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Youssou Ndour, Gloire AmÈre

Youssou Ndour, Gloire AmÈre

La scène se passe dans le chic 16e arrondissement parisien l’hiver 2014. Bâtiments cossus, rues et allées proprettes, en ce février clément, Paris ruisselle de son flot indolent. L’air glacé est griffé de temps à autres par des rayons chaleureux. Tout autour du Boulevard d’Iena, et de sa grande et impériale perspective qui découvre les arêtes de l’arc de triomphe, une petite effervescence commence à remplir l’écho. Un ballet de voitures officielles donne progressivement vie au quartier, injectant aux ruelles un peu de tonus. Dans un immeuble en retrait, presque confidentiel, se joue l’avenir économique du Sénégal. Le cabinet McKinsey a cravaché sur le PSE et la réunion qui commence a pour but d’inonder le Sénégal de milliards. Avant l’émergence, il faut bien la simulation de noyade, donc les grands tuyaux. Le groupe consultatif réunit bailleurs de fonds, gotha dakarois voyageant au frais du prince. Tout le monde est là, journalistes, courtisans, artistes, diplomates, c’est le Dakar affriolant, qui se pavane, s’autocongratule, se toise, dans ce grand xawaré national décentralisé à Paris.

Pendant une pause lors des séances, Youssou Ndour, membre de délégation, est impliqué dans une violente embrouille. A l’entrée d’un ascenseur, l’accès d’un bureau semble lui être interdit par un agent du protocole régalien. Invectives, échanges musclés en wolof, attroupements du parterre incrédule, et quelques minutes plus tard : la diplomatie nationale : le Masla, aidé là par le secret national de l’instruction, le Suturë, étouffe l’affaire. Alors la tension dégrossit, et la gravité de l’instant désépaissit, il y a un flash, un éclair pendant lequel l’on croise les yeux de Youssou Ndour. Le regard nu, le masque d’une blessure profonde apparente. 

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La grande souveraineté que la gloire finit par semer dans le port ; l’interminable liste des faits glorieux, épiques ; la réussite irréfutable que le talent et le labeur, de concert, ont construit ; jadis si féconds à illuminer les visages, à les rendre immunisés contre la jalousie, l’envie ; tout d’un coup, pendant cette scène, il y a un goût d’inachevé, cerise empoissonnée sur le gâteau qui a goût de bile. On reproche quelque chose à Youssou Ndour. Quelque chose comme la légitimité du cercle. Un combat que même sa gloire, des plus fulgurantes du pays, n’arrive pas à gagner. Et l’on se reporte à ce couplet dans Ba Tey, où le cordonnier te conçoit une semelle à la hauteur de ton apparence. Le mépris commun a rencontré en chemin la caste nationale pour la machine à disqualifier.

Si la gloire est le soleil des immortels, il y a à parier qu’avec Youssou Ndour, il y a ombrage. Le génie de l’artiste, le succès de l’entrepreneur, la portée de l’ambassadeur national, le timbre de la voix nationale, l’idole mondiale, ont toujours dû frayer avec le mépris contre l’analphabète, instruit tardivement. Partout lui a été opposé ce mépris de caste qui ronge d’amertume même ceux qui se croient à l’abri. Même couvert d’or et de lauriers, l’œil de ses détracteurs, s’attachera à ne voir que ce point. Ce détail. Poison diffus qui n’attaque pas mais démange.

Que les tâtonnements, les mauvaises idées, les alliances opportunistes, aient été le marqueur de son engagement politique, tient sa source dans le fait que Youssou Ndour a été perçu comme un amuseur national, une idole dépolitisée, que l’on ne considérait pas comme un danger, ni une menace. Il a servi d’ornement, de caution, à des milieux où sa voix – singulière – coïncidence, n’a pas été écoutée ni respectée. 

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Il est toujours dangereux pour l’art de découcher en politique. Il faut avoir les deux fibres pour survivre. Youssou Ndour n’en avait qu’une. Mais ce que les hommes vous ôtent, l’Histoire vous le rend. Voici son acquis, son visa. Les pourvoyeurs universels d’émotions survivent à tous les procès. Quand bien même parfois, la gloire est amère. Ses chansons restent ses plus grandes leçons, de vie et de politique.

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