L’OIF est une organisation décevante, qui a régulièrement manqué de courage, pour ne dénoncer les réélections contestables qu’après-coup, timidement, lorsque le fruit du larcin a été consommé, et même digéré…
« La francophonie, africaine et féminine ». Tel semble être le slogan du changement intervenu, ce vendredi 12 octobre 2018, à la tête de l’OIF. Faut-il s’en féliciter ? S’en réjouir ? Que peut inspirer ce changement à l’opinion africaine ?
« Femme et Africaine ». C’est bien ce que nous avons entendu et il fallait comprendre que c’est là une avancée remarquable. A la tête de l’OIF, ce samedi, nous savons, en effet, qu’une femme africaine attend de prendre ses nouvelles fonctions. Mais, jusqu’à l’arrivée de Madame Mushikiwabo, c’est également une « femme africaine » qui se tient dans ce fauteuil, et depuis quatre ans. Les chefs d’Etat africains imaginent-ils la lourde responsabilité qu’ils devront assumer devant l’Histoire, en s’associant à ce discours qui tend à faire croire que l’on promeut une « femme africaine » en remplaçant Michaëlle Jean par Louise Mushikiwabo ?
A la limite, l’on aurait mieux fait de dire à la sortante que l’on avait besoin du poste pour quelque convenance diplomatique, au lieu de laisser penser que l’on africanise et féminise le poste, en y mettant une Rwandaise en lieu et place d’une Haïtienne du Canada, femme aussi et tout autant Africaine. Car le sang qui coule dans les veines de Michaëlle Jean n’est pas moins africain que celui qui coule dans celles de Louise Mushikiwabo. Et Aimé Césaire, que l’on vénère tant en France depuis qu’il n’est plus, bondirait hors de sa tombe s’il pouvait entendre cette argumentation, que l’on colporte depuis l’officialisation de la candidature de la ministre rwandaise.
Pourquoi donc Aimé Césaire bondirait-il de sa tombe ?
Parce que l’Afrique ferait preuve d’indignité en s’associant à l’idée qu’une Haïtienne de nationalité canadienne pourrait être moins africaine qu’une Rwandaise. Viendrait-il seulement à l’esprit de ceux-là de dénier leur africanité à Christiane Taubira, à Lilian Thuram, à Marcus Garvey, à Toussaint Louverture ou à Césaire lui-même ?
Ceux qui célèbrent la capacité de l’Afrique à parler d’une seule voix, en banalisant, sinon en justifiant cette exclusion qui pèsera de sa gravité dans l’Histoire, ont tout faux. Ainsi de ce ministre des Affaires étrangères qui n’a cessé de répéter qu’il connaissait bien Michaëlle Jean, sans une seule fois mentionner le fait qu’il est lui-même d’un pays qui aurait pu, aurait dû être la patrie de Madame Jean, si les ancêtres de cette dernière n’avaient été arrachés de force à la mère Afrique, déportés de l’autre côté de l’Atlantique, enchaînés, à fond de cales, pour être vendus comme des bêtes de somme.
Quel mérite avons-nous de plus que les Africains vendus pour être déportés, ou déportés pour être vendus ? En quoi serions-nous plus Africains que les Africains-Américains, les Africains-Trinidadiens, les Africains-Guadeloupéens, les Africaines-Guyanaises, ou que l’Africaine-Haïtienne, que voici Canadienne, parce que ses parents, dans leur exil, ont dû s’exiler une seconde fois ? Pour être une terre généreuse et accueillante, le Canada, devenue sa patrie, n’en demeure pas moins une terre d’un second exil.
Il ne s’agit, après tout, que d’une simple perte d’emploi, et l’on a aussi dénoncé ses dépenses somptuaires…
Oui. Et l’on est revenu, encore et encore, sur son piano à queue. Ce n’est pas une maladie honteuse de ne pas pouvoir se passer de son piano pendant quatre ans, peut-être huit… Ailleurs, on aurait fait d’une personne qui tiendrait autant à son piano une esthète, et non une « dépensière ». Quelle fierté pour la Francophonie que de savoir que sa Secrétaire générale a une telle dimension culturelle à sa biographie ! Vous souvenez-vous de cette image de Condoleezza Rice, au piano, à Buckingham Palace, accompagnée par l’Orchestre Philarmonique de Londres, devant la Reine d’Angleterre admirative et le Premier ministre britannique, si fier ? Lorsque le temps aura passé, et que d’autres auront multiplié leurs erreurs dans cette même fonction, l’Histoire rendra sans doute justice à cette dame, qui doit se sentir bien seule, aujourd’hui.
Vous ne dites rien de son bilan…
Qui s’est réellement jamais penché sur le bilan de Boutros Boutros-Ghali, ou d’Abdou Diouf ? Personne, en réalité, parce que personne n’aurait osé. La Francophonie est une organisation décevante, qui a régulièrement manqué de courage, pour ne dénoncer, timidement, les réélections contestables qu’après-coup, lorsque le fruit du larcin a été consommé et même digéré. C’est ainsi, depuis que la Francophonie s’occupe d’élections en Afrique. Madame Jean n’a été ni pire ni meilleure que tous les autres qui ont occupé le poste avant elle.