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Grandeur Et Décadence Du Mouvement étudiant

Grandeur Et Décadence Du Mouvement étudiant

Voilà un demi-siècle que l’université de Dakar et, par-delà, les autres universités construites par la suite, n’ont pas connu une année académique tranquille. Des étudiants dans la rue qui réclament le paiement de leurs bourses ou de meilleures conditions d’études face à des policiers armés de matraques et de grenades lacrymogènes, voilà des scènes ubuesques auxquelles nous sommes habitués et qui, souvent hélas !, s’accompagnent parfois de morts du côté des étudiants. Les problèmes ne finissent jamais au sein de nos universités. Aucun président de la République, de Senghor à Macky Sall en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, n’a encore réussi à trouver la formule magique ou alchimique capable d’apporter des remèdes durables aux maux qui assaillent nos campus.

Si, comme le disent certains, l’Université est source d’instabilité permanente, il faut imputer cette situation aux formations politiques qui ont investi les campus et qui manipulent leurs étudiants-militants comme des pantins. C’est si vrai que, actuellement, tout le monde dénonce la politisation outrancière de nos campus. L’Université est devenue un terrain privilégié des combats politico-sociaux. Mais si on se réfère à l’Histoire, on se rend compte que l’Université, par essence, est d’abord politique avant d’être académique parce qu’étant le creuset intellectuel de la polis (une communauté de citoyens) où se confrontent et s’affrontent toutes les sensibilités individuelles. L’Université, c’est le reflet de la société caractérisée par sa diversité et traversée par des contradictions. Par conséquent, quoi de plus normal que de voir une université où règne la politique au sens grec du terme. Seulement, l’idéologie politique ne doit pas prendre le dessus sur les priorités académiques. L’Université doit sans doute être un creuset où se forge une conscience politique,mais sa mission primordiale est de former les cadres qui doivent diriger le pays. Ainsi, le politique et l’académique doivent faire bon ménage sans entraver le bon fonctionnement de l’université.

Les années de feu du mouvement étudiant : 1968-1990

L’Udes à l’avant-garde de la contestation politico-sociale 

En 1968, l’Union des étudiants du Sénégal (Udes) avait comme leaders principaux des étudiants marxistes comme Mbaye Diack et Abdoulaye Bathily membres du Parti africain de l’indépendance (PaI), alors parti clandestin. Selon Mbaye Diack, toutefois, jamais les revendications des étudiants d’alors n’ont été influencées par des mots d’ordre de leur parti politique. Mais à y voir de près, la journée d’études organisée 12 mai 1968 par l’Udes s’était quand-même terminée par un appel à la liquidation de l’alors régime socialiste. Et sa collusion avec le plus grand syndicat des travailleurs de l’époque, l’UNTS (Union nationale des travailleurs du Sénégal) a beaucoup contribué à l’exacerbation de la crise de 1968. Une grève qui a contraint le président Senghor à améliorer les conditions d’études des étudiants, à reprofiler l’Université en l’émancipant de la tutelle métropolitaine. D’ailleurs, c’est partir de cette époque que l’ultra-présidentialisme senghorien imposé après le pseudo-coup d’Etat de Mamadou Dia en décembre 1962 s’est assoupli avec l’instauration du poste de premier ministre en 1970. En 1971 est nommé le premier recteur noir en la personne de Seydou Madani Sy.

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L’Uded et l’Uded mènent le combat

Dans les années 80, l’Université n’a pas été épargnée par l’ajustement structurel imposé par les institutions de Bretton-Woods. Le mouvement contestataire, l’Union démocratique des étudiants de Dakar (Uded) était toujours dirigée par des étudiants de partis de gauche, comme Youssou Diallo (actuel PCA de la Sonacos), Cheikh Mbengue (ex-DG de la CMU décédé), El Hadj Diouf (avocat), Ciré Clédor Ly (avocat), Innocence Ntap Ndiaye (Haut conseil du dialogue social), feu Abdel Kader Pierre Fall et Djiby Guèye entre autres. Parallèlement il y avait un autre mouvement étudiant de sensibilité PIT (Parti de l’indépendance et du travail). Lors de la grève de 1984, l’alors ministre de l’Enseignement supérieur, Pr Ibrahima Fall, avait fait une intervention radiotélévisée pour sommer les étudiants de rejoindre les amphis ou d’accepter la fermeture sans délai de l’Université. D’ailleurs, on avait accusé Youssou Diallo, alors leader du mouvement estudiantin, d’avoir traitreusement levé le mot d’ordre à la radio sans consulter la base.

Pourtant nonobstant l’idéologie plurielle qui caractérisait les leaders du mouvement étudiant, on ne pouvait pas penser à une idéologisation gauchisante de la plateforme revendicative à établir un lien fort entre la grève et les mots d’ordre de leurs partis politiques respectifs. La constante, c’est que l’Université a été le bastion de contestation politique contre le régime socialiste. Au sein du campus, où les étudiants revendiquaient pourtant plus de démocratie pour le pays, leurs camarades socialistes n’avaient pas voix au chapitre.

La CED prend le relais

En 1987, il y a eu la Coordination des étudiants de Dakar (CED) qui était dirigée entre autres par feu Abdoulaye Diouf, feu Léon Jacques Faye, Boubacar Mbodj, actuel conseiller spécial du président Macky Sall, Moustapha Diakhaté (chef de cabinet du président Macky Sall), Talla Sylla (maire de Thiès). La crise post-électorale de 1988 suivie de l’arrestation des leaders comme Abdoulaye Wade, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho a vu la CED décréter un mouvement de grève, prendre fait et cause pour ces leaders de l’opposition embastillés et rallier le mouvement de contestation sociale généralisée. Mais les négociations de 1989 avec le gouvernement du président Diouf ont abouti à la revalorisation de la bourse à 36 000 francs. Jusqu’à ce lundi, le taux était inchangé. Le régime socialiste, pour combler le déficit en lits de l’Ucad qui comptait alors 22 000 étudiants, avait loué 22 pavillons annexes pour loger les étudiants dans les quartiers de la Gueule-Tapée, de Grand-Dakar et du Point E.

Le début de l’essoufflement du mouvement étudiant

Les années 90 ont vu le mouvement estudiantin perdre de son lustre quand les jeunes libéraux ont commencé à jouer les premiers rôles notamment avec Modou Diagne Fada et d’autres étudiants marxistes dont le triste bilan est d’avoir mené l’Ucad à une année invalide. D’ailleurs tout le monde pensait que Fada ne faisait que répercuter les mots d’ordre venant de son parti, le PDS. S’il a radicalisé sa position en 1993, c’était, disait-on, pour contribuer à la lutte qu’Abdoulaye Wade menait politiquement contre le président Abdou Diouf. Certains l’avaient accusé d’avoir mis le mouvement étudiant au service d’une cause politique. Pour d’autres, Fada ne faisait suivre que la volonté de la base qui avait rejeté les réformes du ministre de l’Education nationale, André Sonko, relatives aux vingt-trois mesures issues d’une concertation nationale sur les universités. Cette réforme proposait l’augmentation des frais d’inscription, la révision des critères d’attribution des bourses, l’augmentation du loyer des chambres et du prix des tickets de restaurant. Malgré la radicalisation, l’année invalide est actée, le campus fermé. Des étudiants ont été exclus pour avoir épuisé leurs cartouches tandis que des membres de la CED ont bénéficié de bourses étrangères. 1994, année d’introduction des réformes, signa l’acte de décès de la CED. Depuis, on a senti une déliquescence du leadership estudiantin qui ne parvient plus à produire des dirigeants charismatiques et écoutés. Les amicales au niveau des facultés, qui étaient les premiers pans pour l’organisation de la structure estudiantine, ont été dissoutes depuis que des scènes de violence se sont substituées au vote démocratique des délégués.

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Emergence des étudiants voyous

Depuis lors, les partis politiques pèsent de moins en moins dans les revendications universitaires. A la grande joie des pouvoirs successifs qui n’ont plus à craindre dès lors l’Université en tant qu’épicentre de revendications politico-sociales. Les étudiants désertent les amphis, s’organisent en bandes de voyous et utilisent la violence comme seul moyen de se faire entendre. A partir de 2000, les étudiants libéraux, qui ont investi les organisations estudiantines, ont privilégié la violence physique à la place de la confrontation des idées. Ainsi des bandes de voyous appelées Kekendo ont fait leur apparition sur le campus universitaire. Parrainés par le pouvoir libéral, les étudiants libéraux, dotés de moyens financiers colossaux, semaient la zizanie impunément et la terreur au sein du campus. D’ailleurs, il est avéré que Balla Gaye a été liquidé par des étudiants libéraux exfiltrés par la suite en France avec des bourses d’études en guise de « récompense ». Les muscles ont chassé l’intellect du campus. Et le rayonnement du mouvement de contestation estudiantin en a fortement pâti. C’est le déclin du leadership éclairé des étudiants et l’émergence de la dictature musculaire.

L’érection de nouvelles universités a beaucoup contribué à la faiblesse organisationnelle et coordonnée du mouvement étudiant. C’est ce qui explique l’amorphie actuelle du mouvement étudiant où aucun leader ne peut émerger. Depuis lors, les principales revendications des étudiants sont portées par l’arme de la violence expéditive à la place de celle de la négociation pacifique. On se rappelle qu’en 2013-2014, pour exiger la baisse des frais d’inscription issue de la Concertation nationale pour l’avenir de l’enseignement supérieur au Sénégal (Cnaes), des étudiants-gangsters armés de matraques, d’armes blanches, de bombes asphyxiantes ont saccagé, le jeudi 21 novembre 2013, les locaux des services du rectorat de l’Ucad. Des enseignes et des guichets avaient été endommagés à la Faculté des sciences juridiques et politiques. A cela s’ajoute le pillage des vitres de véhicules stationnés devant les locaux du rectorat. L’assemblée de l’Université ad hoc avait dénoncé ces actes de violence comme « une atteinte intolérable, une violation flagrante des franchises universitaires et des libertés académiques, et une menace grave pour la sécurité des enseignants, du personnel administratif et technique, des étudiants et des biens ».

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Le 21 mai 2014, des étudiants, mécontents du retard de paiement de leurs bourses, avaient caillassé les locaux du Coud détruisant matériels informatiques et documentations administratives. Les pertes avaient été évaluées à plusieurs dizaines de millions de francs.

Des étudiants supposés appartenir au collectif exigeant un « master pour tous » avaient nuitamment déversé des dizaines de litres d’huile de vidange dans les travées des amphithéâtres dans le seul dessein d’empêcher leurs camarades ayant la chance de prétendre à un master d’y accéder. En dépit de la plainte déposée par le doyen de la Faculté des Lettres, aucun des vandales, pourtant bien identifiés, n’a été arrêté à ce jour. D’ailleurs, Yankhoba Seydi, coordonnateur du Saes (Syndicat autonome des enseignants du Supérieur) section de l’Ucad, outré, avait qualifié l’Ucad de « zone criminogène et non éducogène » après le saccage du rectorat au point de demander l’institution d’une police universitaire.

Le 23 juillet dernier 2014, cette spirale de violence intra-étudiante a atteint son point d’orgue avec le meurtre de l’étudiant en 4e année à l’Inseps (Institut national supérieur de l’éducation populaire et du sport) Massaer Boye tué au cours d’une rixe estudiantine à l’heure de la coupure du jeûne. A ce jour, le meurtrier court toujours.

Le mouvement étudiant est sans tête aujourd’hui puisqu’il n’y a plus de leader qui soit capable d’électriser les foules avec un discours structuré et pertinent. Le charisme d’un leader, c’est d’abord sa capacité à exalter, d’extasier les foules parson niveau de langue,son éloquence et la pertinence voire la profondeur de ses analyses.

Durant la crise consécutive au décès de Fallou Sène, les étudiants de toutes les universités se sont manifestés par leur impéritie à s’accorder sur un minimum de revendications à présenter à l’autorité présidentielle. Leur seule revendication,c’est le départ des quelques ministres dont le limogeage ne résoudra en rien les vrais problèmes des étudiants. D’ailleurs la réception en ordre dispersé des étudiants au palais présidentiel montre le degré d’inorganisation de leur mouvement. Une véritable aubaine pour le pouvoir qui utilise l’arme du « diviser pour mieux régner » afin de briser toute velléité de poursuivre une grève illimitée.

 

Serigne Saliou Guèye

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