Au détour d’une conversation, lors d’un moment de beuverie, on m’a dit : « Michel, c’est pour quand que tu écris pour soutenir ton pays ? ».
Au tout début, j’ai cru que c’était une blague. Oui, comme ces mots que l’on peut prononcer sans vraiment donner une importance majeure à la portée. Un peu comme lorsqu’on rencontre quelqu’un en chemin et qu’on lui lance « ça va ? ». Et que très souvent, on ne prête pas attention à ce qu’il va répliquer…
Ensuite, cette phrase m’a tourmenté. Je me suis longuement demandé ce que ça voulait dire « écrire pour soutenir son pays ». Après tout, qui écoute vraiment les écrivains dans ce monde ? J’ai amplement philosophé. Écrire pour dire quoi ? Scander, tel un propagandiste, que le Cameroun est le plus beau pays ou que les Camerounais sont les plus heureux, même si c’est un mensonge, et pour quel résultat, à part celui de satisfaire l’ego de certains ? Je trouvais l’expression un peu extrapolée, un peu comme ces mots qui résonnent bien, et que tout le monde aime employer, mais qui ne veulent en réalité rien dire. De plus, j’ai toujours soutenu la thèse selon laquelle un pays est une fiction, dans la mesure où on peut finalement le faire changer de nom, d’espace, de culture, etc.
J’ai finalement renoncé à travailler sur ce genre de texte, je trouvais cela tellement risible que ça ne méritait pas que j’y prête mon temps. J’ai décidé de passer à autre chose. J’ai continué à militer. J’ai lu des livres. J’ai écrit des chroniques. Je me suis mis à réviser les épreuves de mon prochain ouvrage sur Lègba…
Il y a eu l’annonce de l’arrestation au Cameroun de l’écrivain Patrice Nganang, pour outrage, entre autres, au chef de l’État. Je l’ai senti sur ma chair. Lorsqu’on décide de militer pour les droits de l’homme, on est exposé à ce genre de situation scandaleuse. Plusieurs personnes ont demandé sa libération. Il y a eu des articles, des pétitions, etc.
J’ai écrit un papier que je n’ai pas publié. Je me suis dit : puisqu’il a la chance d’être de nationalité américaine, et qu’il est innocent, et que tout le monde le sait, il va s’en sortir. Très souvent, au Cameroun, le riche ne va pas en prison, on le sait, la geôle est réservée aux pauvres, même quand ils n’ont rien fait.
Est considéré comme riche celui qui a les moyens de sa politique : de quoi prendre un bon avocat pour résister au système qui essaye de le broyer, graisser la patte des juges, attirer l’attention des médias, etc. De plus, nous savons tous que les Européens et les Américains ne laissent pas tomber les leurs…
Et très vite, il a été libéré. On l’a expulsé vers les États-Unis. Désormais, il lui est interdit de retourner au Cameroun. Et pourtant, il est aussi camerounais. Comment peut-on interdire à quelqu’un de rentrer chez lui. De rentrer à l’endroit où sa personne s’est forgée ? Comment peut-on en toute quiétude condamner un être humain à l’exil ? Comment est-on arrivé à expulser un Camerounais du Cameroun ? Le rêve des gens, qu’est-ce qu’on en fait ? …
Il y a eu les propos de l’ambassadeur américain au Cameroun, Peter Henry Barlerin. Il accusait l’État du Cameroun de mener des assassinats ciblés dans les régions anglophones. Tout le monde lui est tombé dessus. Les intellectuels et les hommes politiques. Qu’il énonce une vérité ou un mensonge n’intéressait personne. Pour eux, se questionner sur les êtres humains abattus n’était pas le sujet, il était plus important de crier au scandale, de dire qu’un diplomate a un droit de réserve, qu’au travers de ces déclarations, les Américains veulent remplacer le président Paul Biya, etc.
Dans le même temps, on observait défiler, sur les chaînes de télévision du pays, des propagandistes, l’endoctrinement allait de plus belle… On croirait que tout va bien et que les militaires sont des saints. On fait mine de ne rien voir, alors qu’on sait qu’il y a des morts. Oui, des morts. Des enfants, des femmes, des hommes… des personnes d’un certain âge tabassées jusqu’à ce que mort s’ensuive. Oui, au Cameroun, dans la zone anglophone, on meurt dans un silence absolu. Mais où sont donc passés les intellectuels ? Pas la moindre compassion. Le sort de ces gens n’intéresse personne. L’humain se fait tuer dans l’indifférence totale. Ça convient, très bizarrement, comme ça, à tout le monde. Et voilà que, subitement, au Cameroun, il n’existe plus d’intellectuel. Tout le monde est devenu muet. Oui, muet. Et même aveugle. Personne n’a rien vu. Personne n’a rien entendu. Chacun se complaît dans le silence. Chacun mène sa petite vie dans l’indifférence totale. Les morts ? Quels morts ? Il n’y a jamais rien eu. Tout est rose. La vie est belle. Que vive le roi en république…
Michel Tagne Foko est Chroniqueur, écrivain, éditeur. Membre de la société des auteurs du Poitou-Charentes