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Les Hommes D’affaires Font-ils De Bons Politiques ?

Le Tunisien Nabil Karoui est un sacré personnage. Un concentré d’inépuisable énergie, toujours en mouvement, même en fumant ses célèbres cigares. Ce Zébulon très sûr de lui, parfois un peu trop, ne s’encombre pas de précautions oratoires. Il va droit au but, quitte à agacer ou à froisser ses interlocuteurs. L’auteur de ces lignes le connaît, assez bien, depuis une dizaine d’années. Et il reconnaît volontiers s’être trompé sur son compte. Début 2017, Nabil Karoui nous avait confidentiellement fait part de son intention de se lancer en politique. Lui, l’homme de médias, envisageait de sillonner le pays jusque dans ses villages les plus reculés afin d’établir un diagnostic aussi juste que possible. Son constat était sans appel : la classe politique tunisienne étant, selon lui, totalement incompétente, un boulevard s’ouvrait devant les gens audacieux, différents, porteurs de solutions novatrices. Lui, par exemple. Un nouveau monde était censé remplacer l’ancien. On l’aura compris: il se voyait comme une sorte d’Emmanuel Macron tunisien.

Karoui a subi un terrible traumatisme lors du décès de son fils dans un accident de la route. Ce drame a-t-il joué un rôle dans son évolution personnelle ? Le voyant à ce point pétri de certitudes, iconoclaste et presque arrogant, je m’étais dit à l’époque que son chagrin affectait sans doute sa lucidité, qu’il cherchait une échappatoire, un nouveau sens à sa vie. Et voici que, deux ans plus tard, son aventure fantasmatique prend forme (lire son interview p. 54). Certes, ce n’est pas parce qu’il est en tête dans certains sondages aux côtés de l’universitaire Kaïs Saied autre ovni de la politique tunisienne, que l’ancien patron de la chaîne maghrébine Nessma TV est assuré de conquérir le palais de Carthage. Mais le seul fait qu’il se retrouve dans une position aussi favorable à quelques mois de la présidentielle (et des législatives) en dit long sur la vertigineuse défiance des Tunisiens à l’égard de leur classe politique.

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Fraîcheur

Le constat est d’ailleurs le même sous d’autres latitudes africaines. Dans de nombreux pays, les élites politiques traditionnelles sont contestées, rejetées, et de nouveaux personnages, souvent issus du monde de l’entreprise et du secteur privé, font leur apparition. Phénomène récent, cette irruption des hommes d’affaires sur la scène politique pose évidemment question. Les Patrice Talon et Sébastien Ajavon (Bénin), les Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina (Madagascar), les Eddie Komboïgo (Burkina), Moïse Katumbi (RD Congo) et Aliou Boubacar Diallo (Mali), pour ne citer que ceux-là, apparaissent aux yeux de beaucoup comme une séduisante alternative. On les suppose meilleurs gestionnaires, plus proches du terrain et de la réalité. Ils sont censés incarner la fraîcheur et le dynamisme face à l’inertie et aux idées plus ou moins rances de leurs prédécesseurs. Avec eux, le chef de l’État devient PDG, les Conseils des ministres prennent des allures de conseil d’administration. Efficacité avant tout ! Cerise sur le gâteau, ils passent pour financièrement « rassasiés », donc peu enclins à siphonner à leur profit les caisses de la nation. Attention quand même aux effets de mode et aux rêves éveillés ! Qui prouve que ces dirigeants d’un nouveau genre ne cherchent pas à s’emparer du pouvoir pour s’affranchir des règles au bénéfice de leurs entreprises plutôt que de l’État ? Est-on assuré qu’ils ne confondent pas vitesse et précipitation ? Souvent, ils se comportent en monarques peu habitués à rendre des comptes. Et nombre d’entre eux ne doivent leurs fortunes qu’aux faveurs et aux largesses des princes de l’ancien monde, que, dans le passé, ils soutinrent parfois financièrement. Leur grand mérite est de secouer le cocotier, de bousculer une classe politique en pleine léthargie. Mais ne soyons pas naïfs. On peut s’endormir et rêver d’un Emmanuel Macron africain. Et se réveiller face avec un nouveau Silvio Berlusconi !

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