Sans qu’on n’y prenne vraiment garde, le bracelet électronique a fait son apparition au Sénégal. Une société de la place en a commencé la commercialisation, on dirait pu dire subrepticement, les supports publicitaires de masse, n’en avaient pas fait écho, avec une remarquable récurrence. Mais en vérité, a-t-on vraiment pris la mesure d’une telle intrusion d’un dispositif prévu dans un cadre strictement judiciaire ? L’utilisation du bracelet électronique repose sur un principe de précaution. Il est normalement destiné à surveiller à distance, des prévenus indélicats, des récidivistes potentiels et autres bénéficiaires de remise de peine, pour conduite honorable, maladie, ou âge avancé ?
Sans doute revêt-il une vocation d’inclusion et de socialisation, pour la réinsertion, des délinquants en voie de rédemption en vue d’une nouvelle chance de rachat, et dans le même temps protéger la société contre toute forme de dérapage. La commercialisation de cette parure sécuritaire prend au Sénégal une toute autre signification. Elle cherche semble-t-il à protéger les enfants contre des délinquants auteurs compulsifs de rapts d’enfants, de crimes sacrificiels et d’odieux assassinats.
En soi, cette technologie n’a rien d’amoral. Bien au contraire, le souci de protection de l’enfance relève d’un sens élevé d’humanisme et de responsabilité. Au-delà de ses fonctions de télésurveillance, ce joyau technologique, révèle une insoutenable angoisse collective sur les menaces contre les enfants sans défense. Les enlèvements et les meurtres d’enfants ont pris une telle ampleur qu’ils revêtent un caractère de pathologie endémique. Le recours à cette astuce digne de l’univers carcéral, met l’enfant et ses parents dans une posture de peur, de frustrations dont les conséquences sur le plan psychologique sont incalculables.
Il traduit surtout un niveau inégalé de délitement social et éthique, dans une société sénégalaise où la fin semble de plus en plus justifier les moyens. Tout ce qui peut être fait, pour gagner une élection, remporter une compétition sportive, s’enrichir, obtenir des positions confortables dans les administrations ou les entreprises, éliminer un concurrent ou un adversaire, est quasiment légitimé par ces pratiques aussi barbares qu’obscures.
L’effort, la performance, le mérite, la motivation sont ravalés au rang d’illusions et de vieilleries moralisatrices, puisqu’en fin de compte, le jeu de la réussite vaut, pour eux la chandelle du barbarisme. Même si la prévention et la pro-activité trouvent leur valeur et leur sens dans une société moderne, l’irruption du bracelet électronique donne toute la mesure de l’échec de notre société, de la sécurité publique à assurer la vie de nos enfants.
Quand une société accorde autant de valeur au paraître, à la richesse monétaire et matérielle ! Quand elle use de condescendance, pour regarder de très haut, ses « pauvres, ses poisseux, ses culs terreux, les gueux et les sans-dents» ! Quand le luxe y détermine le statut et les échelles de valeur, les criminels et leurs bras armés sont légion. Mais il est une erreur fondamentale que de croire que cet ersatz sécuritaire constitue la panacée.
D’abord parce que son usage restera confidentiellement réservé aux plus riches, ceux dont les enfants sont les moins exposés au rapt. Cette discrimination sociale ne peut creuser le fossé entre les abysses sociaux et renforcer les inégalités. Mais, pis encore, cette technologie peut s’avérer inefficace, car les odieux criminels n’hésiteront jamais à utiliser des balakas (coupe-coupe) comme en Centrafrique, pour sectionner des bras. Ou encore comme au Libéria et Sierra Leone où la pratique des « manches longues ou manches courtes » a permis, selon la commande, des amputations de bras ou de jambes effroyables. L’humanité a encore montré ses limites dans la production de l’horreur.
Il ne fait aucun doute que les auteurs de crimes sacrificiels que rien n’arrête dans leur horrible dessein ne verront dans cet outil que l’image d’un gadget. La publicité faite autour du bracelet électronique, montre à quel point la société sénégalaise a franchi un nouveau pas dans l’indignité et la désacralisation de l’homme. Cette forme de passivité devant cette déshumanisation rampante s’apparente bien à une démission devant une innommable ignominie. C’est pourquoi personne ne semble s’émouvoir que des entreprises fassent du chiffre sur les angoisses et les peurs collectives. Et ce n’est pas faire acte d’angélisme que de rappeler la protection de l’enfance ne saurait être transférée à un artifice technologique. Le robot a beau être efficace, il ne remplacera jamais l’intelligence et les valeurs humaines.