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L’économie Du Sénégal à L’épreuve De La Transformation Numérique

L’économie Du Sénégal à L’épreuve De La Transformation Numérique

Les performances du numérique dans la production économique mondiale

La démocratisation de l’internet a enclenché le développement du numérique dans la chaîne de valeur mondiale. Les arguments brandis çà et là, en faveur des performances de l’industrie du digital, apparaissent comme une caution favorable à la lutte contre la conjoncture morose de l’économie internationale. Selon les chiffres officiels de la Banque mondiale, le paysage du numérique représente un poids de 11,5 milliards de dollars à l’échelle planétaire. L’organisation internationale de Washington, dans ses projections, table sur une contribution à hauteur de 25 % du PIB mondial et 1,4 milliards de dollars à la production économique mondiale d’ici à 2020. Ce scénario d’évolution optimiste reste conforté par la publication du rapport digital de 2018 qui montre que le nombre d’internautes a atteint 4, 021 milliards, soit une croissance annuelle de 7 %. Quant aux résultats de l’étude du cabinet Mc Kinsey de 2017, grâce au numérique, le PIB de l’Afrique pourrait atteindre 300 milliards de dollars en 2025. Une véritable manne financière et dont l’orientation efficience des ressources à des objectifs de création d’emplois et de réduction de pauvreté, serait de nature à entrainer la sortie de la trappe de la croissance atone.

Vu sous cet angle, l’importance prépondérante acquise par le numérique dans la chaîne de valeur mondiale débouche sur une interrogation : l’internet ne serait- il pas le pétrole de demains ? A y regarder de près, ce questionnement est légitime : car il tient lieu d’abord d’une clé explicative des performances de l’industrie du numérique dans la production mondiale et ensuite, il constitue une alternative favorable au modèle économique tributaire de la rente de plus en plus contesté et décrié.

Le numérique intégré au cœur des politiques publiques du Sénégal

Avec une économie conjoncturelle, doublement dépendante des cours des matières premières et de la pluviométrie, l’essor des technologies numériques constitue une véritable alternative, pour amorcer la diversification de l’économie nationale. En clair, elles apparaissent comme une remorque exponentielle pour tirer l’économie sénégalaise vers une croissance inclusive et redistributive. Ce constat amène le gouvernement à porter un intérêt croissant au secteur des télécommunications qui constitue la pièce maîtresse sur laquelle repose la transition de l’économie numérique. C’est à ce référentiel que s’adosse la volonté du gouvernement de développer des politiques publiques ancrées sur le numérique. Ce prisme conduit, l’Etat, à travers le Plan Sénégal Emergent (PSE), à définir une stratégie nationale dénommée : Sénégal Numérique 2025. A travers cette initiative, le gouvernement ambitionne de créer 35000 emplois et attend une contribution des technologies numériques à hauteur de 12 % dans le PIB. Une telle stratégie enveloppe de multiples objectifs bien définis et quantifiés et qui s’évertuent à positionner le Sénégal comme un hub incontournable dans l’écosystème du digital. En ce sens, la création du parc des technologies numériques, la construction de la Cité du savoir de Diamniadio et l’inauguration du siège du groupe Atos à Dakar, sont, entre autres, d’intéressantes initiatives qui témoignent de la volonté du gouvernement de faire de Dakar un creuset de l’écosystème du digital. Les performances pour le pays sont reluisantes ; car il caracole en tête des pays Ouest – africains avec une connectivité internationale jugée satisfaisante et un bon réseau de transmission national. En attestent d’une part, la part de l’I-PIB dans l’économie nationale (3,3%) et d’autres part, les performances de l’Agence De l’Informatique de l’Etat (ADIE) qui soutient que l’Etat du Sénégal est passé de 500 km de réseau de fibre optique en 2012 à 4.500 km en 2017.

Les chiffres officiels de l’ANSD (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie), situent la part de l’économie numérique dans le PIB à hauteur de 8 %. En dépit de cette performance, les problèmes d’accès aux infrastructures numériques persistent toujours. Le classement de l’indice de connectivité mobile de 2017 pointe notre pays à la 132 ém place sur 150 là où celui de l’indice mondial de développement des Ticd’Uit le propulse à la 142 ém place sur 176.Ces deux classements attestent que la digitalisation de l’économie manifeste encore quelques signes d’essoufflement. Et cela s’explique largement par les difficultés liées à l’accès et le manque d’infrastrtures qui sont, entre autres, les principaux écueils qui creusent davantage la fracture numérique entre le Sénégal et les pays de l’Afrique Australe, entre la ville de Dakar et les villes secondaires, entre les zones urbaines et les zones rurales. Ainsi, ces insuffisances débouchent sur la remise en cause de la qualité et de la profondeur du réseau national. Pour corriger ces imperfections, il faut continuer à doubler le maillage pour une bonne couverture en réseau d’internet de haut débit en 3G et 4G, plus profonde et accessible au niveau national qu’international.

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Outre l’enjeu incontournable du digital, il faut aussi saisir les opportunités y afférentes pour transformer en profondeur les différents secteurs socio- économiques du pays en vue de réduire d’une manière substantielle la fracture numérique. Pour ce faire, l’accent doit être mis sur l’indissociabilité du tryptique : dématérialisation, digitalisation et numérisation.

La Dématérialisation des services administratifs

Ce processus sera facilité par l’avènement de nouveaux canaux de communications (eFax, télé dac, Orbus …) qui remplacent désormais les anciens réseaux physiques composés principalement de bâtiments administratifs. L’avantage du processus de dématérialisation repose essentiellement sur sa rapidité d’exécution et une réduction drastique des coûts de transaction. Dans un pays comme le Sénégal, où le durcissement des conditions et la lourdeur des procédures administratives affectent l’environnement des affaires, la digitalisation des services administratifs induirait des gains de productivité, et une réduction dans la consommation bureautique en papier et en ancre. L’administration numérique rapproche davantage l’Etat aux populations vivantes dans des zones enclavées et qui n’auront plus besoin de se déplacer pour accéder aux informations et aux services de l’Etat. En effet, en s’appuyant sur un examen comparatif des expériences rwandaises et camerounaises, on s’aperçoit que la digitalisation des services de l’Etat reste toutefois sibylline. Au Rwanda, berceau de l’innovation, les renouvèlements des passeports, l’obtention d’une nouvelle carte d’identité et les copies de casiers judicaires sont demandées directement en ligne par les citoyens sans se déplacer.

Au Cameroun, la télé-déclaration, c’est – à – dire une plateforme à partir de laquelle, les citoyens peuvent y payer leurs impôts à l’aide d’un téléphone portable, a été instaurée par la Direction Générale des impôts.

A cet égard, au Sénégal, le numérique doit être déployé dans tous les secteurs socio-économiques clés du pays : (agriculture, éducation, santé, commerce).

La Digitalisation des entreprises du secteur privé

Aujourd’hui, c’est une lapalissade de dire qu’aucun pays ne peut se développer sans un secteur privé compétitif. Ce constat qui fait argument d’autorité dans la littérature économique, souligne que pour développer une économie numérique, il faut un secteur privé dynamique. Car, le digital joue un rôle essentiel dans la compétitivité des entreprises locales. Il réduit les coûts de production et de transaction, innove les procédés et les services traditionnels et in fine ouvre le boulevard de la croissance aux entreprises. En plus, dans ce contexte de révolution numérique, la plupart des stratégies d’innovation observées dans le secteur industriel, ont favorisé l’instauration de nouveaux services comme le Big Data pour l’enregistrement d’importantes données numériques et les systèmes d’informations pour la collecte et le stockage des informations sous des formes multiples. A cet effet, l’essor du digital a permis de replacer le secteur industriel dans la chaîne de valeur mondiale. Désormais, avec la révolution numérique, on bascule vers une « Quatrième révolution industrielle », ou l’industrie 4.0. L’écosystème du digital, à travers l’offre des biens et des services numériques, est une véritable niche d’emplois, un levier d’accroissement des gains de productivité et de performance des entreprises locales.

Or, à y regarder de plus près, l’économie sénégalaise est une économie extravertie c’est-à – dire que l’essentiel de la croissance est tiré par les grandes entreprises étrangères qui rapatrient leurs bénéfices. Pour une croissance inclusive et redistributive, il faut que l’Etat accorde davantage une place centrale aux TIC dans ses politiques publiques et de recourir aux capitaux privés pour un investissement structurant et rentable dans le paysage du digital. Au-delà de cet enjeu financier, l’intérêt primordial pour l’Etat est de confier aussi les grands projets nationaux aux acteurs du privé. L’idée de base de cette recommandation maîtresse, est d’améliorer considérablement la productivité et la performance des entreprises domestiques en vue de leur permettre de compétir sur le plan international. Mais, pour y arriver, il s’avère opportun que les acteurs du public et ceux du privé s’associent pour définir ensemble un nouveau cadre institutionnel et réglementaire. L’implantation de ce nouveau cadre serait de nature à favoriser le renforcement de la cybersécurité nationale. Mais, aussi de créer un environnement des affaires dans lequel, il serait plus facile de créer, de gérer une entreprise, de recourir aux crédits, de contrôler les taxes et les impôts. Une telle politique est censée attirer les meilleurs investisseurs en vue de faire du Sénégal une destination incontournable d’affaires.

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L’appui et le renforcement de l’écosystème des incubateurs

Le Sénégal est placé comme tête de file de l’économie numérique en Afrique de l’Ouest. Cette performance, on la doit au gouvernement qui depuis 2012, a mis en place une vigoureuse politique d’investissement axée sur la transformation numérique, mais aussi à la volonté et à la créativité de jeunes sénégalais – soucieux de participer au développement de leur pays. A cet égard, la capitale sénégalaise est la ruée de talents issus du pays et de la diaspora, de designers forcenés, d’investisseurs convaincus, d’entrepreneurs chevronnés, de développeurs aguerris. Un partenariat public/privé, qui a engendré le développement de nombreuses start- ups. Parmi les plus florissantes : Mlouma, Niokobok, la Cofina Start-up House, Baobab Entrepreneurship, Jokkolabs, People Input etc. En effet, toutes ces entreprises innovantes ont été accompagnées et propulsées par l’incubateur CTIC- Dakar, qui depuis 2011- date de sa création, a réussi à incuber plus de 200 entreprises. Une véritable success – story ! Le crédo de l’incubateur repose sur le repérage, l’accompagnement, et le développement des talents en vue de créer au Sénégal des champions dans l’écosystème du numérique.

Cependant au Sénégal, comme dans plusieurs pays africains, la lourdeur des conditions liées à l’accès aux financements structurels, freinent le développement des incubateurs. Guidées par l’impératif de réussir le double pari social et économique (améliorer les conditions de vie des populations en créant plus d’emploi et de richesse), le développement des PME et TPE sénégalaises est entravé par ces problèmes liés à l’accès aux ressources financières. De telles insuffisances contrastent ainsi avec les vertus qui leurs sont conférées. Pour trouver des solutions palliatives, l’Etat doit poursuivre et renforcer sa volonté d’accompagner les entreprises innovantes – en investissant plus dans le secteur privé. Certes, l’appui des organisations internationales (BM, AFD,) dans leurs politiques d’accompagnement des incubateurs africains est louable, mais ne peut pas assurer le financement du développement de toutes les start-ups. Au Sénégal, le programme triennal d’investissement, incorporé dans le PSE, allant de 2019 à 2022, devrait appuyer d’une manière substantielle les PME, génératrices de croissance et de progrès. Et cela passe nécessairement par le financement et le lancement d’autres réseaux d’incubateurs autre que CTIC – Dakar et d’intégrer le capital humain au cœur de la transformation numérique. Dans ce monde de profonde mutation, l’avenir appartient aux pays qui sauront gagner le pari sur le capital humain. Pour réussir le pari sur les ressources humaines, il faut mobiliser toutes les actions et les moyens nécessaires pour le renforcement des compétences au travers des formations ciblées en marketing, en management, en innovation et en commerce électronique.

La promotion de la digitalisation des marchés financiers

Le Sénégal compte 25 banques et 4 établissements financiers selon la BCEAO et avec un taux de bancarisation de 21%. En Côte d’Ivoire, ce taux est de 30 %, au Maroc 71 %, en Tunisie 49%. Cet examen comparatif offre un meilleur cadre d’interprétation de l’atonie du secteur bancaire au Sénégal. D’une part, il s’explique par une exclusion financière des femmes, des jeunes et une majeure partie des population vivants dans les zones rurales. Et d’autres part, par une absence d’infrastructures bancaires, un secteur financier peu profond, une concentration de l’activité bancaire, une absence de concurrence et des coût d’intermédiation élevés.

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Cependant, cette atonie du secteur bancaire, est depuis quelques années, bouleversée par la montée en puissance du paiement par mobile ; qui apparait comme une véritable innovation bancaire. Les services financiers offerts par le mobile-Banking couvrent presque l’ensemble des services offerts par les banques classiques. A cet effet, la diffusion des technologies mobiles et numériques a déjà contribué à stimuler considérablement l’ouverture de comptes en Afrique subsaharienne.

Au Sénégal, il y a 18 millions d’abonnés mobiles avec un taux de pénétration de 113,66%. Cette révolution du système bancaire traditionnel a été concrétisée en grande partie par le précurseur du porte-monnaie électronique M-pesa au Kenya. Crée en 2007, le M-Pesa est devenu un outil financier incontournable au Kenya où 75 % de la population paient leurs factures sans contraintes de délais Au Sénégal, la digitalisation des marchés financiers est portée par l’opérateur Mankoo ou branhless Banking. Crée en 2013, par la Société Générale, ce concept est un outil bancaire innovant et qui s’assigne comme mission d’incorporer dans le système les exclus de la banque classique. Promus dans le sillage de Mankoo, les opérateurs de transfert d’argent (Wari, Orange Money, Tigo Cash, Jooni Joni) sont venus offrir plus de services financiers formels aux populations vulnérables. Désormais, les sénégalais, à partir de leurs salons, peuvent payer leurs factures (eau, électricité, audiovisuel), acheter du carburant, recharger du crédit, envoyer et recevoir de l’argent sans se déplacer.

Ainsi, le Sénégal traverse une véritable révolution technologique grâce à l’éclosion du mobile money. Au regard de cette influence, la banque mobile, devenue portefeuille électronique, constitue aussi une véritable alternative aux banques classique et offre aux populations non bancarisées des produits comme le micro-crédit, la micro-épargne et la micro-assurance. Outre cet impact, le mobile Banking regorge aussi d’énormes potentialités d’inclusion financière.

Grace à son potentiel de pénétration, la banque mobile s’affranchit des obstacles géographiques pour toucher en profondeur les populations les plus défavorisées. Cette force de pénétration s’explique par le fait que le mobile Banking présente des coûts de transactions moindres. Cependant, il serait risqué de considérer l’essor du dyptique mobile-money et mobile-Banking comme une panacée pour le développement économique. Les dimensions transformationnelles de ces deux outils financiers doivent être accompagnées par un nouveau cadre réglementaire pour maitriser les risques de fraude cybercriminelle pour la protection des données des clients, et les risques de blanchiments d’argent.

En plus, les règles qui régissent le marché du paiement par mobile doivent être harmonisées. Car, en Afrique subsaharienne les opérateurs de réseau mobile ne disposent pas encore les prérogatives nécessaires pour émettre de la monnaie électronique. Ils sont placés sous la tutelle de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale). Cette dépendance systématique induit des barrières réglementaires qui limitent l’éclosion du marché de la monnaie électronique. En revanche, dans l’espace UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africain), malgré l’approbation de la BCEAO, les opérateurs mobiles peinent toujours à obtenir une licence de mobile Banking pour se détacher complètement de l’autorité compétente.

Il convient de rappeler que ce sont les durcissements techniques et les lourdeurs administratives auxquels ils doivent faire face- qui empêchent leurs détachements de l’autorité centrale. Aujourd’hui, cette situation nécessite une réforme des lois portant réglementation bancaire dans le cadre d’une coordination entre les banques et les opérateurs de réseau mobile.

 

Mandela Ndiaye TOURE

Economiste du développement

mandelatoure@gmail.com

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