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Réponse Au Ministère De L’economie Et Des Finances

Dans ses éclairages par rapport à la question de la tension financière soulevée dans l’opinion publique, le ministre de l’Economie Amadou Ba nous a parlé ce vendredi 8 juin du niveau de mobilisation des ressources en 2018, comparé à 2017. Le ministre nous dit qu’à tous les niveaux de mobilisation (recettes fiscales, non fiscales et marché financier), ses services ont dépassé les sommes obtenues en 2017.

Sa communication ne devait pas se limiter au niveau de mobilisation des ressources, car pour qu’on puisse avoir des éclaircissements sur la tension financière, il devait nous parler de l’état des dépenses exécutées, parce que la tension financière s’explique par l’incapacité de l’Etat à honorer ses engagement (volet dépenses du budget). Aujourd’hui, tout le monde sait qu’on a au Sénégal un problème d’efficacité de la dépense publique.

La trésorerie est définie comme étant l’ensemble des liquidités disponibles en caisse. La gestion de la trésorerie s’articule autour de la gestion des liquidités et des risques financiers. La gestion des liquidités englobe toutes les activités relatives aux rentrées d’argent (ressources), mais aussi à la capacité de paiement. Aujourd’hui au Sénégal, les entreprises souffrent de l’incapacité de l’Etat (qui a comme caisse le Trésor) à honorer ses engagements.

Les étudiants en ont souffert à cause de l’argent dû à Ecobank. Les enseignants en souffrent à cause de l’argent dû au titre des avancements et rappels. Les étudiants orientés dans les écoles privées en souffrent à cause de l’argent dû à leur établissement d’accueil. Les hôpitaux et centres de santé en souffrent à cause de l’argent dû au titre de la Cmu et aux fournisseurs de consommables et équipements médicaux. Les employés des entreprises de Btp en souffrent à cause de l’argent dû à leurs entreprises. Bref, tous les fournisseurs de l’Etat en souffrent.

L’Etat du Sénégal a des obligations financières vis-à-vis de ses fournisseurs. L’Etat est tenu de les honorer. S’il ne le fait pas, le phénomène des arriérés de paiement va plomber la santé financière des entreprises et de l’économie. Les arriérés de paiement sont des obligations de l’Etat vis-à-vis de ceux qui lui offrent des crédits ou des services (entreprises). Si l’Etat ne règle pas à date convenue, cela correspond à un arriéré de paiement de sa part. Au Sénégal, la date convenue est juridiquement de 90 jours. Si l’Etat ne paie pas ses fournisseurs à cette date, cela devient un arriéré de paiement.

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Les arriérés de paiement sont très dangereux pour l’économie d’un pays. Ils fragilisent la consommation des ménages (provoquent le retard de paiement des salaires) et l’investissement des entreprises (créent aux entreprises des problèmes de trésorerie). Si on sait que l’économie est un jeu de consommation et d’investissement, donc les arriérés de paiement bloquent ou ralentissent l’activité économique d’un pays, ce qui augmente la pauvreté.

Si le Sénégal vit en ce moment les arriérés de paiement, c’est à cause de deux phénomènes : la remontée du prix du baril de pétrole qui casse les prévisions budgétaires et le déficit croissant de la balance des revenus.

La remontée du prix du baril 

L’économie des Pays moyennement avancés (Pma), des Pays à revenu intermédiaire (Pri) et des pays émergents est définie par deux choses : le prix du baril de pétrole et le taux directeur de la Banque centrale américaine. Un pays comme le Sénégal, avec une monnaie liée à l’euro, n’a rien à craindre directement d’un relèvement du taux directeur de la Banque centrale américaine. Par contre, un relèvement du prix du baril de pétrole casse ses prévisions budgétaires.

Le Pse a démarré avec un baril tournant autour de 30 dollars (juin 2014). En début 2016, le baril était même sous la barre des 30 dollars. Donc pendant deux ans, le Pse a évolué avec un prix du baril qui avait chuté de 75%. Une situation qui avait permis aux finances publiques de souffler parce que le plus grand poste de dépense de l’Etat est la facture énergétique. A noter qu’en 2008, l’économie du Sénégal avait coulé avec un taux de croissance de 1,5% à cause d’un baril à 150 dollars. La facture énergétique dépassait les 500 milliards, ce qui avait laminé les finances publiques, avec comme conséquence les émeutes de la faim et les sorties de Alex Segura du Fmi.

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Donc, d’un baril tournant autour de 30 dollars pendant deux ans de Pse, il est aujourd’hui (juin 2019) à 73,40 dollars, c’est-à-dire qu’il a doublé. La conséquence est le doublement de ce poste de dépense, et ce qui complique encore les choses et qu’en pleine chute du prix en décembre 2016, l’Etat avait diminué pour les ménages le coût de l’électricité et qu’aujourd’hui il ne peut plus l’augmenter pour faire face aux nouvelles charges. Cette augmentation du prix du baril affecte les prévisions budgétaires de l’Etat et crée des arrièrès de paiement qui peuvent plomber les acteurs de l’économie (ménages et entreprises).

Le déficit croissant de la balance des revenus

Au Sénégal, le manque de liquidité de l’Etat est surtout dû à l’importance des sommes transférées à l’étranger pour le paiement net des revenus. Ces sommes sont constituées de : transfert de profits, transfert de dividendes, transfert de salaires des étrangers et le paiement des intérêts de la dette. D’après les dernières données de 2016, plus de 50% de la croissance ont été transférés à l’étranger en 2016. Entre 2012 et 2016, plus de 2 milliards de dollars ont été transférés à l’étranger. Si on fait le solde entre les revenus transférés et les revenus reçus, cela fait 3,3% du Pib. En 2016, 3,3% du Pib ont été transférés.

D’après l’avant-dernier Point économique de la Dpee, la balance des revenus (transférés et reçus) a accusé en 2016 un déficit de 290,9 milliards et en 2017 elle s’était dégradée encore de 23,1 milliards, accusant un déficit de 314 milliards. La cause de tout cela est la participation à grande échelle du capital étranger (entreprises étrangères) à la croissance. Les entreprises étrangères construisent les projets de l’Etat et rapatrient tous leurs revenus chez eux.

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A ces transferts des entreprises étrangères il faut y ajouter le service de la dette. La loi de finances 2018, votée en décembre 2017, nous avait renseignés que l’Etat devait payer un service de la dette de 732,49 milliards en 2017. Ce service de la dette devait, selon les prévisions budgétaires, atteindre 839 milliards en 2018, 839 milliards transférés hors du pays comme service de la dette extérieure.

Ainsi, toutes ces sommes transférées (transfert de profits, transfert de dividendes, transfert de salaires des étrangers et le paiement des intérêts de la dette) appauvrissent l’Etat du Sénégal.

Donc, la nouvelle facture énergétique (qui va augmenter de plus en plus, car les prix du baril vont continuer à monter) plus les sommes transférées à l’étranger (qui augmentent de plus en plus à cause de la présence massive d’entreprises étrangères) agissent de deux manières : elles perturbent les prévisions budgétaires de l’Etat et appauvrissent le Sénégal.

El Hadji Mansour SAMB

Economiste

Auteur du livre :

(Les Limites du Pse)

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