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Lettre Ouverte Au Ministre De L’Éducation Nationale : Réquisitoire Contre L’organisation Du Bfem

Monsieur,

Si j’ai tardé à rédiger cette lettre, si depuis longtemps j’éprouvais la paresse de tremper ma plume pour m’adresser à vous, c’est parce que je me suis toujours dit que de toute façon, je n’allais rien vous apprendre puisque vous êtes à la tête du ministère qui se charge de l’Education, et vous devriez normalement être informé plus que qui que ce soit de tous les maux qui pourraient mettre en péril ce secteur par lequel le développement de tout un pays passe. Un pays ne pourra jamais émerger si l’éducation manque à la mission qui lui est confiée. La conséquence d’un tel manquement aboutira sans doute à la conception de produits finis façonnés à vivre éternellement dans la corruption et la tricherie.

Le Brevet de fin d’études moyennes, un examen qui ouvre aux collégiens les portes du lycée, à mon avis, devrait être aussi sérieux que n’importe quel autre. Mais malheureusement, la manière dont il se déroule depuis quelques années, et plus précisément depuis l’arrivée du régime en place, laisse à désirer et ôte de plus en plus au diplôme sa crédibilité. Je me souviens qu’à notre époque, il fallait être un crack, un élève très sérieux au travail pour espérer passer au premier tour du Bfem, et je me rappelle encore quelques camarades qui avaient assuré le tableau d’honneur aux compositions du premier et du second semestre, mais qui malheureusement n’avaient pas pu décrocher le Bfem. Une telle situation est inimaginable à l’heure actuelle où même les élèves qui sont blâmés ou risquent l’exclusion passent au premier tour, et les candidats moins chanceux qui sont reçus au second tour ne sont même pas inquiétés d’autant plus que celui-ci n’est qu’une formalité où le plus souvent tout le monde passe avec ou sans les conditions requises.

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Monsieur le ministre, vous avez certainement remarqué que les résultats de l’examen du Bfem se sont bonifiés depuis votre nomination à la tête du ministère de l’Education nationale. Néanmoins, je ne pourrai pas vous en féliciter parce que vous le savez mieux que moi que ces réussites ne reflètent guère le niveau des candidats. Vous savez pertinemment que si l’organisation était sanctionnée de sérieux et de rigueur, on n’atteindrait difficilement la moitié du pourcentage de ces dernières années. Vous le savez mieux que moi aussi que ce mal vient principalement du fait que vous refusez de mettre les moyens qu’il faut pour un bon déroulement de cet examen. Pourquoi refusez-vous de mettre dans de bonnes conditions les correcteurs pour qu’ils soient à l’abri de toute tentative de corruption ? Puisque le correcteur qui fait un déplacement de moins de 70 km perçoit une indemnité égale au quart de celle de celui qui fait plus de 70 km, vous faites tout depuis des années pour que les correcteurs restent presque chez eux pour dépenser moins en termes d’indemnités de déplacement. Vous ne pouvez pas ignorer que ce que les correcteurs encaissent après l’examen ne peut, en aucun cas, assurer leur hébergement, restauration et frais de déplacement. Tout correcteur au Bfem qui tenterait de réserver une chambre dans un campement ou auberge dans la localité où il a été désigné et en plus de payer sa nourriture pendant les dix jours du déroulement de l’examen risquerait de dépenser deux voire trois fois plus que la somme qu’il recevra à la fin comme indemnité. Dans une telle situation, les correcteurs deviennent généralement dépendants et ne pourront plus refuser l’accueil royal que leur réservent les parents d’élèves qu’ils doivent corriger.

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Monsieur le minister, êtes-vous au courant du fait que dans certains villages les correcteurs sont gâtés comme des princes dans une ambiance festive où coqs, béliers, boucs et même bœufs sont immolés pour leur faire honneur ? Certains même ont le privilège, s’ils ne le déclinent pas, d’avoir de belles filles, parfois les plus belles du village pour bien s’occuper d’eux, je dis bien s’occuper d’eux, pendant leur séjour dans une chambre bien aménagée pour les accueillir. Dans certains villages, les habitants vont souvent même jusqu’à tenir des discours comminatoires pour mettre en garde les correcteurs que les honneurs reçus finissent par affaiblir. Et même si ce n’est pas le cas, le correcteur lui-même serait finalement gêné de voir le fils ou le neveu de son hôte retenu à l’issue des examens.

A cela s’ajoute le fait que le correcteur aura à faire souvent avec des élèves qui se trouvent être ceux d’un collègue qui est probablement un ami proche lié pas une amitié, née des rencontres pédagogiques mensuelles de la cellule départementale, et qui pourrait même le contacter pour lui signaler que c’est lui qui corrige ses potaches.

Monsieur le ministre, parlons à présent de la surveillance ! Saviez-vous que les enseignants qui se chargent de cette surveillance sont souvent en face d’élèves qu’ils avaient il y a juste quelques années ? Des fois même, ils surveillent leurs propres enfants ou ceux des voisins. S’ils sont francs, ils reconnaîtront que certains parmi eux aident parfois les candidats à répondre à certaines questions ou leur donnent le feu vert de s’entraider. Ainsi pour chaque matière, les candidats les plus doués aident les autres sous les yeux complices de surveillants atteints par la sensibilité.

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Monsieur le ministre, ceci n’est point un réquisitoire contre mes chers collègues, mais plutôt une diatribe à l’égard de votre démarche impertinente dont le seul objectif est d’économiser en refusant de leur accorder les moyens qu’il faut pour leur permettre de faire leur travail avec plus de sérieux et de rigueur et dans la dignité et qui sera sanctionné de résultats crédibles reflétant la compétence réelle des élèves où les candidats admis entreront au lycée avec au moins un niveau acceptable qui leur permettra d’affronter sans difficulté les enseignements dispensés dans ce nouveau cycle.

Monsieur le ministre, j’allais oublier de vous signaler aussi que les chefs d’établissement qu’on nomme généralement comme présidents de jury sont des fois obligés de tordre le bras aux correcteurs pour pouvoir repêcher en masse parce qu’eux aussi sont souvent victimes des relations amicales entre chefs d’établissement du même département. Certains voudront garder les bons rapports qui les lient avec leurs collègues et cela passe nécessairement par l’indulgence dont ils doivent faire montre lors de la délibération. Je suis désolé de vous le dire Monsieur le ministre, mais quand je vois combien les collègues se plaignent au quotidien du niveau faible des élèves, je trouve inquiétant le taux de passage avoisinant en général depuis quelques années les 100%.

Tout en espérant que ma lettre vous parviendra à travers l’outil par lequel vous vous ouvrez au monde, veuillez Monsieur le ministre accepter l’expression de mes sentiments les plus distingués.

 

Mouhamed DIOP

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