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Mouride Éternel

Mouride Éternel

Magal, Gamou, Daaka, Popenguine, Diamalaye…les événements religieux sont devenus de grands faits sociaux, symboles de notre capacité à transcender les préoccupations matérielles. Donner du sens à la vie. À toute la vie. À ce qu’elle révèle. À ce qu’elle cache. À toute sa complexité. Des mourides, par millions, mais d’autres sénégalais, de toutes extractions socio-ethniques et confessionnelles, sont à Touba, capitale du mouridisme, pour célébrer ce qui est d’abord une gratitude envers Dieu pour sa générosité et sa présence au sein d’une communauté humaine. 

Le Magal reste l’un des moments les plus marquants, formateurs, de ma vie. Je me souviens quand, très jeune, je m’y rendais par le train. Partir de kaolack et traverser les petites villes et les villages. À chaque halte, comme on disait naguère, surgissaient par monts et par vaux, arpentant les collines, les populations du cru: le train de tous les jours, celui du Magal davantage, rythmaient la vie de l’hinterland, le Sénégal intérieur rural et urbain. Après Kaolack, le même train qui faisait aussi le trajet Dakar-Touba, faisait tomber dans son escarcelle, en vrac, sur le “rugulier” des hameaux qu’il faisait vivre: Guingueneo, Mbadaxoun, Gagnik, Gossas, Ndangalma, Lagnar, Bambey, Diourbel, Ndoulo, Ngabou, Mbacke. C’était beau, en ces premiers pas de l’indépendance nationale, pour le potache que j’étais, de voir la vie qui s’éveillait au passage du train, d’acheter aux diverses gares, jonchant son parcours, fruits de saison et beignets, surtout celui qu’on appelait le kherr, la pierre, de Touba, mélange de farine et sur-sucré. Passagers en tenues africaines, les boubous et pagnes ceints de ces gafakas, bourses artisanales en cuir ou tissus, tous participaient à cette vie semblable à un marché roulant. On se partageait des bouteilles d’eau et on avalait les œufs vendus à la criée. Le temps passait. La chaleur montait.

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Puis, sous le roulement bruyant du train et ses sifflets stridents, montait, irrésistible, l’adrénaline, à mesure que la ville sainte, qui n’était alors qu’un gros bourg, s’approchait. Puis soudain, les minarets. Début des prières. À distance. Avec les doigts tournés vers les cimes de la majestueuse mosquée, visages engloutis par les ferventes prières, corps en quasi-transe, projetés au loin vers la ville dont les contours, perçant un épais halo, causé par la distance encore à parcourir, se précisent de plus en plus. Virtualité et monde physique, métaphysisme en fond, se combinent alors pour créer des scènes magiques dans le train.

Moments intenses d’une foi grandissante au rythme des kilomètres avalés. Avant de descendre, tenant en main nos eumbs, ces…valises en tissus, quand les sacs modernes n’étaient pas encore au menu. Déjà, sur le sable fin du village, je marchais, suivant ma mère, dont la vie se résumait aux pulsions de ce village et à la geste de son fondateur. J’étais toujours pressé de retrouver ma grand-mère, généreuse dans sa distribution à tous d’une nourriture faite pour tous, surtout le couscous et la bouillie, qu’elle servait elle-même. Je retrouvais mes oncles, mes cousins, les talibes, en réalité, tous membres d’une fratrie bâtie sur la vénération d’une légende, d’un imaginaire collectif, de celui qui, par sa prescience, a été l’un des fondateurs d’un islam africanisé, patriotique. Il a en réalité fondé une façon de vivre ensemble, dans un milieu où l’humilité forgée dans les daaras place l’individu comme un pion moulé pour épouser les contours de sa société, où tous œuvrent à préserver l’harmonie collective.

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Que les pluies hivernales l’abondent ou que le soleil ardent la baigne, la ville qu’est devenue Touba se distingue par cette ferveur discontinue proportionnelle uniquement à l’absence de tensions qui y prévaut. C’est que le consensus est entendu ici depuis les débuts: la référence au liant religieux et à son symbole fait voler toutes les prétentions humaines…
#JesuisAhmadouBamba.

Je revenais de Touba avec des cadeaux. Et plein de pigeons, captés chez mon oncle qui en avait des centaines.

Touba etait, reste, malgré son fulgurant développement une ville unique, d’autant plus impressionnante qu’un État trop lent, partisan et politicien n’a pas su l’accompagner pour en faire le hub d’un développement durable qu’elle est idéalement placée pour devenir.

Comment dès lors ne puis-je pas être fier de ressortir les images de ma dernière visite dans cette ville qui m’a fait ? Et, notamment, de rappeler les propos que mon cousin, qui n’est autre que son guide actuel, le Khalife Général, Serigne Mountakha, m’y a tenu, en public: Toi Et Moi, nous sommes à égalité ici. C’est chez toi. Ses propos subliminaux sont de ceux qu’il fait bon de toujours decrypter: adressés au politique, au parent ou au pèlerin, ils sont remplis de sens multiples. Dénicher leur suc, tel est le défi !

Tant il est vrai que les mots, dit le philosophe, opposent à l’homme un écran là où il rêve de parfaite transparence.

Il faut connaître la profondeur du vécu mouride et des liens pour comprendre…

Senegalais, de toute essence, je suis donc mouride. De marsse, marché, Ocasse au cimetiere local, de la Mosquée éponyme aux mausolées, des grandes concessions aux berndées, quand, envahi par les victuailles qui débordent des plats jusque dans les rues, on mange sans se soucier de cholestérol, en défiant ensuite, pieds nus, le sable chaud de la ville pour rendre grâce à Dieu. Au milieu des khassaides, ces chants religieux sortis de la plume abondante et inspirée du grand Cheikh…De partout, paysans ou nouveaux citadins revenaient, reviennent, comme pour se ressourcer dans ce que la ville a de plus sublime. Depuis quelques années, les migrants reviennent aussi retrouver leurs marques. Les politiciens, moins portés par des sentiments nobles, sont les pires espèces qui empestent une ville où, en leur absence, le vrai humanisme, sens de la solidarité, compréhension des valeurs de Kadjoor, sont les lignes immuables -fondement d’une vie équilibrée par une volonté et vision communes !

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Bon magal à toutes et à tous. Que la paix règne sur notre pays, avec prospérité, progrès et démocratie stabilisée, dans un océan de libertés.

Touba, je me souviens. Demain, quand l’heure de l’appel suprême sonnera, c’est là, et nulle part ailleurs, que j’irai me reposer. Le vaste monde que j’ai eu la chance de parcourir n’a de sens consmogonique, à mes yeux, que s’il est lu sous le prisme d’une ville assurément divine -Touba !

Le mouride éternel est, il est vrai, la variante Baolisee, du tronc d’arbre dans l’eau. Qui ne devient jamais caïman. Mouride, il reste !

Je suis un mouride, I am a mouride, ich Bin ein mouride…

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