Au Sénégal, à quelques mois des échéances électorales de février 2019, certains citoyens, plus soucieux de l’avenir de la patrie scrutent minutieusement les profils des candidatures déclarées ainsi que leurs programmes tandis que d’autres compatriotes, plus tenaillés par les vicissitudes de la vie quotidienne restent de marbre face aux agitations des prétendants qui rivalisent de propositions, de générosité, de créativité et de sympathie vis-à-vis des Sénégalais.
Ainsi, face à cette foire d’empoigne aux allures d’un thriller, des solutions sont proposées, des bilans agités, des réalisations inaugurées, des secrets dévoilés, des leaders vantés, d’autres cloués au pilori mais le peuple observe et prend note.
Seulement, la nouveauté de cette présente précampagne électorale est-elle l’arrivée au sein de l’échiquier politique sénégalais d’un candidat qui ne cesse de faire couler beaucoup d’encre et de salive : Monsieur Ousmane SONKO.
En réalité, le jeune leader de PASTEF a ceci de particulier qu’il tente de révolutionner le débat politique sénégalais à travers la production scientifique, le débat d’idées et la dénonciation argumentée. En attestent les deux ouvrages (« Pétrole et gaz au Sénégal : chronique d’une spoliation », « Solutions pour un Sénégal nouveau ») du candidat dont un sous forme de programme politique proposé aux Sénégalais pour les prochaines échéances électorales. Même s’il faut souligner que l’écrasante majorité des Sénégalais est analphabète ou n’a pas l’habitude de s’informer à travers le papier, l’initiative de ce candidat est rare pour être soulignée.
Pourtant, là où analystes politiques et thuriféraires de Monsieur Ousmane SONKO mettent en exergue l’innovation majeure apportée par l’ex inspecteur des impôts et domaines, ses pourfendeurs et détracteurs s’illustrent par des caricatures, des calomnies et des insanités relativisant cette innovation et mettant plus l’accent sur l’appartenance religieuse du candidat que sur le contenu de son programme. Et cet épiphénomène est d’autant plus riche d’enseignements qu’il illustre la représentation sociale du prototype du président de la République que beaucoup de leaders politiques entendent imposer aux Sénégalais en dépit des principes de laïcité et de démocratie qui gouvernent le Sénégal. Autrement dit, pour ternir l’image d’un adversaire politique ou l’écarter de la course, ces responsables politiques, très informés de la sociologie politique du pays dressent inconsciemment ou consciemment le profil du président idéal (selon eux) en foulant aux pieds les fondamentaux de la démocratie, de la liberté d’expression, du respect des droits humains ou de la liberté de culte. Mais contrairement à ce que ces pseudos politiques veulent faire croire à une opinion publique souvent naïve et trop crédule, le Sénégal n’a pas de problème de religion et ses citoyens cohabitent paisiblement en dépit de leurs différences ethniques, religieuses ou confrériques ; notre plus grand défi demeure la souveraineté et la bonne gouvernance. D’ailleurs, en parlant de religion, Marcel Maltais qui liste le recul de la religion et de la morale parmi les nombreuses causes de la vague de superficialité du monde contemporain estime que « Au fur et à mesure que les grandes religions reculent, la morale collective s’estompe, pour laisser la place à l’individualisme des plus forts qui n’hésitent plus pour réussir à utiliser sans retenue et sans se cacher le mensonge et la propagande. » Marcel Maltais, Etre superficiel, c’est aussi être profond.
C’est dire, plutôt que d’épiloguer sur la vie privée des uns et des autres, les candidats à la prochaine élection présidentielle feraient mieux de se pencher sur les problèmes que traversent beaucoup de secteurs de notre pays. Par exemple, depuis plusieurs semaines, les autorités étatiques concernées sont avares en discours et en solutions face à l’ébullition de foyers sociaux à l’instar des secteurs de l’éducation, de la santé et de la justice. A juste titre, des milliers d’étudiants du privé sont chassés de leurs établissements parce que l’Etat du Sénégal doit des milliards de francs FCA à ces derniers ; l’ouverture officielle de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis prévue le 02 octobre dernier est reportée en raison d’une dette de plus d’un milliard de FCFA du Centre régional des œuvres universitaires de Saint-Louis (CROUS) aux différents repreneurs des restaurants des étudiants ; le personnel de la santé se fait entendre dans la presse et dans la rue à travers son plan d’action dénommé AND GUEUSSEUM. Et comme si cela ne suffisait pas, pour exiger la mise en solde des indemnités dues aux travailleurs de la justice, le syndicat des travailleurs de la justice (SYJUST) a pris des mesures de non-délivrance et de non-réception de certains dossiers tels que les actes d’état civil, les casiers judiciaires, les certificats de nationalité, les registres de commerce et les extraits de décisions.
Mais pour se dérober de l’essentiel tout en essayant d’attirer l’attention de l’opinion sur eux, les détracteurs de Monsieur SONKO se servent des médias pour divertir l’opinion. Leur subterfuge est d’autant plus vrai que comme le soulignait George Balandier, dans une société visuelle, spectacularisée, tout est mis en scène, joué. Qui plus est, les médias modernes y tiennent le rôle de laboratoire de représentations. On voit ainsi naitre une espèce nouvelle d’homme politique, l’homo cathodicus, c’est-à-dire le politique qui vit « avec, par et pour les médias ».
En lieu et place de la bataille médiatique par presse interposée que se livrent certains politiques à travers les différents canaux de communications, les citoyens sénégalais attendent de tous les candidats aux prochaines élections présidentielles des débats d’idées sur les problèmes actuels et futurs de notre chère nation afin de faciliter aux électeurs leurs choix.
Au demeurant, il convient de reconnaitre que cette supercherie de « l’homo cathodicus » sénégalais est rendue possible à l’aide de la complicité de certains journalistes qui semblent oublier leurs missions principales : informer, éduquer et peut-être divertir. Malheureusement, au Sénégal, la presse est plus encline à divertir la population à longueur de journée qu’à l’informer ou l’éduquer. Et ce divertissement est d’autant plus insipide et fruste qu’il ne se résume qu’à relater des faits divers, des insultes, des calomnies, des accusations infondées ou de la simple délation. Et l’opinion publique ne fait aucun effort pour résister à ce divertissement.
Dans son ouvrage intitulé ‘La connaissance inutile’, Jean François Revel avait fait allusion à cette situation paradoxale caractérisée par l’abondance et la richesse des sources d’informations d’un côté et l’ignorance et la naïveté du public d’un autre côté. A en croire cet auteur, (…) ‘le public tend à considérer la mauvaise foi presque comme une seconde nature chez la plupart des individus dont la mission est d’informer, de diriger, de penser, de parler. Se pourrait-il que l’abondance même des connaissances accessibles et des renseignements disponibles excitât le désir de les ensevelir plutôt que de les utiliser ? Se pourrait-il que l’approche de la vérité déchaînât le ressentiment plus que la satisfaction, la sensation d’un péril plus que celui d’un pouvoir ?’.
Cette réflexion de Jean François Revel n’a rien perdu de son actualité dans une société sénégalaise où autant on peut reprocher à certains hommes politiques leur cynisme et irrespect vis-à-vis de la population autant on peut condamner la naïveté et le manque d’exigence de cette population à l’égard d’une presse caractérisée par un amateurisme et une cupidité inouïs.
Autre point important qui mérite d’être souligné ces derniers temps au niveau de la communication de beaucoup de responsables politiques (particulièrement du pouvoir) concerne la permanente agitation de l’appartenance religieuse ou même ethnique de certains candidats (en l’occurrence Monsieur Ousmane SONKO) à la présidentielle de 2019. Cette légèreté trop sensible qu’on croyait révolue depuis l’affaire Penda Ba (du nom d’une jeune dame pulaar, qui à travers une vidéo, avait traité de tous les noms d’oiseau les wolof) refait soudainement surface mais cette fois-ci, sous l’angle de l’appartenance religieuse/confrérique. Et ironie de l’histoire, cette fois, ce sont des responsables politiques, des ‘guides religieux’ et une presse complice qui sont à la commande de cette insidieuse machination.
A tous ces pyromanes égoïstes et indifférents de la préservation de la stabilité sociale de notre chère nation, je vous laisse converser avec l’écrivain franco-libanais en ces termes : « Toute pratique discriminatoire est dangereuse, même lorsqu’elle s’exerce en faveur d’une communauté qui a souffert. Non seulement parce qu’on remplace ainsi une injustice par une autre, et qu’on renforce la haine et la suspicion, mais pour une raison de principe plus grave encore à mes yeux : tant que la place d’une personne dans la société continue à dépendre de son appartenance à telle ou telle communauté, on est en train de perpétuer un système pervers qui ne peut qu’approfondir les divisions; si l’on cherche à réduire les inégalités, les injustices, les tensions raciales ou ethniques ou religieuses ou autres, le seul objectif raisonnable, le seul objectif honorable, c’est d’œuvrer pour que chaque citoyen soit traité comme un citoyen à part entière, quelles que soient ses appartenances ». Amin Maalouf, ‘Les identités meurtrières’.
En réalité, quels que soient les enjeux des prochaines échéances électorales et l’adversité entre les différents candidats, l’intérêt national doit toujours primer sur les intérêts crypto personnels des uns et des autres. Pour cela, les électeurs qui sont les seuls habilités à élire le président de la République doivent non seulement être plus exigeantes vis-à-vis des candidats mais aussi et surtout ne pas se laisser divertir par des pseudo-politiques qui érigent la haine, la division, l’intolérance, la délation et l’intimidation en arguments (arguties devrais-je dire) de campagne.
Aussi étonnant que cela puisse paraitre, au Sénégal, la vérité est que dirigeants comme opposants, parlent à la place du principal intéressé. On invoque le « peuple » chaque fois que la conquête ou la préservation du pouvoir sont en jeu. Mais quand le peuple revendique, gémit, pleure, crie ou s’évanouit ou choisit les politiques minimisent ou exagèrent avec une désinvolture éhontée. Alors, permettez au peuple de juger et jauger vos programmes politiques, laissez le peuple choisir librement le candidat qu’il pense pouvoir régler ses problèmes, ne détournez pas l’attention de ce peuple de l’essentiel, ne faites pas prendre au peuple des vessies pour des lanternes, dépolluez l’atmosphère politique sénégalais avec vos bassesses et vos insanités, ne cherchez pas à diviser le peuple, créez les conditions d’une élection paisible et transparente. D’autant plus que l’importance des élections pour ce peuple est qu’elles lui permettront de porter au pouvoir des candidats légitimes, soutenus par d’importantes forces sociales et capables de mettre en œuvre des politiques profitables au plus grand nombre.
Birame SARR
Chercheur en tourisme
sarrbirame@hotmail.fr
L’article Chers politiques, le peuple vous observe! (Birame Sarr) .