CONTRIBUTION
L’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao en date du 29 juin 2018 a permis de démontrer au monde entier, à quel point, sous le magistère de Macky Sall, l’Etat du Sénégal, par le truchement de ses institutions policières et judiciaires, est devenu un Etat hors la loi, pour ne pas dire un Etat voyou. En refusant de tirer les conclusions de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao, et en confirmant le 30 août 2018, le jugement rendu en première instance qui condamnait Khalifa Sall à 5 ans de prison ferme, le 1er président de la Cour d’appel de Dakar, Demba Kandji, a violé la loi, commis l’une des plus graves forfaitures juridiques de l’histoire du Sénégal et jeté l’opprobre sur la magistrature sénégalaise. Depuis que ce juge s’est conformé aux désirs du Prince Macky Sall, les partisans du régime s’épanchent dans les médias, versent dans la désinformation et concluent à une condamnation définitive du député Khalifa Sall. Le pourvoi en cassation introduit par les conseils de Khalifa Sall prouve que ces allégations ne reposent sur aucun fondement juridique. Au regard de deux jurisprudences de la chambre criminelle de la Cour suprême, axées sur les droits de la défense, il sera démontré pourquoi d’un point de vue juridique, la décision de la Cour d’appel de Dakar du 30 août 2018 doit être cassée et annulée.
1 – La violation des droits de la défense est au cœur du procès du député Khalifa Sall
Le procès de Khalifa Sall, c’est avant tout le procès de la violation des droits de la défense. La liste des violations établie par la Cour de justice de la Cedeao dans son arrêt du 29 juin 2018 défie le bon sens : violation des articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 énonçant le droit à un procès équitable, violation de l’article 7-1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, violation de l’article 14 du Pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, violation de l’article 55 alinéa 10 du Code de procédure pénale, violation de l’article 5 du règlement n°05 de l’Uemoa (droit à un conseil dès l’interpellation).
Face à de telles violations massives, portant atteinte aux droits fondamentaux du député Khalifa Sall, tous les actes de procédure à son encontre sont viciés et frappés de nullité manifeste (de l’enquête préliminaire qui n’a pas été conduite selon les modalités garantissant l’égalité des armes entre les autorités d’enquête, de poursuite et le prévenu, à l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar du 30 août 2018). C’est le fondement même de la condamnation de Khalifa Sall qui est illégal : sans le respect des droits de la défense (un principe absolu), il n’y a pas de procès, et sans procès, aucune condamnation ne revêt un caractère légal. En ce sens, l’arrêt de la Cour d’appel du 30 août 2018 est un faux grossier.
2 – La jurisprudence de la Cour suprême de 2015 sur les droits de la défense
Porté devant la Cour suprême, le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire qui garantit le droit à un procès équitable. La jurisprudence «Abdourahmane Ly» en 2015 est emblématique de la conception de la Cour suprême, en matière des droits de la défense. Dans l’affaire Abourahmane Ly C/ Ministère public (CS, arrêt n°1 du 15 janvier 2015), la chambre criminelle de la Cour suprême a censuré l’arrêt n°76 du 03 avril 2014 de la Cour d’appel de Dakar dont l’examen laisse clairement entendre que les formes et délais prescrits des articles 190 et 207 du Code de procédure pénale n’ont pas été observés alors qu’ils constituent des formalités substantielles dont l’inobservation caractérise une violation des droits de la défense et est sanctionnée textuellement par la nullité.
Parce que la Cour d’appel de Dakar a méconnu les dispositions des articles 190 et 207 du Code de procédure pénale, qui l’obligent à «notifier par lettre recommandée ou par avis, comportant l’une ou l’autre un accusé de réception, à chacune des parties ou à ses conseils, la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience», la Cour suprême, après avoir constaté que l’arrêt de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar ne comportait aucune mention d’avis à l’inculpé ou à son conseil, a cassé et annulé toutes les dispositions l’arrêt n°76 du 3 avril 2014 de la Cour d’appel de Dakar, et renvoyé la cause et les parties devant une autre juridiction du même degré, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Kaolack. Si dans l’affaire Abdourahmane Ly, la Cour suprême a retenu, que l’absence de notification à l’inculpé ou à son conseil (lettre recommandée ou avis avec accusé de réception), constituait une formalité substantielle des droits de la défense, justifiant que l’arrêt de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar soit cassé, qu’en sera-t-il pour Khalifa Sall dont les droits fondamentaux ont été violés dès l’entame, durant l’enquête préliminaire et dont la violation s’est poursuivie tout au long de la procédure, y compris pendant une période où il a été élu député ?
3 – La jurisprudence Abdourahmane Ly doit s’appliquer au député Khalifa Sall
Il est établi, prouvé et confirmé de manière définitive que le député Khalifa Sall n’a pas bénéficié de l’assistance d’un conseil durant l’enquête préliminaire. Les termes de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao en date du 29 juin 2018 sont sans équivoque : «Le droit à l’assistance d’un conseil, le droit à la présomption d’innocence et à un procès équitable de Khalifa Sall et des 5 autres requérants ont été violés». Il n’y a aucun Etat de droit au monde, où la Cour suprême peut faire l’impasse sur de telles violations. Sauf à violer la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 qui fixe ses attributions et renier sa propre jurisprudence (Abdourahmane Ly de 2015), la Cour suprême n’a d’autre choix que de casser l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar du 30 août 2018. Elle est d’autant plus fondée à casser l’arrêt de Demba Kandji, que dans une autre affaire qui précède la jurisprudence Abdourahmane Ly, elle a cassé et annulé l’arrêt n°129 du 5 juin 2014 de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar (affaire Gagnessiry Faall c/ Marcel Buffat).
Dans les 2 affaires (A. Ly et G. Fall), la Cour suprême a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar pour les mêmes motifs liés à une question de formalisme : le non-respect des formes et délais prescrits des articles 190 et 207 du Code de procédure pénale, à savoir l’absence de notification à l’inculpé ou à son conseil par lettre recommandée ou avis avec accusé de réception. Un fait important : les deux jurisprudences magnifiant les droits de la défense sont intervenues à un moment où Cheikh Tidiane Coulibaly était aux manettes (Mamadou Badio Camara n’était pas encore nommé 1er Président de la Cour suprême). S’agissant du pourvoi de Khalifa Sall, on voit mal comment la Cour suprême pourrait aller à l’encontre de la loi et faire fi de sa propre jurisprudence qu’elle a eu à confirmer. En attendant que le pourvoi en cassation soit vidé, il convient de préciser qu’à ce jour, aucune disposition juridique ne permet d’invalider la candidature de Khalifa Sall aux prochaines joutes présidentielles.
4 – Projet d’invalidation de la candidature de Khalifa Sall en 2019 : la course aux délais
Pour invalider la candidature de Khalifa Sall aux élections présidentielles de 2019, le pouvoir devra engager une véritable course contre la montre, et conclure un pacte avec Mamadou Badio Camara, 1er Président de la Cour suprême, pour faire remonter le dossier «Khalifa Sall» en haut de la pile. Pour connaitre le délai moyen de traitement d’un dossier au niveau de la Cour suprême, il faut se référer à la jurisprudence Abdourahmane Ly. En effet, alors que dans cette affaire, l’arrêt de la Cour d’appel de Dakar a eu lieu le 3 avril 2014, l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour suprême n’est intervenu que le 15 janvier 2015 (plus de 9 mois se sont écoulés avant que la Cour suprême ne statue sur ce dossier). Le délai moyen de traitement d’un dossier étant d’environ un an, la Cour suprême pourra-t-elle statuer sur le pourvoi de Khalifa Sall, dans un délai record, à 4 mois du scrutin présidentiel, prévu le 24 février 2019 ? La réponse est non. Pour autant, la posture du 1er Président de la Cour suprême, dont l’impartialité est sérieusement mise en doute, doit être scrutée à la loupe.
5 – Mamadou Badio Camara : un juge partial au service des ambitions de Macky Sall
La nomination de Badio Camara au poste stratégique de 1er Président de la Cour suprême est loin d’être le fruit du hasard. De nombreux acteurs ont soutenu, et à juste titre, que la réforme relevant l’âge de la retraite de certains magistrats a été taillée sur mesure pour le 1er Président de la Cour suprême (loi Badio Camara). A l’époque, sur 30 magistrats qui composent la Cour suprême, 25 avaient désavoué Badio Camara et exigé le «retrait immédiat et sans condition du projet de loi organique». Ce n’est pas le seul traitement de faveur dont bénéficie Badio Camara. En 2016, le 1er Président de la Cour suprême a été dispensé de la déclaration de patrimoine à laquelle il est assujetti conformément à l’article 2 de la loi sur la déclaration de patrimoine qui dispose que «tous les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses et les comptables publics effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à 1 milliard de francs Cfa». En exigeant le respect de la loi par Badio Camara, l’ex-présidente de l’Ofnac, Mme Nafi Ngom Keïta a agi conformément à son serment (une démarche qui lui a coûté son poste).
Au vu de tout ce qui précède, on peut, sans conteste, affirmer que le 1er Président de la Cour suprême (Mamadou Badio Camara) a les «mains liées». Les autres magistrats de la Cour suprême seront-ils capables de se ressaisir afin de réhabiliter la justice sénégalaise, à terre ? Pour ce faire, une décision s’impose : Dire le droit et casser l’arrêt illégal de la Cour d’appel de Dakar du 30 août 2018, communément appelé l’arrêt de la honte pour le Sénégal.
Seybani SOUGOU
E-mail : sougouparis@yahoo.fr
Pourvoi en cassation : La jurisprudence Abdourahmane Ly doit s’appliquer à Khalifa Sall (Par Seybani SOUGOU) | .