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Arrêt De La Cour De Justice De La Cedeao : M. Khalifa Sall Devrait être Libéré !

Sur l’affaire Khalifa Sall et autres, la Cour de Justice de la CEDEAO n’a pas émis des vœux, elle a plutôt rendu une décision qui s’impose entièrement à l’État du Sénégal. Selon la juridiction communautaire, les droits de la défense ont été violés en première instance, notamment le droit à l’assistance d’un conseil, le droit à la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable. Elle estime en outre que « la détention de Monsieur Khalifa Sall, entre la date de la proclamation des résultats des élections législatives par le Conseil constitutionnel, c’est-à-dire le 14 août 2017, et celle de la levée de son immunité parlementaire, à savoir le 25 novembre 2017 est arbitraire ». Ainsi, la Cour a condamné l’État du Sénégal à verser la somme de 35 millions de Francs CFA aux requérants en réparation du préjudice qu’ils ont subi du fait de ces manquements.

Cette décision n’exige pas expressément la libération de M. Khalifa Sall, mais elle y serait favorable à tout le moins. La réplique est entendue : la Cour de justice de la CEDEAO n’est pas une juridiction fédérale dont les décisions s’imposeraient aux juridictions étatiques. Il n’existe aucune hiérarchie entre le juge communautaire et le juge national.

Par conséquent, l’arrêt de la Cour de Justice n’annule pas la décision du Tribunal de Grande Instance qui avait condamné le Maire de Dakar à 5 ans de prison pour escroquerie aux deniers publics, entre autres. D’ailleurs, le dispositif de la décision, seul élément disponible pour l’instant, indique que les requérants ont été déboutés du surplus de leurs prétentions en l’occurrence les demandes tendant à ordonner la cessation immédiate des poursuites et à enjoindre l’État du Sénégal de procéder à la libération immédiate de M. Khalifa Sall.

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Au demeurant, il faut bien comprendre les raisons de cette position de la Cour de justice. La décision n’est pas encore disponible dans son intégralité, mais la jurisprudence de la Cour est éclairante à ce sujet. Lors d’une interview sur l’affaire, le Professeur Ismaïla Madior Fall en a cité quelques éléments dont l’arrêt M. Mamadou Moustapha Kakali C/ République du Niger du 1er décembre 2015 dans lequel la Cour déclare qu’elle n’est pas une juridiction de réformation des décisions des juridictions internes. Cette décision constitue la suite d’une abondante jurisprudence : Jerry Ugokwe c/ Nigeria du 7 octobre 2005, Moussa Léo Keïta c. Etat du Mali du 22 mars 2007, Al Hadji Hammani Tidjani c/ République fédérale du Nigéria et autres du 28 juin 2007, Bakary Sarré et 28 autres c. République du Mali du 17 mars 2011, Mme Isabelle Manavi Ameganvi c. l’Etat Togolais du 13 mars 2012, etc.

Le juge communautaire refuse donc de connaître du recours tendant à annuler les décisions du juge national. Il en résulte que dans l’affaire Khalifa Sall, la Cour de justice de la CEDEAO n’aurait pas débouté les requérants des demandes de cessation des poursuites et de libération immédiate parce qu’elles seraient infondées. Au regard de sa jurisprudence susmentionnée, elle n’est pas compétente pour connaître de telles requêtes. Dans ce sens, on ne peut pas invoquer le fait que les requérants aient été déboutés de ces prétentions pour légitimer la détention de M. Khalifa Sall. La juridiction communautaire ne se serait pas prononcée sur le fond concernant ces demandes.

L’arrêt de la Cour de justice est d’autant plus intéressant que le procès en appel va se tenir très prochainement. La question est de savoir si la Cour d’appel de Dakar confirmera ou infirmera les juges de la CEDEAO. En tout état de cause, elle est dans une situation très délicate. La Cour d’appel n’est pas tenue de suivre le raisonnement de la Cour de justice, mais il lui faudrait des arguments solides pour l’écarter. Elle devra prouver en effet que les droits de la défense énumérés plus haut n’ont pas été violés ou que cette violation ne serait pas de nature à affecter la décision du Tribunal de Grande Instance de Dakar.

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En outre, il faudrait démontrer que la détention de M. Khalifa Sall entre la date de son élection en tant que député et celle de la levée de son immunité parlementaire, n’est pas arbitraire. Sur ce point, il sera très difficile à la Cour d’appel de tenir utilement un autre langage que celui de la Cour de justice. M. Khalifa Sall a été élu député avant l’intervention de la décision du Tribunal de Grande Instance. À partir de ce moment, il bénéficiait pleinement de l’immunité parlementaire. Il fallait immédiatement le libérer à la suite de son élection et procéder à la levée de son immunité pour reprendre ensuite la procédure.

Un tel raisonnement peut paraître incohérent. Le Professeur Mody Gadiaga considère que la détention ne peut pas être arbitraire lorsque la procédure y ayant conduit, est régulière. Plus concrètement, il estime que la détention de M. Khalifa Sall ne serait pas arbitraire par le simple fait qu’on ne l’ait pas libéré juste après son élection et avant la levée de son immunité parlementaire. Selon le brillant pénaliste, la première phase de la procédure ayant débouché sur la détention est régulière alors que la seconde qui a commencé à partir de l’élection a été régularisée par la levée de l’immunité, donc il n’y aurait pas détention arbitraire. On ne peut être qu’admiratif face à une telle ingéniosité intellectuelle.

Toutefois, le fond n’est pas tout à fait convaincant, son raisonnement est bien discutable. Pendant la phase de la détention provisoire, M. Khalifa Sall était présumé innocent des faits qui lui étaient reprochés. C’est pour cette raison qu’il avait pu être candidat aux élections législatives et obtenu les suffrages des électeurs qui ont fait de lui un député. Que l’on imagine la situation : une personne élue député ne peut pas procéder à la prise de poste parce qu’en détention provisoire, donc toujours présumée innocente quelle que fut la gravité des faits qu’on lui reproche. Lorsque la candidature est valide malgré la procédure judiciaire, l’immunité parlementaire doit produire pleinement ses effets même au cours de cette procédure pour autant que l’élection précède le jugement.

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Le dernier point sur lequel la Cour d’appel est très attendu, serait plus de la logique que du droit. L’État du Sénégal a été condamné pour violation des droits de la défense et pour détention arbitraire. Il va exécuter cette décision en versant l’indemnisation fixée aux requérants. L’on se demande comment la Cour d’appel de Dakar, une juridiction sénégalaise, pourrait ne pas suivre cet arrêt, même si juridiquement elle n’y serait pas tenue. L’État du Sénégal est UN ET INDIVISIBLE !

 

Ferdinand Faye

ATER en droit public à l’Université de Reims

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