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La DerniÈre Bataille Des Princes De Wade

Ce matin-là, le chauffeur conduisait la Mercedes de la ministre-conseillère, avec plus d’entrain ! Dès que la porte de celle-ci s’entrouvrit au niveau du perron du Secrétariat général de la Présidence où je me tenais, la ministre-conseillère esquissa aussitôt un franc sourire de vainqueur dans ma direction. De tempérament précautionneux, voire méfiant, elle n’attendit pas un lieu plus discret, loin du mauvais œil, pour laisser éclater sa joie ! La victoire était trop belle, elle méritait des sentiments extériorisés dans un endroit si habituellement aseptisé. Le départ de son concurrent pour lequel nous avions œuvré en coulisse, laissait augurer des lendemains qui chantent ! Et pourtant, notre tandem tomba brusquement comme un jeu de cartes. Ces dernières furent rabattues et nous n’avions ni le rôle de roi, de reine, de valet mais celui d’une carte bien faible à opposer face à la toute-puissance de certains.

Sans doute avions-nous manqué de machiavélisme au moment où il en fallut ! En règle générale, dans l’histoire humaine et à fortiori dans le landerneau politique, un minimum de maîtrise de l’art de la guerre s’impose. Au Sénégal, l’histoire politique est parsemée de ces moments au cours desquels seule la loi du plus fort compte. La stabilité ne s’est pas bâtie sans duels fratricides. Sur fond de déclaration d’indépendance, celui entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia pourrait figurer en bonne place dans un manuel de science politique sous la rubrique : L’art de la ruse et des « beaux crimes » ! De par sa fonction de président de Conseil, Mamadou Dia était le véritable chef du pouvoir exécutif.  De son côté, Senghor se cantonnait à des fonctions protocolaires. Le combat était d’apparence institutionnellement déséquilibré entre les deux têtes de l’exécutif. Mais, ancien député sous la IVème République française, Senghor connaissait la fragilité de ce type de régime parlementaire. La force de Mamadou Dia ? Elle ne tenait qu’au bon vouloir de l’Assemblée nationale.

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Inspiré de l’intelligence rusée des métis chez les grecs, Senghor, en vrai renard et poulpe, dissimula sa vraie nature d’homme politique. C’était la duplicité de son personnage. On le croyait poète, il savait aussi saisir les occasions qui ne se présentent qu’une seule fois, se donner les moyens de triompher alors qu’il était en situation de faiblesse et in fine embastiller pour asseoir son autorité. Il guetta le départ de Mamadou Dia hors du pays pour rallier les députés en sa faveur et pour lui tendre un piège fatal dès son retour qui, fondé sur un motif trompeur, le conduira en prison pendant plus de 11 ans. Il ne restait plus qu’à faire d’une pierre deux coups avec la prééminence de la fonction présidentielle et la mise au pas du législatif et du judiciaire. Encore aujourd’hui, le Sénégal vit sous ce régime senghorien d’émanation française (à quelques variables près) !

Tous les présidents sénégalais, qu’ils aient eu un accès à la fonction suprême, difficile comme Me Wade ou plus facile pour Macky Sall, ont été confrontés au même questionnement : comment se maintenir au pouvoir, voire s’y renforcer ? Au premier chef, il importe de garantir la sûreté du nouvel homme fort, avant même sa longévité. Abdou Diouf créa un léviathan judiciaire, la CREI, pour, dit-on, tuer dans l’œuf les encombrants barrons senghoriens. Sous Wade, et ce dès 2004, l’histoire politique sénégalaise se résuma à celle d’hommes ambitieux qui rêvèrent de devenir Calife à la place du Calife ! Du fait de l’âge avancé de Me Wade, certains jeunes loups du PDS, ses créatures, planifièrent un coup d’Etat à la Bourguiba. Le lièvre, le plus intelligent des animaux selon Senghor, ne s’en laissa pas compter. Il dût commettre l’erreur d’une possible succession génétique et d’une tentative de passage en force, pour que le peuple sénégalais s’offense.  

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Macky Sall, de sa conquête du pouvoir jusqu’à nos jours, se révéla le meilleur d’entre tous :  le plus renard pour éviter les pièges et le plus lion pour se défendre contre les autres loups poulinés par Me Wade. Au grand jamais, un président d’une Assemblée nationale n’avait convoqué le ministre issu d’un même parti. Tout en étant dans la majorité présidentielle, il posa un acte d’opposant mûrement réfléchi et ça a fait mouche ! Arrivé au pouvoir, Macky Sall, conscient des habiletés politiques de Me Wade et de son charisme, restés intacts malgré sa défaite, commit ce que Machiavel désigna les « cruautés bien pratiquées », indispensables en début de règne afin de pourvoir à la sûreté du nouveau prince. Il réactiva la CREI pour éliminer politiquement Karim Wade, un prince héritier mal-aimé ! Les derniers remous au sein du PDS démontrent la toute-puissance du résultat Macky-avel. Ses anciens compagnons de route sont réduits à débattre du code électoral, et à construire une stratégie autour d’une candidature impuissante. La maintenir, c’est ce que certainement souhaite Macky Sall.

Cependant, les recettes du pouvoir ont-elles été toutes bien exécutées par Macky Sall ? Pas si sûr ! Pour Machiavel, les « cruautés mal pratiquées » sont celles qui « se multiplient avec le temps au lieu de cesser », celles qui font perdre aux sujets « tout sentiment de sécurité » et enfin celles qui « obligent de tenir le couteau en mains, ce qui finit par tourner mal ». Malgré la CREI et bien d’autres armes utilisées contre les Wade, Macky Sall ne s’en est pas complétement débarrassés. Même si le président de la République a plus d’un tour dans son sac et riposte illico, Me Wade est toujours présent sur la scène politique sénégalaise. C’est lui-même qui, à la tête de son parti, mena le PDS à un sursaut inespéré en l’érigeant au rang de 2ème force politique du Sénégal. Une députée de l’APR incriminait l’opposition d’être le repaire d’ennemis et non d’opposants ! Peut-être est-ce là le vrai danger pour la réélection de Macky Sall. Les ennemis, vengeurs, ceux-là même qu’il a créés, sont toujours plus difficiles à vaincre. S’il y a un second tour, ces ennemis feront cause commune. A l’inverse d’une opposition malienne dispersée !

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Tel est pris qui croyait prendre !  Les stratagèmes de Macky Sall pourraient finir par se retourner contre lui et lui nuire. Deviendra-t-il la grenouille de la prochaine fable politique politicienne sénégalaise ? Pour la succession de Khalifa Sall, les grosses ficelles devenaient trop visibles. Macky Sall a donc convenu que Benno ne pouvait pas avoir de candidat. Pour le reste ? La dissimulation, les arrière-pensées se dévoilent au grand jour, et la ruse perd de son effet ! Par ailleurs, la loi sur le parrainage, une arme anti-opposition, selon ses détracteurs, servira à certains candidats soit à affermir leur présence dans certaines régions comme pour Ousmane Sonko, soit à aller chercher une légitimité populaire comme pour Karim Wade.

C’est une période politique de plus de 14 ans, incertaine, très conflictuelle, très machiavélique, centrée sur la transmission du patrimoine libéral, qui prendra fin en février 2019 avec l’élection présidentielle. Le président Wade, dépositaire du testament libéral, n’y prendra pas part. Ses héritiers seront nombreux sur la ligne de départ. Macky Sall, jusqu’alors simple épigone, compte parmi eux, lui qui ambitionne d’être l’héritier incontesté du wadisme. Malheur aux vaincus parmi les héritiers de Wade ! Ce sera assurément la disgrâce pour eux et une nouvelle ère de reconstitution de la famille libérale autour de l’homme fort. La question de la succession sera enfin résolue. Et viendra le temps d’une nouvelle polarisation des forces politiques sénégalaises entre celles d’hier et d’aujourd’hui, entre les nouveaux libéraux et les nouvelles gauches, et le temps où la bonne gouvernance se substituera aux mauvaises pratiques politiciennes.

edesfourneaux@

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