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Saint-louis Est-elle Condamnée ? (par Ahmed Dansokho)

Faudra-t-il attendre que la ville soit engloutie par les eaux ou qu’elle subisse une attaque de peste pour que les autorités et les populations daignent dessiller leurs yeux et agir ? De la grandeur de Saint-Louis, de son passé de ville multi-centenaire, il ne reste plus que quelques vieilles bâtisses dans l’île et sur la Langue de barbarie, tout ce qui rendait cette cité agréable est en train de f… le camp sous nos yeux et cela ne gêne personne ici, au premier chef le premier magistrat de cette ville. Nulle part, je ne vois ni n’entends un plan directeur pour la ville, des édifices sortent de terre et bien malin qui pourrait savoir leur origine et leur finalité. La seule chose dont je suis certain, c’est que la mairie dispose de bennes tasseuses qui passent souvent dans les quartiers récupérer les ordures, et à ce niveau, il y a beaucoup à dire. Malgré ces efforts louables, certains quartiers de la ville restent toujours sales et il serait vraiment de bon aloi que la municipalité appelle à des concertations sur cette question, car des spécialistes de ces questions existent et la population, première concernée, doit être impliquée fortement.

La mairie ne peut pas se cantonner à gérer le quotidien, elle doit anticiper, et pour anticiper il faut avoir des données fiables au niveau des services comme le service de l’urbanisme, la préfecture et même les Eaux et forêts car en définitive, tous les problèmes de Saint-Louis gravitent autour d’un unique point : l’occupation de l’espace. Et de l’espace, il n’y en a plus dans les zones loties de la ville. Les seuls espaces qui restent se trouvent dans les zones non-loties comme à Pikine, Diaminar et Sor. Pikine est lui-même un paradoxe. Il concentre le vivier électoral dont raffolent les politiciens, il est le quartier le plus peuplé de la ville, mais il est en train de mourir du fait de sa surpopulation, de la promiscuité et de tout ce qui va avec.

Si Pikine avait été loti, cela aurait évité aux autorités d’avoir à gérer des problèmes en continuelle croissance avec des solutions toujours plus onéreuses.

Pikine est une bombe démographique, écologique et sanitaire. Sur le plan démographique, il est le quartier le plus densément peuplé, car il s’étend sur une grande superficie de bandes de sable côtières entrecoupées d’anciens marigots saisonniers asséchés par le fait des longues sécheresses d’antan, mais aussi par le fait de l’homme avec le programme de réhabilitation du quartier à l’aube de l’alternance en 2000. A l’instar du reste de la population du pays, le taux de natalité reste élevé et les maisons jadis grandes sont devenues très étroites, et lorsqu’elles sont partagées à la suite de la disparition du pater, il en résulte des sortes de bouges qui ne reçoivent du monde qu’au moment de dormir, tout le monde passe la journée dehors, attendant avec appréhension l’arrivée de la nuit. Pikine reste le seul endroit où il est encore possible d’acquérir un terrain à usage d’habitation et depuis une dizaine d’années, il y a une ruée vers ce quartier, les prix ont flambé et le plus petit espace se vend très cher.

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C’est ainsi que des habitants de la Langue de barbarie sont venus y habiter en masse pour ne pas trop s’éloigner de la mer. Des gens venus d’autres horizons ont fait de même, de sorte que le quartier est un microsome de la diversité humaine de notre pays et de la sous-région. Et à ce propos, je voudrais souligner le grand nombre de maisons en constructions ou en ruine occupées par des daara avec des maîtres et talibés venant d’autres régions du Sénégal ou de la sous-région. Il y a des milliers de talibés dans le quartier et aussi dans la ville et cela devrait appeler une réflexion de la part de la municipalité, voire de l’Etat. Quand dans un espace de 100m2 ou même moins, quelqu’un se permet de faire vivre plus de 50 personnes, en majorité des enfants de 5 à 15 ans, il y a un problème de droit élémentaire qui est dénié à ces enfants et je ne sais pas s’il est juste d’attendre de ces enfants qu’ils soient comme tous les autres. Pour les autres habitants voisins de ces gens aussi, il se pose un problème de sécurité des biens. Tous ceux qui avaient construit une belle maison, et embelli les abords ont baissé les bras, ceux qui disposent de voitures personnelles sont encore plus traumatisés par les dégradations volontaires qu’ils subissent (éraflures, bris de pare-brise ou de rétroviseur quand ce n’est pas l’essuie-glace).

Au plan écologique, j’évoquerai seulement les multiples agressions contre la mangrove, et à ce titre, j’interpelle le ministère de l’Environnement car ses services régionaux devraient jeter un coup d’œil sur la mangrove de Pikine. Précisément celle située au sud de la station de pompage de Sor Missirah. Ce qui se passe sur place est tout bonnement scandaleux. Les spéculateurs fonciers ont vendu une bande de terre qui a été levée parallèlement à la digue-route qui relie Pikine à Sor Missirah. Cet arrêtoir a permis que l’eau du fleuve n’entrave pas l’érection de la digue, il est constitué d’argile noir séché qui s’envole au moindre coup de vent, pour dire que cet endroit est instable car il s’affaissera tôt ou tard en cas de fortes pluies ou de remontée durable des crues du fleuve. Hé bien, des gens y ont investi des millions sans réfléchir. Pire, il est clair dans l’esprit de tous que le niveau des eaux remonte partout et, dans cette zone, l’eau a avancé et repris les 2/3 de la zone sableuse qui séparait le grand bras du fleuve et le petit bras qui sert d’exutoire à la station de pompage. En hivernage, les deux eaux sont justes séparées de 25 m et si vous creusez 30 cm, vous avez de l’eau.

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Avant l’ouverture de la brèche sur l’océan, cette zone était engloutie sous 50 cm d’eau pendant tout l’hivernage et personne n’imaginait qu’un jour, des gens viendraient y habiter. Ils l’ont fait cependant et certains se rendent compte qu’ils ont été floués. Cette zone devant disparaître de façon naturelle, car le fleuve a englouti les 2/3 de sa largeur et le 1/3 restant est constitué de zones de marécage parsemés de roseaux, d’herbes et de palétuviers. Avant 2003, il n’y avait plus de roseaux ni de palétuviers dans cette zone, les cycles de sécheresses avaient laminé le couvert végétal aquatique.

En 2003, avec les fortes inondations qui apportaient beaucoup de propagules, j’ai moi-même ramassé des centaines de propagules de palétuviers que j’ai planté dans le canal fluvial qui sépare Pikine de Sor Missirah (j’ai des témoins et j’ai les photos), l’endroit a reverdi jusqu’à dépasser mes espérances car il est très poissonneux. Mais il y a quelques jours, je me suis promené dans cette zone et j’ai eu très mal, des spéculateurs avaient coupé la plupart des palétuviers pneumatophores et s’attaquaient aux groupes de palétuviers à échasses plantés depuis 2003. Je ne suis pas géologue ou géographe, mais je sais que cette partie est inhabitable et tout le monde le sait et au lieu d’aider les gens à s’installer dans des zones plus propices, les politiciens les caressent dans le sens du poil en leur promettant un futur radieux, leur seul souci est de fidéliser un électorat crédule. J’interpelle à nouveau le ministère de l’Environnement pour qu’il envoie ses services, je leur ai envoyé des photos avec commentaires sur leur site et seul un sms automatique de réponse m’est renvoyé tout le temps.

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Au plan sanitaire, je peux avancer sans hésiter que notre quartier est le plus sale de la ville. Il n’y existe qu’un réseau sommaire de collecte et d’évacuation des eaux de pluies, réseau détourné de sa fonction première par les populations qui l’utilisent comme exutoire d’eaux usées et parfois de boues de vidanges. Conséquence de l’étroitesse des rues, de l’exigüité des logis, du grand nombre de gens y vivant et de la remontée générale de la nappe phréatique, les fosses septiques se remplissent vite et certaines, mal conçues, laissent s’écouler leur contenu par petits filets dans les rues. Il y a des gens qui appellent un camion vidangeur chaque fois que de besoin, mais le plus grand nombre préfère s’attacher les services de «baay fosses» qui creusent dans la rue, y vident seau par seau les fosses. La nappe affleurant presque, il est impossible de creuser profondément et, par conséquent, les trous sont peu profonds mais allongés et cerclés de levées de terre. Une fois le tout bu par la terre, l’endroit sert d’espace public de jeu comme si rien n’avait souillé le lieu. Je veux dire par là que les enfants jouant dans nos rues et ruelles sont sur infectés et pareil pour ceux qui consomment les aliments cuits et vendus dans les rues du quartier, le vent enlève et dépose les microbes partout.

Je ne peux terminer sans évoquer la présence des talibés qui jouent un rôle majeur dans le processus d’envahissement des ordures. En effet, moyennant de l’argent, entre 25 ou 50 francs, les femmes chargent ces talibés de verser leurs eaux usées et ordures. Ces gosses chargés de ces lourds kilos d’immondices risquent leur santé et leur vie et ils les versent au premier coin de rue si personne ne les observe.

Pour évaluer l’étendue de ces pratiques, il faut se promener sur la digue de protection de Pikine. Quand la saleté déborde et envahit toute la route, il y a une pelle mécanique qui vient repousser les saletés. Mais dès le lendemain, les mêmes individus reversent leurs ordures dans les ornières laissées par la pelle mécanique. En ce moment, l’endroit est tellement sale et nauséabond qu’il a cessé d’être le bel lieu de promenade qu’il fut. De l’audace, des idées nouvelles et des thérapies de choc, c’est cela qui peut sauver les gens. «Il y a un coût et un risque associé à l’action, mais à long terme, l’inaction confortable est beaucoup plus coûteuse et risquée» (John Fitzerald Kennedy).

Ahmed DANSOKHO

Enseignant

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