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Chronique De La Courtisanerie Ordinaire

Il ne fait pas bon de contester les attendus de la bien-pensance républicaine. Critiquer le pouvoir ou ses tenants, se démarquer du flot de louanges qui irradie la gouvernance marron et beige est en passe de devenir une nouvelle forme de déviance sociale, une infirmité intellectuelle. Le chemin de l’émergence a été tracé, il faut en emprunter les lignes droites sans s’attarder sur les coteaux et les excavations qui bloquent la progression. Le Plan Sénégal Emergent est le Coran et la Bible à la fois. Ses actions prioritaires, projets phares et réformes sont des dogmes. On ne les discute pas, on les applique sous peine de commettre une hérésie ou une apostasie et de passer devant ce tribunal appelé Inquisition.

Les tenants d’avis contraires sont tous les jours cloués au pilori dans la presse et sur les réseaux sociaux. Demandez donc à Mody Niang, à Ousmane Sonko, à Seydi Gassama et à Birahim Seck ce que cela coûte de faire souffler des vents contraires aux « vérités » du pouvoir apériste. Douter, c’est certes jeter le soupçon sur la validité d’une affirmation ou d’une croyance, mais c’est aussi le moteur de la progression. La confrontation des opinions est un carburant pour toute démocratie qui se respecte.

La démocratie a ceci de formidable que c’est un régime qui élit le meilleur d’entre nous, tant ce meilleur d’entre nous est entouré de tous les égards, de toutes les caresses. Ses rêves, ses vœux, ses souhaits, ses mimiques, ses attitudes, ses silences sont des bienfaits pour son peuple. Il peut compter sur une noria de courtisans pour décrypter leurs significations d’une manière si agréable à ses oreilles qu’il finit par se prendre pour ce qu’il n’est pas. Pris par l’hubris du pouvoir, le Prince finit par être déconnecté de la réalité et devient très sensible à la flatterie.

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La « courtisanerie », c’est comme du carburant frelaté. Mettez-le dans un avion, il rate son décollage et finit par s’écraser. Les effets sont les mêmes pour un président. Au plus fort du pouvoir socialiste, le président Diouf n’avait qu’une réponse à la bouche : « Je n’étais pas au courant ». La même chose est arrivée à son successeur Me Wade, isolé dans un palais « bunkérisé » et persuadé par une cohorte de courtisans qu’il pouvait passer la main à son fils. Parce qu’en vérité, les courtisans ne sont rien d’autres que des pique-assiettes, des mange-mérites qui vivent de génuflexions et de mots ronflants pour flatter l’ego du chef. Tous ces gens qui s’extasient devant les photos du couple présidentiel sur les réseaux sociaux et ces répondeurs automatiques qui affublent les contradicteurs du président de noms animaliers ne visent, en vérité, qu’une chose : la cagnotte présidentielle.

Paradoxalement, les courtisans se recrutent dans des sphères qui, traditionnellement, sont réfractaires à la flatterie : les journalistes, les intellectuels, les hommes d’affaires… Il y a une telle collusion entre pouvoirs médiatique, politique et économique qu’on ne sait plus à qui se fier. Les journalistes, devenus accros au pouvoir politique et à ses tenants ne savent plus faire le tri entre la bonne information et leurs intérêts partisans. Ils sont « les nouveaux chiens de garde » pour parler comme Serge Halimi et obéissent à leurs maîtres au doigt et à l’œil. L’éditorial, genre noble par excellence, est devenu sous nos cieux un grand exercice de flatterie. Les hommes d’affaires, quant à eux, en sont réduits à multiplier les gages de fidélité pour bénéficier des marchés de l’Etat.

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Et que dire des intellectuels ? Ils peuplent la cour du roi, pardon… le palais du président. Une vraie foire aux vanités. Ils sont ces « perroquets apeurés distillant en boucle les mêmes éléments de langage », ces « flatteurs impénitents », et ces « roseaux plus penchés que pensants » que décrit Dominique de Villepin dans son livre « L’esprit de cour ». Le bon conseiller est censé redresser les certitudes avachies du Prince, non caresser son ego pour bénéficier de sinécures. Mais, dans un pays où le mérite s’estompe devant la faveur, la quête de privilèges emprunte de surprenants raccourcis.

Au finish, nous vivons dans une société qui broie ses fils les plus dignes et les plus compétents au prétexte qu’ils n’ont pas de ressorts assez souples à la place de l’échine pour se répandre en courbettes. La compétence est devenue une tare dans notre pays. Tocqueville avait pourtant averti au milieu du XIXème siècle :

« Le peuple ne pénétrera jamais dans le labyrinthe obscur de l’esprit de cour ; il découvrira toujours avec peine la bassesse qui se cache sous l’élégance, la recherche des goûts et la grâce du langage ».

Sidy Diop est ancien journaliste au Quotidien Le Soleil

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