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La Problématique De La Responsabilité Sur Le Fait Public Au Sénégal

Démettre des directeurs et responsables de structures gouvernementales en période de crise semble avoir été érigé au rang de principe au Sénégal. Cela renvoie à la limite à l’idée d’une demande sociale si on s’en réfère aux émissions radiodiffusées dans lesquelles la population a un accès libre à l’antenne «wakh sa khalat», ou encore aux mouvements d’humeur des étudiants dont le bienfondé n’est toutefois pas l’objet de mon propos.

Si en droit positif le Sénégal a pu codifier les obligations de l’Administration (Coa) là où cette responsabilité est souvent de source jurisprudentielle (France), il n’en demeure pas moins que le règlement des situations qui impliquent directement des préposés de l’Administration et par ricochet l’Etat peut laisser perplexe si nous restons dans une perspective d’analyse juridique.

Les évènements dont il est question concernent entre autres la fraude aux dernières épreuves du Bac 2017, les évènements de la rencontre de football Mbour-Ouakam 2017, l’accident sur l’autoroute à péage (feu Papis Gelongal) et la mort de l’étudiant Fallou Sène de l’université de Saint Louis.

Ces évènements ont en commun le fait que la responsabilité de l’Etat y est naturellement présumée et pourrait être valablement recherchée en ce sens qu’ils impliquent des activités de service public, notamment de maintien de l’ordre, de la paix et de la sécurité publique. En effet, les fautes respectives qu’elles soient collectives et anonymes (fraude à l’examen), ou encore imputables à une seule personne (gendarme), reposent sur le dysfonctionnement du service public, lequel est de la responsabilité de l’Etat tant que ces fautes ne sont pas détachables de ce service. A ce propos, la seule réserve qu’on pourrait émettre concerne la gestion de l’autoroute à péage.

Pourtant rien dans les solutions aux différentes situations n’est aussi commun que leur base, la responsabilité présumée de l’Etat. Et c’est le lieu de préciser que cette présomption repose ici sur une réserve juridique et scientifique car in fine seule une décision des juridictions est apte à la confirmer. Seulement il n’en a jamais rien été. Dans aucune de ces situations il n’a été question de rechercher la responsabilité de l’Administration. C’est dire que nous aurions un problème pour appréhender, rechercher juridiquement et faire sanctionner la responsabilité de l’Etat.

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En l’absence de jurisprudence rigoureuse, administrative et judiciaire, l’Etat envisage au gré des circonstances, des solutions multiples et diversifiées (versement de sommes d’argent, intégration dans la fonction publique) avec un parfum de sanctions politiques à chaque fois (défection des responsables administratifs).

Une pareille option n’est pas de nature à consolider l’Etat de droit. Et pourtant il serait d’un grand intérêt démocratique et républicain que d’éduquer la population sénégalaise sur la nature et les principes de la responsabilité de l’Adminis­tration afin que des solutions biaisées comme la «décapitation» des responsables apparents, décapitation par ailleurs opium du Peuple, ne soient privilégiées laissant les problèmes de la gestion de la sécurité souvent entiers d’une part, et ouvrant d’autre part, la voie à des négociations purement hasardeuses en marge des principes fixant la responsabilité de l’ Etat.

Lorsque le monopole de la violence légitime de l’Etat devient source de problèmes, c’est que ce monopole est mal géré. Et bien souvent le problème se situe plus dans la gestion que les conséquences de la gestion. En pareille occurrence, il ne sert à rien de déplacer le problème. Malheureusement la tendance est effectivement de s’en prendre généralement aux effets en ignorant les causes. Les solutions immédiates à la satisfaction des humeurs ont une fâcheuse tendance à éclipser les véritables problématiques. L’essence du service public et plus précisément de la police administrative est donc dévoyée.

Il est de notre avis, au demeurant, que le gardien des institutions dans ses décisions devrait d’abord apparaître comme le gardien du contenu de la Répu­blique avant d’être chef de parti. Sur ce point, nous devrions comprendre ses décisions au regard des exigences de l’Etat de droit, plutôt que deviner les fondements probables de celles-ci dans une posture politique.

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Quelle analyse faut-il faire de la défenestration sanction du recteur de l ’Ugb et du directeur du Crous ? A-t-il suffit pour cela que les étudiants en fassent la demande ? N’aurait-il pas été meilleur que l’Etat les suspende de leurs fonctions le temps de l’enquête ?

La décision de les congédier dans les circonstances de l’espèce peut en vérité constituer un dangereux précédent. Il peut s’agir d’une manière d’instituer des dérives dans la demande sociale. L’idée de la proportionnalité de la sanction ne doit pas ici être envisagée à la dimension de la mort d’homme, mais exclusivement de la gravité de la faute de gestion le cas échéant, la sanction de l’homicide étant dévolue à l’action pénale.

A ce propos, les mis en cause (recteur ect..) n’ont pu, sauf meilleur avis, s’expliquer sur les circonstances de leur décision. Pourtant certaines responsabilités, notamment dans le milieu universitaire, ne peuvent être soustraites à cette exigence. Les manquements dans la gestion du mouvement d’humeur des étudiants auraient dû être préalablement établis pour que la sanction ait un sens.

Nous sommes en effet en droit d’attendre de l’Etat une bonne gestion du service public mais aussi plus d’explications sur le contenu de la responsabilité de l’Etat avant de consommer les sanctions. Il serait donc très indiqué de changer de para­digme pour éviter la confusion entre la responsabilité administrative, la responsabilité pénale qui seule reste du ressort de la justice notamment du procureur de la République, et la responsabilité politique.

Il n’est certes pas de la culture du Peuple sénégalais, ce qui est dommage, de rechercher en responsabilité son Administra­tion. Mais faut-il pour autant y trouver des solutions de substitution non institutionnelles ?

Pour ce qui est par exemple des cas de violence au stade Demba Diop en 2017 pour le match de l’Us Ouakam contre l’équipe de Mbour, ils reposent en partie de défaillance (non admise pourtant) du service public. Et sur ce point, la plupart les décisions administratives et sportives prises au Sénégal ont été infirmées au-delà de nos frontières. Cela a obligé le président de la République à s’impliquer personnellement et directement à l’endroit des clubs concernés. En toute rigueur, ces solutions de remise d’argent ne sont pas structurellement viables.

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Dans le même ordre d’idées, lorsque la famille de feu Fallou Sène reçoit des millions en dehors de toute détermination de responsabilité, de toute mesure du préjudice souffert, nous admettons que le chef de l’Etat est dans son rôle politique. Mais quid de la responsabilité institutionnelle de l’Administration ? Quels seront maintenant les critères du dédommagement s’il y a un procès et que la famille se constitue partie civile ?

Le mélange entre le politique et le judiciaire n’est pas favorable à l’émergence de l’Etat de droit. Nous devons y prendre garde. De même devrait-on se garder d’attendre qu’il y ait mort d’homme pour augmenter en fin d’année des bourses. Il s’agit d’une démarche sans structure et sans aucune projection, presque pour faire plaisir à tout prix. Cela est bien dommage. L’enseigne­ment supérieur est extrêmement sérieux et surtout pas du domaine d’un musicien.

Les décisions de l’Etat comme la politique du développement doivent être suffisamment expliquées à la population pour que d’une part elle puisse, le cas échéant, souffrir les délais d’attente nécessaire au règlement de chaque cas et surtout, d’autre part, apporter aussi leurs idées pour des solutions probables.

Le développement n’est pas le miracle d’un homme mais le fruit de l’effort de tout un Peuple. Peut être faut-il que nous discutions plus de la pertinence des procédés et des politiques que de la capacité des hommes. Les règles de droit sont aussi des institutions et il nous appartient à tous de ne pas les ruiner.

Une façon de voir que nous voulions partager.

Bocar Arfang NDAO – Avocat

Président Vision Responsable du Sénégal

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