes de retombées socioéconomiques .Elle constitue une importante source de revenus, tout en contribuant à l’alimentation de la population nationale. Elle induit également le développement de nombreuses activités connexes dont le mareyage, la transformation et le transport qui  sont parmi  les plus importantes.

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Quant à la pêche industrielle, elle se déroule sur des navires de plus grande envergure comme les chalutiers domestiques et étrangers (ANSD 2018). Le secteur de la pêche compte au niveau primaire (capture de la ressource) environ 52000 pêcheurs artisanaux et 5000 pêcheurs dans le sous-secteur industriel. Avec le niveau secondaire (transformation, vente), le secteur de la pêche emploie plus de 650000 personnes, ce qui représente environ 1/5 de la population  active du Sénégal (FAO, 2008).En plus d’être importante pour l’économie, la pêche est aussi importante pour la santé des communautés. La pêche fournit plus de 75% de l’apport en protéine animale des populations locales et, avec 36kg par habitant par année, le Sénégal est le deuxième plus grand consommateur per capita en Afrique (York et Gossard, 2004).

La flotte sénégalaise de pirogue est  de loin la plus importante  de la sous-région ouest africaine. Le dernier recensement réalisé en 2005 indique 13.903 unités artisanales de pêche dont 90%  étaient motorisées .Il est  estimé qu’il existe environ  20000 pirogues (CSRP, 2015). La zone exclusive que la législation sénégalaise octroie à la pêche artisanale se situe entre 0 et 7 miles nautiques (12,96 km) du rivage tout au long de la cote (CSRP ,2015).

La pêche dans cette zone exclusive est interdite aux navires de pêche industrielle. Cependant, les pêcheurs artisanaux ne sont pas contraints par cette limitation et il leur est permis d’aller au-delà de cette zone.

Fort de ce constat, il est important d’étudier comment les activités de recherches et d’exploitation des hydrocarbures pourront interférer avec celle de la pêche artisanale au large des côtes Sénégalaise dans ce contexte de convoitise du bassin sédimentaire offshore par les compagnies pétrolières internationales attirées d’une part par les conditions fiscales très abordables et d’autre part par le potentiel du bassin.

Ainsi, les problèmes environnementaux liés à l’exploitation pétrolière et gazière sont énormes. Une fois débutée ces dernières, les dégâts sur les écosystèmes marins sont parfois irréversibles si des mesures idoines ne sont pas prises, raison pour laquelle l’exploitation des hydrocarbures en offshore deviennent  parfois très compliquée avec les activités de pêche. Ceci dit que le Sénégal devra d’ailleurs impérativement veiller aux impacts socio-environnementaux de l’exploitation d’hydrocarbures pour ne pas compromettre cette dernière activité, premier poste d’exportation du pays, et qui a rapporté en devises 204,43 milliards de FCFA (312 milliards d’euros) en 2016.

Actuellement, dans les côtes sénégalaises, au rythme où vont les prospections pétrolières, on peut souligner à tort ou à raison  que les zones de pêche réservées à la pêche artisanale risquent à termes de se réduire considérablement. En outre il y a des risques de pollutions routinières ou accidentelles liés au futur développement des récentes découvertes de pétrole et de gaz dans l’environnement marin, ce qui affecterait la qualité des ressources halieutiques.

Comme annoncé dans les premiers paragraphes, les activités pétrolières offshores comprennent plusieurs phrases et chacune d’elles est susceptible de générer des perturbations au niveau des organismes marins.  Nous en avons répertorié quelques-unes  et qui peuvent décliner à grands traits comme suit :

 

                      Les risques liés aux campagnes sismiques

La campagne sismique constitue la première phase du forage exploratoire, elle se base sur la génération d’ondes sismiques et l’enregistrement de leur action sur le sol et le sous-sol marins. Le nombre de pulsations générées  par  les  activités  sismiques  ne  sont  jamais  inférieures  à  5-8  millions  sur  une superficie de 100 km2 (MPI, 2004). Selon diverses études, les activités d’explorations sismiques pourraient affecter le sens d’orientation des cétacés.  Ce  tableau  ci-dessous  résume l’impact  habituel  des activités sismiques sur la faune marine.

Effet des activités sismiques sur la faune marine

EFFETS SUR L’ENVIRONNEMNT MARIN

Les dauphins et les baleines sont très sensibles aux activités sismiques.         A courte distance :

-mortalité, hémorragies cérébrales, impacts sur le système auditif.

A longue distance :

-Changements de comportement, arrêt de la vocalisation, respiration accélérée, etc.   (jusqu’à 300 Km)

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Les poissons sont particulièrement sensibles durant la migration et la période de frai.

A courte distance :

-Hémorragies cérébrales chez les poissons adultes, impacts sur le système auditif  et mortalité des alevins.

 A longue distance :

-changements de comportement (jusqu’à 100 Km)

– baisse de la quantité de poissons dans les eaux peu profondes (- 70%)

– baisse de la quantité de poissons dans les eaux profondes (- 40%)

     (Source Organisation Mer Bleue ,2005

Les côtes sénégalaises sont très riches en termes de biodiversité marine, elles font  parties des écosystèmes marins les plus importants dans l’écorégion ouest africaine. Ainsi, à travers ce tableau, on peut appréhender les risques majeurs que les activités  sismiques pourraient avoir sur les espèces marines. Les mammifères marins, se déplaçant lentement, pourront  être impactés par les ondes sismiques. Egalement les espèces de poissons les plus ciblées par la pêche artisanale à savoir la sardinelle, dorade, mulet jaunes entre autres à cause des ondes sismiques pourront fuir vers d’autres zones. Cependant, on peut ainsi  mesurer  l’ampleur  du  manque  à  gagner  et  des  préjudices   que  subiraient  les communautés  pêcheurs  dans les côtes sénégalaises dont la vie sociale et économique est largement  tributaire  de ces  espèces.

                        Les risques liés au forage exploratoire

Le forage débute déjà durant la phase d’exploration géologique et sismique. Le forage exploratoire permet de connaître le potentiel d’un gisement, s’il est commercial ou non, et d’en estimer ses réserves. Le forage exploratoire produit de façon continue ce qui est appelé « les boues de forage ». Si le gisement est décrété rentable, ces puits exploratoires sont emballés de ciment et leur structure est fixée.Cette dernière action est appelée «la cimentation du puits », qui deviendra alors productif. Cette phase utilise de nombreux produits chimiques dont plusieurs sont toxiques, ce qui provoque une forte pollution. Des sédiments augmentent la turbidité de l’eau et altèrent sa composition ainsi que sa luminosité dans la zone où est effectuée la cimentation.

La majorité des opérations pétrolières dans les pays industrialisés du Nord dont sont originaires les entreprises qui opèrent au Sud, utilisent la technique du renvoi  des  boues  de  forage  dans  des  formations  géologiques  profondes  ou  celle  de l’emballage des boues qui seront transportées sur terre et déposées dans un endroit plus sûr, réduisant ainsi les impacts environnementaux. La toxicité des boues résultant de forages témoins, aussi appelées coupes de forages exploratoires, peut aussi être réduite à l’aide de traitements électrothermiques. Mais ces bonnes pratiques ne sont jamais respectées dans les pays de l’écorégion ouest africaine qui mènent des activités pétrolières offshores.

Selon Oilwatch (Bravo. 2001), les coupes de forages exploratoires libérées en mer agissent physiquement sur le benthon en enterrant celui-ci, ce qui affecte tout l’écosystème étant donné le rôle important que joue le benthon au sein de la chaîne trophique marine. Selon des informations fournies par le secteur pétrolier britannique, les fonds marins de la Mer du Nord sont recouverts de 1,5 millions de tonnes de boues contaminées, desquelles au moins 166.000 tonnes contiennent des hydrocarbures, formant des piles individuelles de jusqu’à 30 mètres de haut. Ces boues de forage contiennent  en outre d’autres polluants comme le sulfate de baryum et des métaux lourds, ce qui peut entrainer de graves conséquences sur la faune marine (Oilwatch, 2005).

                                Les risques liés à l’exploitation

C’est la phase d’extraction des hydrocarbures dans le sous-sol du fond marin, elle est la plus longue, elle peut durer plusieurs dizaines d’années selon  le type de champ. Le chiffre habituel pour la durée de vie d’un champ pétrolier ou gazier est comprise entre 15 et 30 ans mais un très grand champ peut durer jusqu’à 50 ans. Durant cette phase, les pollutions routinière liées aux activités habituelles ou celles accidentelles sont les plus grandes menaces sur les ressources halieutiques et sur l’environnement marin.

Aujourd’hui, les consommateurs sont de plus en plus avertis en ce qui concerne la qualité des produits   halieutiques. Des  réglementations plus sévères   sont   introduites par les gouvernements pour garantir cette qualité. Les pays en développement comme le Sénégal aurait plus de difficultés à respecter les normes sanitaires fixées par le marché extérieur du fait d’une mauvaise cohabitation des activités de pêche avec les éventuels développements pétroliers et gaziers offshores. En effet, la pêche artisanale sénégalaise assure environ 90% des mises à terre et contribue pour près de 60% aux quantités de produits exportés (ANSD ,2011).

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Ceci dit que les productions de la pêche artisanale Sénégalaise sont bien tournées vers les marchés d’exportation. Des marchés dans lesquels il y a plus de contrôle de traçabilité de la trajectoire des produits de la mer, depuis les lieux de production jusqu’à la mise en marché. Ces marchés, notamment le marché européen, sont de plus en plus d’accès difficile en raison des normes d’hygiène et de salubrité. De ce fait, des rejets éventuels d’hydrocarbures (opérationnelles ou accidentels) dans  l’environnement marin sénégalais , et leur accumulation dans la chaîne alimentaire, pourraient se répercuter sur la qualité des produits de la mer qui atterrissent au niveau des principaux sites d’atterrissage de pirogues  au niveau des  côtes  Sénégalaise ou vivent les communautaires pêcheurs et ceux qui seront capturés par les chalutiers étrangers.

Cependant sur le plan socioéconomique, cette potentielle perte de qualité de produits pouvant  ainsi entrainer  une perte de marchés essentiels pour les produits halieutiques sénégalais se répercuterait concomitamment sur la baisse des recettes de l’état, et surtout sur celle des revenus des communautés de pêcheurs  artisanaux et de ceux qui ont d’autres activités connexes à la pêche  notamment les mareyeurs et  les femmes transformatrices de produits halieutiques, etc.

 

Les activités pétrolières offshores sont introduites au large des côtes sénégalaises dans un contexte de surexploitation totale et de fragilisation du milieu marin et de ses ressources. Ces ressources halieutiques qui font partie du patrimoine commun de l’humanité, qui assurent la sécurité alimentaire du pays, diminuent et l’environnement marin se dégrade. Tous ces problèmes rendent nécessaire une meilleure gestion des pêches qui impliquerait les usagers de la ressource halieutique, qui en sont les ayants-droits traditionnels dans leur diversité (migrants, sédentaires, mareyeurs, femmes transformatrices…).

Cette gestion doit prendre en considération l’écosystème marin, car la gestion de la pêche, ne se limite pas à la gestion séparée de stocks multiples, mais doit s’étendre à l’ensemble de cet écosystème. Certes le pétrole et le gaz, ressources non renouvelables, peuvent créer beaucoup d’emplois et apporter des recettes cruciales à l’Etat du Sénégal mais ils peuvent aussi endommager les ressources marines, déstabilisent l’environnement socio-économique et politique du pays et à la limite entrainer «la malédiction des ressources naturelles».

Le Sénégal est avant tout une nation de pêche, par conséquent une dégradation de l’environnement marin  par un développement pétrolier ou gazier porterait atteinte au développement économique du pays. Sur le plan social, une telle situation pourrait se traduire par l’insécurité alimentaire et le chômage de la plupart des acteurs du secteur, principalement les pécheurs artisanaux.

Dès lors, face à ces activités pétrolières et gazières, il urge d’avoir une meilleure connaissance de l’environnement marin  sénégalais  pour une gestion durable des ressources marines. A ce titre, un suivi et l’évaluation des indicateurs écologiques, biologiques  et  socio-économiques  devraient  aider  à  prévoir  les  situations  de  tension éventuelle et par conséquent à cibler l’action régulatrice nécessaire. Ces indicateurs peuvent également aider à évaluer les dimensions de l’activité pétrolière et gazière pour contribuer à un ajustement progressif permettant de bien concilier ces activités avec la pêche.

Auteur

Adama FALL : Consultant en Evaluation Environnementale et sociale / Spécialiste en Gestion des Impacts des Industries Extractives et Développement

Focus : Activité pétrolière et gazière

Contact : falladama522@gmail.com

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