Notre pays, le Sénégal, traverse une période politique progressivement tendue et de plus en plus inquiétante avec les actes incompréhensibles sinon répréhensibles qui se multiplient alors que nous entamons le dernier virage nous menant vers les élections présidentielles de février 2019. Aux dernières nouvelles, les locales risqueraient de se tenir, non pas en mi 2019 comme le prévoyait le calendrier républicain mais plutôt au 01 janvier 2020 suivant une décision unilatérale de l’autorité. La soif du pouvoir, pourrait-elle constituer une raison suffisante pour que 2018 soit une année de tension, d’intolérance, d’excès et même de gâchis portant énormément préjudice à notre stabilité sociale ?
Vous constaterez que nous n’avons pas parlé de stabilité politique parce que justement les risques et les causes d’instabilité sociale ne proviennent que des animateurs impliqués, hâtivement d’ailleurs, dans cette course effrénée au pouvoir de 2019. Ici, à l’opposé de tous les sports de combat incluant la lutte, la boxe, le catch, le taekwondo, le karaté, le Kung fu régis par des règles bien définies, notre manière de faire la politique semble permettre tous les coups, admettre des comportements si inélégants ou tolérer les propos les plus malintentionnés pour faire férocement mal. Cette liberté et cette insouciance illimitées nous conduisent, de plus en plus, vers des excès engendrant des gâchis incommensurables, des pertes énormes tant du point de vue financier, matériel que moral.
En effet, en l’espace de quelques mois le front social avait été réchauffé à outrance, les positions s’étaient durcies à volonté, la tolérance et la convivialité avaient déménagé pour aller sous d’autres cieux plus sereins, à nos risques et périls.
Le cycle des grèves interminables s’était imposé avec les réclamations des travailleurs des secteurs de la santé, de l’éducation jusqu’à aboutir à une perte regrettable de vie d’un jeune concitoyen, espoir de toute une famille mais aussi de notre nation. Le mal et les blessures ont été plus profonds avec cet élève qui a perdu un œil et sera obligé de vivre avec ce handicap qu’aucune compensation pécuniaire ne saura atténuer la douleur tandis que d’autres souffriront pendant longtemps de traumatismes ou de séquelles héritées de ces journées de folie. Il est vrai que les éléments des forces de maintien de l’ordre n’avaient point été épargnés du fait de la riposte des élèves et étudiants. De notre côté, comme toujours d’ailleurs, nous avions regretté la confrontation de deux pans de notre jeunesse, l’une civile (élèves et étudiants) face à l’autre enrôlée sous les drapeaux (forces de maintien de l’ordre, policiers ou gendarmes). L’histoire semble se répéter quant à la manière disproportionnée de l’usage de la force répressive et la loi. D’aucuns ont voulu faire un parallèle avec les évènements de mai 68 en parlant des problèmes des bourses, même s’ils savaient très bien que les contextes étaient différents. En effet, mai 68 c’était un monde en ébullition, une jeunesse révoltée à l’Université de Dakar (actuelle Université Cheikh Anta Diop- UCAD)) par un régime qui voulait baisser les montants des bourses ainsi que le nombre de mois de paiement prévus être ramenés à dix au lieu de douze. Face à ce gouvernement de parti unique (UPS-Union Progressiste Sénégalaise), qui telle une pieuvre déployant ses tentacules, avait accaparé tout l’appareil d’Etat débouchant sur son corollaire qui excluait de facto la démocratie, les idées communistes ou marxistes léninistes avaient pris le pas dans la mentalité des syndicats d’ouvriers et des groupuscules très activistes d’étudiants ayant fait du « Petit Livre Rouge » de Mao Tsé Toung ou Mao Zedong leur référence. L’auteur de ce minuscule ouvrage à très haute portée politique, né le 26 décembre 1893 dans la ville de Shaoshan (Chine), partie du monde très éloignée de notre pays, mourut le 9 septembre 1976 à Pékin. Cet illustre inconnu de la plupart des sénégalais allait pourtant faire souffler un vent puissant de changement sur le magistère du Président Senghor. Mao Tsé-Toung (ou Mao Zedong) était aussi surnommé « le Grand Timonier » parce qu’il dirigeait, pilotait la Chine au point de dominer la pensée de la plupart de ses concitoyens réduits en simples consommateurs de tout ce qu’il écrivait ou disait. C’est lui-même qui a proclamé la République Populaire de Chine et, en tant que fondateur, a eu à assurer sa Présidence du 27 septembre 1949 au 27 avril 1954. Il est important de retenir que l’homme a fortement marqué l’histoire politique de son pays pour avoir exercé les fonctions de Président du Parti Communiste du 20 mars 1943 au 9 septembre 1976 et celles de Président de la Commission militaire Centrale de ce même parti du 8 septembre 1954 au 9 septembre 1976, date de son décès mettant fin à plus de 33 (trente-trois) ans de règne absolu. Ce rappel historique et ce focus sur cet homme exceptionnel, ayant réussi à beaucoup influencer des jeunes universitaires issus surtout du tiers-monde étaient nécessaires. D’autant plus que nos intellectuels de « gauche » avaient utilisé son petit ouvrage, en tant que livre de chevet. Il avait été censuré, paradoxalement au Sénégal, à l’époque du magistère du Président-Poète Léopold Sédar Senghor qui se disait pourtant « socialiste ». Le Président Senghor devait, sans nul doute à l’instar de plusieurs de ses homologues chefs d’Etat ou autres monarques, se référer exclusivement à l’autre manuel de grande influence, dénommé « Le Prince » de Machiavel, véritable outil pour se maintenir au pouvoir, rédigé en 1513 !
Les animateurs du mai 68 sénégalais étaient plus politisés, bien formatés, par conséquent suffisamment organisés pour inverser les rapports de force dans un but précis. La plateforme des revendications et la jonction facile avec le monde ouvrier en témoignent, suffisamment, sans oublier que certains d’entre eux sont rapidement devenus des leaders de partis d’opposition un peu plus tard à l’image de Messieurs Landing Savané, Mamadou Diop Decroix, Mbaye Diack, Dialo Blondin DIOP, Pr Abdoulaye Bathily ou feu Djibo Leyti Ka. Alors qu’aujourd’hui, tout part plutôt du mécontentement d’une jeunesse inorganisée, pour la plupart politiquement non engagée, manifestant à l’encontre des retards récurrents, jugés inacceptables, des paiements des bourses. C’est la légèreté du traitement des engagements relatifs au respect de des charges fixes vis-à-vis des étudiants qui est à l’origine des grèves ou plutôt des manifestations d’humeur malgré quelques velléités de récupération par certains partis politiques. L’espace universitaire est certes politisée mais pas au même niveau de conscience et de conviction des « soixante- huitards » qui étaient totalement sous le charme et la force de propagande, d’éveil des partis de gauche confinés dans la lutte clandestine. Ces jeunes gauchistes étaient sous l’influence de Fidel Castro, un Ernesto Che Guevara, Cheikh Anta Diop, Kwamé Nkrumah, Patrice Lumumba, Sékou Touré. Ils acceptaient tout sauf le néo-colonialisme, la mainmise occidentale.
Parallèlement à cette situation civile, en 2018, le pouvoir au Sénégal s’est évertué à faire un forcing législatif sur le parrainage en utilisant la science du Pr Madior Ismaila Fall, ministre de la Justice, sempiternel conseiller juridique pour retoucher à une constitution qui était partie pour ne plus être sujette à des manipulations politico-politiciennes. Il avait été souhaité de mettre, définitivement, à l’écart les calculs froids et égoïstes devant conduire à une instabilité constitutionnelle du fait des modifications inopinées apportées à notre loi fondamentale. En tout cas, c’était l’argument avancé lors de la révision constitutionnelle pour défendre la nécessité du référendum de 2016. Malgré ce qui avait été servi comme argument, le besoin s’est fait sentir, deux ans après, de la réviser partiellement. La majorité avancera la nécessité d’enrichir et de rendre plus juste la loi sur les candidatures en mettant « tout le monde sur le même pied d’égalité » sans, à dire vrai, le faire. Le tact du Pr Fall aura été non pas seulement d’envelopper le projet du caractère de loi constitutionnelle, rendant de facto « incompétents » les sept sages du Conseil Constitutionnel, mais surtout d’avoir fait préférer l’expression de l’Assemblée Nationale (quasi-totalement acquise au pouvoir exécutif) à celle du peuple (voie référendaire). Serions-nous enfermés dans un cycle infernal qui ferait qu’à chaque Président il faudrait sa propre constitution et non la nôtre, nous peuple ?
Oui, la loi sur le parrainage a bel et bien été imposée, peu importe les raisons évoquées. Nous retiendrons, encore, que l’exploitation excessive de la majorité mécanique dont dispose le pouvoir au niveau de l’Assemblée aura fait du mal pas seulement aux honorables députés de l’opposition mais aussi au peuple. Il s’agit, pourtant, de l’application d’une règle élémentaire de la démocratie qui permet au groupe parlementaire qui détient le plus grand nombre de députés d’imposer sa pensée, son option, sa loi par le vote. Faudrait-il, toujours et de manière systématique, en abuser au risque de tuer le débat ?
En face du pouvoir, nous avons, malheureusement, une opposition qui rejette tout au point de perdre les réflexes de bons stratèges, de bons opposants, rigoureux, pointilleux, avertis et experts. L’usage de la ruse, l’analyse profonde auraient poussé la majorité à l’erreur et en même temps fait bénéficier la sympathie du peuple à une opposition arcboutée sur les valeurs de la république en profitant des règles offertes. Son option de la politique de la chaise vide est récurrente et ceci est à son détriment, en est-elle consciente ?
Nos dirigeants politiques de l’opposition n’arrivent pas à s’opposer correctement par des débats d’idées, la provocation de réflexions profondes sur des questions cruciales qui inquiètent les populations. Il est judicieux d’aller en conclave sur de thèmes de gouvernance, de gestion de la cité. Pour des raisons de rapports de force à leur désavantage, ils optent pour le plus facile : le boycott, l’absence, le refus de participation, de partage. Nous aurions souhaité, sur la question du parrainage, voir l’opposition sénégalaise organiser un grand colloque avec la participation des spécialistes du droit constitutionnel, choisis parmi ceux qui jouissent d’une réputation nationale et internationale, personnalités renforcées par la présence d’experts électoraux issus de pays pratiquant ou ayant, déjà, rejeté ce système de filtre. Au besoin, s’enfermer le temps nécessaire pour porter une réflexion profonde sur la question qui risque de gangréner plus tard nos joutes électorales. Dans ce genre de rencontre, il aurait fallu statuer sur la pertinence, l’opportunité de cette option. Le plus important était de faire, après l’analyse des spécialistes et des experts du droit constitutionnel, une large campagne de sensibilisation auprès des populations en utilisant nos chaînes de radio et télévision, en multipliant les rencontres avant d’aller à l’Assemblée ou d’organiser des marches à très faible impact.
Nous aurions souhaité avoir une opposition plus responsable, plus engagée intellectuellement pour animer républicainement le jeu politique. Cette possibilité existe bel et bien, vu la qualité ainsi que le haut niveau intellectuel de certains d’entre eux, mais, malheureusement, le blocage provient des rancœurs, des déceptions de compagnonnage, de relations faussées par la défense des intérêts antagonistes qui relèguent ceux de toute une nation au second plan. Le peuple a besoin de comprendre, bien comprendre pour se positionner. Il est donc nécessaire de l’informer pour requérir son avis car après tout, pouvoir et opposition déclarent tous agir à son nom, en plus, uniquement dans ses intérêts. Où est la vérité s’il est impossible de satisfaire cette exigence primaire ?
Il est pourtant nécessaire d’échanger sur l’essentiel de la vie présente et future de notre nation parce que l’Etat est et demeurera toujours, qu’on le veuille ou non, une continuité. Aucun gouvernement ne devrait s’arroger le droit d’estampiller « confidentiels » des contrats de concession de quelque nature soient-ils car dans notre Sénégal il n’est plus possible pour un groupe de personnes de se maintenir au pouvoir pendant plus de deux décennies alors que les concessions durent toujours beaucoup plus longtemps, car conçus ainsi par les lois des affaires et celles des investissements surtout lorsqu’il s’agit de celles relatives au « B.O.T » (« Build, Operate and Transfer », ce qui veut dire : investir par ses propres ressources pour ensuite exploiter pendant des dizaines d’années ou un temps bien précis afin d’amortir ses investissements et enfin restituer à l’Etat ou à la Communauté agissant comme partie contractante, l’objet concédé à la fin de la concession). C’est une condition minimale de transparence et de bonne gouvernance. Tout Etat qui nourrit l’intention de signer un engagement ou décide de céder une parcelle de pouvoir et de territoire devrait impérativement le faire savoir à la nation. Ce sera une obligation absolue de publier de tels actes impactant forcément sur le vécu tant présent que futur de la nation ainsi que son Etat demeurant dans l’obligation de respecter les engagements souscrits par ses prédécesseurs.
Il est utile de porter la réflexion sur les moyens d’améliorer les conditions de vie de nos citoyens, de trouver des réponses à l’éducation des jeunes, leur formation, leur insertion dans les secteurs de l’emploi, d’améliorer la santé par des infrastructures adéquates, suffisantes et fonctionnelles tant en ville qu’en campagne. Cette préoccupation majeure doit être la tâche du pouvoir, de l’opposition, des syndicats, de la société civile parce que tôt ou tard les spectateurs d’aujourd’hui deviendront inéluctablement les acteurs de demain.
Dommage, pour notre pays, que la politique qui aurait dû permettre des échanges fructueux, instructifs, porteurs de solutions tant attendues par les populations soit transformée en un élément strictement pollueur de notre stabilité et sérénité socio-économiques n’épargnant aucun de nos piliers allant de l’exécutif au judiciaire en passant par le législatif.
Les notions d’esthétique, d’élégance, de finesse devraient se retrouver dans l’exercice du pouvoir et de contre-pouvoir. En effet la politique n’est-elle pas l’art et la manière de gouverner, de gérer la cité ? La gestion de la cité n’exclut personne, majorité, opposition, société civile et syndicats, tous n’ont-ils pas un mot à dire, un regard à poser, une réflexion à mener pour le bien commun ?
Amadou DIA
Consultant en opérations portuaires, Transport et Logistique.
Conseiller municipal Commune de Dodel, Arrondissement Gamadji Saré,
Département de Podor