Il faut croire en fin de compte que les marabouts qui s’appuient sur leur socle religieux pour faire de la politique matérialiste ne retiennent jamais les leçons que l’histoire a inscrites dans le marbre anti-oubli. Les propos du porte-parole de la confrérie Tidiane entrent dans ce cadre là ; ils appellent quasi explicitement les talibés Tidianes à voter pour le futur candidat Macky Sall, président de la République sortant, en récompense des travaux de modernisation réalisés dans la cité de Mame Maodo.
Quand des chefs religieux sacrifient une vision globale et cohérente du pays au profit d’une assistance matérielle et financière qui les comble de bonheur, ils s’installent dans un processus de trahison de l’idéal et des réalités qui sont les fondements de leurs fonctions sociales. Macky Sall, en utilisant les deniers de l’Etat (et non son fameux et fulgurant patrimoine !), tente de donner un visage plus décent à toutes ces contrées du pays desquelles ont émergé la résistance contre le colonialisme français et l’éducation des populations contre l’obscurantisme. C’est tout à son «honneur» en dépit du cachet politicien évident qui assoit cette initiative. L’en remercier devient alors une sorte de minimum syndical. Aller plus loin, comme Serigne Pape Malick Sy (photo) l’a fait, en appelant publiquement à le soutenir à la présidentielle de février 2019 devient un dépassement de bornes sans limite, un abus de pouvoir grotesque, un aveuglement malhonnête.
La confrérie Tidiane est assez émiettée par des divergences nées des vicissitudes de la politique pour que, de son cœur dirigeant, ne s’élève point une voix aussi autorisée pour orienter en chœur le vote des citoyens talibés. Ce n’est pas inacceptable. La diversité des opinions et des appartenances politiques qui s’entrechoquent en douceur à l’intérieur même du courant central qui exerce le khalifat de Maodo est telle que prudence, lucidité et retenue auraient dû être des freins contre cet aventurisme de mauvais goût, faiblement argumenté du reste.
Les choix politiques des Sénégalais, toutes tendances religieuses confondues, sont souverains et ne sauraient obéir à des considérations strictement matérielles et partisanes. Si tel devait être le cas, le pays courrait de graves dangers en mesure de compromettre sa stabilité et sa cohésion, deux leviers qui garantissent en gros la paix sociale depuis plusieurs décennies.
Il faut croire que, en prenant position pour le régime en place, le khalifat de Tivaouane avait peut-être oublié un des enseignements capitaux légués par le prophète de l’islam (pais & salut sur lui et sur sa famille) à la postérité musulmane : le devoir impérieux de dénoncer et de combattre (par la parole au moins) les tyrannies qui s’exercent à l’ombre des pouvoirs et qui ont pour noms: corruption active, violations permanentes des droits fondamentaux des citoyens, autoritarisme légalisé, justice domestiquée, accaparements de toutes sortes, enrichissement illicite… Tout va donc si bien au Sénégal sur ces toutes ces questions cruciales-ci ?
Si le khalifat de Tivaouane préfère le confort du ponce-pilatisme à l’exigence d’une culture de vérité face aux hommes du pouvoir, cela relève de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes.
Momar Dieng