Une baudruche qui s’est dégonflée ? Une montagne qui a accouché d’une souris ? Une affaire kafkaïenne ? Tout ça pour ça ? C’est à l’avenant. Des amis, qui connaissaient ma position sur l’affaire durant ces trois longues années, m’ont appelé pour me féliciter après l’énoncé du verdict acquittant l’imam Alioune Badara Ndao et quelques-uns de ses co-accusés et condamnant quelques autres, comme Makhtar Diokhané, à de lourdes peines de prison. Diokhané a pris 20 ans. D’autres « djihadistes » — ou présentés comme tels — ont écopé de peines plus « clémentes », si l’on peut dire, allant de un à cinq ans de prison.
Tel est l’épilogue de ce méga-procès dit des terroristes sénégalais qui a tenu en haleine le pays tout entier pendant plus de trois mois. Un procès à grand spectacle précédé de révélations fracassantes par le biais de fuites savamment distillées, histoire de montrer aux Sénégalais qu’ils l’ont échappé belle. Et que, n’eut été la grandissime vigilance de nos autorités, notre pays aurait été la cible d’attaques terroristes à grande échelle. Ce procès avait été précédé par l’arrestation spectaculaire de l’imam Alioune Badara Ndao par des escouades de gendarmes encagoulés, couverts par des tireurs d’élite munis de fusils d’assaut, gilets pare-balles, grenades etc. Bref, la grande artillerie. Les autres apprentis terroristes ou djihadistes présumés avaient été interpellés dans les mêmes conditions ubuesques.
Ah, ils allaient voir ce qu’ils allaient voir, ces terroristes ! L’affaire paraissait d’autant plus sérieuse que les autorités refusaient absolument de communiquer sur ce dossier « terroriste » qui relevait, à les en croire, du secret-défense. Bref, c’était trop sérieux pour que le public ait le droit d’en être informé. Ce même si, par la suite, des fuites ont été organisées pour persuader le bon peuple qu’il peut dormir tranquille, les autorités, en tête des quelles le président de la République, veillant nuit et jour sur lui et menant en particulier une terrible guerre dans l’ombre contre ces méchants terroristes qui veulent destituer notre pays. Sans doute. Sauf que la paranoïa terroriste ne doit pas conduire à faire n’importe quoi, en particulier à arrêter et emprisonner pendant de longues années des innocents. Ce qui a été le cas dans l’affaire dite Imam Alioune Badara Ndao et compagnie
Personnellement, je n’ai jamais cru au projet terroriste ou djihadiste supposé de ce religieux basé à Kaolack et de ses co-accusés. Encore moins à l’instauration d’un émirat dont ils seraient les promoteurs ou à la transformation des champs de l’imam, à Kaolack, en un camp d’entrainement pour djihadistes ! Mais voilà, tout à son désir de montrer aux Occidentaux, à la France en particulier, sa détermination à prendre part au combat contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne — surtout après le refus, vécu comme une humiliation par lui, de l’admission du Sénégal au G5 Sahel —, et aussi de profiter des financements occidentaux qui vont avec, il fallait bien au président Macky Sall donner des gages.
L’affaire Makhtar Diokhané est tombée à point nommé pour lui permettre de montrer aux Macron et autres qu’il est un bon allié de l’Europe dans la guerre contre le terrorisme. A l’époque, les services français avaient intercepté des conversations téléphoniques entre celui qui était présenté comme un sergent-recruteur de Boko Haram et des comparses établis au Sénégal parmi lesquels, paraît-il, l’imam Alioune Badara Ndao. Présent au Niger où il tentait de faire libérer des compatriotes présentés comme d’ex combattants de la secte terroriste nigériane, Diokhané avait été finalement arrêté dans ce pays. Avertis, les services de renseignements sénégalais étaient entrés dans la danse. Après quoi, une gigantesque traque avait été lancée contre ce qui avait été présenté comme une mouvance djihadiste sénégalaise.
Gentlemen’s agreement
Au lendemain de l’arrestation d’imam Ndao et compagnie, nous avions écrit dans ces colonnes que le gouvernement faisait de l’agitation et de l’activisme et que, à supposer que les gens interpelés soient effectivement des islamistes, rien n’indiquait une volonté de leur part de passer à l’acte au Sénégal. Nous ajoutions que de tout temps, en tout cas depuis le magistère du président Abdou Diouf, les services de notre pays surveillaient de près les islamistes locaux et leurs relations coupables à l’international, sans pour autant les inquiéter outre mesure.
Au contraire, écrivions-nous, il y avait une sorte de gentlemen’s agreement qui voulait que lesdits islamistes n’entreprendraient pas quoi que ce soit de répréhensible au Sénégal, en échange de quoi les autorités leur fichaient une paix royale. « Cela a toujours fonctionné ainsi », écrivions-nous. Notre position a toujours été que, même à supposer que Matar Diokhané et ses comparses aient fait le coup de feu au Nigéria, rien n’indiquait qu’ils aient eu l’intention de frapper leur propre pays. La sanctuarisation du Sénégal- étant garantie, libre à eux d’aller s’engager comme mercenaires sur tous le théâtres d’opérations du monde. L’essentiel aurait dû être dès lors, pour les services sénégalais, de les ficher une fois de retour au pays et de suivre de très près leurs activités ! Et, éventuellement, de les interpeler en cas de velléité de passage à l’acte. Au lieu de quoi, on a fait du cinéma en prétendant avoir réalisé le démantèlement terroriste du siècle !
Mercenaires
Entendons-nous bien : les terroristes, ces lâches, doivent être traqués sans pitié et exterminés. Cela, il ne doit y avoir aucun doute là-dessus. Si on nous avait dit qu’Ansar Dine ou le Mujao malien, voire Aqmi, voulait frapper le Sénégal, cela aurait été plus vraisemblable qu’une opération de soldats perdus de Boko Haram dans notre pays. Pour de multiples raisons dont la moindre n’est pas que Abubakar Shekau, le gourou illuminé de Boko Haram, n’a pas les moyens logistiques ni la profondeur stratégique de frapper un pays aussi éloigné de sa base nigériane que le Sénégal.
Les Matar Diokhané et autres ? Au pis, des mercenaires partis faire la guerre contre rémunération. Pas plus que ça. Quelques jours après le début du procès d’imam Ndao et compagnie, après les révélations d’ex-combattants de Boko Haram faisant état de l’apprentissage à la fabrication d’explosifs et de conduite de chars de combat, voire de maniement de Kalachnikov, j’ai déjeuné avec deux patrons de presse. Les confrères étaient visiblement secoués par ce qu’ils avaient lu dans les journaux et entendu dans les radios. « C’est terrible ! On l’a vraiment échappé belle ! » ne cessaient-ils de dire. A leur grande surprise, je leur avais dit que tout cela, c’était du cinéma et je n’y croyais pas trop. D’abord, leur disai-je, il y a sans doute beaucoup d’affabulations de la part de ces prétendus terroristes dont la plupart n’ont sans doute jamais été au front. Et à supposer qu’ils aient fait le coup de feu, il fallait les considérer comme des soldats de fortune. Autrement dit, des mercenaires !
Après tout, le célèbre « affreux » français Bob Denard et ses hommes ont déstabilisé bien des régimes africains mais n’ont jamais frappé leur propre pays! Il en est de même pour le mercenaire sud-africain Simon Mann et ses mercenaires de la société « Exécutives out comes ». Cette thèse, je l’ai longuement développée à l’intention d’un membre du collectif chargé de défendre imam Ndao et ses coaccusés. Car enfin, a-t-on jamais vu une redoutable organisation terroriste qui prétend effectuer des frappes dans un pays et qui ne dispose même pas d’un fusil ? Voilà pourtant ce que l’accusation a tenté de nous vendre !
Les forces de sécurité ont eu beau multiplier les perquisitions, elles n’ont pas pu produire une seule arme de guerre, un seul explosif, pas la moindre grenade, aucun détonateur, rien du tout. Les devises saisies sur les terroristes présumés ? Sans doute le fruit de leur rémunération par Boko Haram ! Le financement reçu d’un comparse établi en Arabie Saoudite ? Si on devait emprisonner tous nos prédicateurs religieux et autres truands qui ont reçu des financements prétendument pour construire des mosquées, des « daaras », des instituts islamiques et autres « médersas », tous les établissements pénitentiaires du pays ne suffiraient pas pour les contenir ! Et c’est bien parce que j’ai toujours été convaincu de l’innocence de presque tous ces accusés de terrorisme que j’ai permis au rappeur Abdou Karim Guèye alias Karim Khroun Haq, leader du mouvement « Nittu Deugg » — le premier à qui l’imam Ndao a rendu visite à sa sortie pour lui manifester sa reconnaissance — de faire de son émission dans ma radio une tribune pour mener le combat en faveur de la libération du religieux de Kaolack et ses co-accusés. Non pas que l’islamisme soit ma tasse de thé mais bien parce que j’avais l’intime conviction qu’une injustice était en train d’être commise. Après presque trois ans d’emprisonnement dans des conditions éprouvantes — car considérés comme des terroristes —, imam Alioune Badara Ndao et quelques autres ont été libérés.
La chambre criminelle spéciale du tribunal de grande instance de Dakar a cru devoir condamner quelques autres à de très lourdes peines de prison sans que l’on ne sache franchement pas très bien ce qui leur est reproché. Ils sont allés risquer leur vie contre espèces sonnantes et trébuchantes dans la forêt de Sambissa, au Nigéria, et alors ?
Mamadou Oumar Ndiaye