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Réplique à Babacar Justin Ndiaye: Selon Sonko, On Ne Fusille Pas Impunément Un Peuple !

Réplique à Babacar Justin Ndiaye: Selon Sonko, On Ne Fusille Pas Impunément Un Peuple !

Je voudrais préciser que ne remet en rien la crédibilité de Babacar Justin Ndiaye qui est un journaliste respectable et respecté par la qualité de sa plume. Permettez-moi de l’appeler Grand Babacar pour deux raisons fondamentales : la première c’est parce qu’il a l’avantage de l’âge sur nous ; la seconde c’est que je le considère comme l’un des derniers héritiers d’un journalisme de qualité, par sa rigueur, son talent dans l’écriture et son amour du métier. Cependant je me démarque totalement de son analyse lorsqu’il manifeste sa volonté de tresser des couronnes aux anciens Présidents de la république du Sénégal en optant délibérément de ne pas être assez critique. Grand Babacar a une manière particulière d’envisager les choses en plaidant la cause des anciens régimes dans son article paru sur Dakaractu, le lundi 22 octobre 2018, dont le titre est : « On ne fusille pas impunément une fournée d’anciens Présidents de la république ». En lisant l’article, je me suis demandé si Grand Babacar  n’a pas la nostalgie d’une certaine époque, d’un passé révolu.

Je dois rappeler que l’article de Grand Babacar fait suite à une vidéo qui date de longtemps, où les propos d’Ousmane Sonko, leader de Pastef, sont sciemment sortis de leur contexte et font l’objet de polémique, malgré l’explication de son auteur. Depuis quelques semaines, les militants du parti au pouvoir, habitués à faire de la distraction stratégique, utilisent sans doute, tous les moyens possibles (insultes, mensonges, diabolisation, utilisation des forces de sécurité) pour le déstabiliser, afin qu’il finisse, de guerre lasse, par se perdre dans les détails ou au pire abandonner son combat.

Grand Babacar tresse des lauriers aux anciens régimes et passe sous silence les échecs les plus notoires de ceux-ci, cousus de fils blancs. Il ne tarit pas d’éloges à l’égard du Président Léopold Sédar Senghor lorsqu’il écrit : « Dans un Sénégal sans pétrole ni manganèse (riche de ses phosphates, de ses cacahuètes et de son poisson), le Président Senghor entreprit de valoriser les ressources humaines. Le pari a été fabuleusement gagné. Deux magistrats sénégalais ont brillamment siégé à la cour internationale de justice de la Haye : Isaac Foster et Kéba Mbaye. Des généraux sénégalais ont commandé des troupes marocaines, indiennes et péruviennes à la MONUC et en commande toujours à la MINUSA».

Suffit-il de siéger à la cour de la Haye, de commander des troupes à la MINUSA, pour réussir une mission de gouvernance de la cité ? Le pauvre paysan, vivant dans un village excentré du Sénégal, dépourvu de nourriture, d’eau potable et de poste de santé, s’en fiche complètement (excusez-moi du terme) que deux magistrats siègent à la cour internationale de la Haye. Notre bon sens nous inviterait tout bonnement à susciter une levée de bouclier indignée, lorsque la politique agricole de Mamadou Dia est rangée aux oubliettes, pour nous vanter une « valorisation de ressources humines » avec des technocrates souvent en manque de patriotisme (politique, économique et social). Au Sénégal, tout se passe comme si l’on était obligé de taire, de contredire, ou de contrefaire, pour masquer tout ce qui ne convient pas à la marche entreprise par les gouvernements. Et pourtant, ceux qui connaissent l’épistémologie des sciences savent mieux, que quiconque, que même la science est une perpétuelle quête de vérité dans la mesure où toute découverte comporte des limites.

Toujours dans son article, Grand Babacar récuse la comparaison par cette dénonciation pamphlétaire : « Et, aussi une propension à comparer  bassement et bêtement les trois régimes des trois chefs d’Etat qui se sont succédé au pouvoir, avant l’élection du Président Macky Sall, en mars 2012 ». Le plus cocasse dans cette histoire est que Grand Babacar n’échappe pas, lui-même, à cette logique de comparaison lorsqu’il vante les mérites du Président Senghor dans ce même article, pour ensuite, orienter son tire, à bout portant, sur le gouvernement de l’ancien Président ivoirien, en affirmant : « A contrario, le président Félix-Houphouët Boigny, ébloui et enivré par les richesses naturelles de la Côte d’Ivoire, avait opté pour le rapide développement, en réalisant le  miracle économique vanté, jadis, par les médias. On connaît la suite : le miracle économique a été calciné par le feu politique du violent duel entre Laurent Gbagbo, Konan Bédié et Alassane Ouattara ».

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Si Grand Babacar se permet de « fusiller » la gouvernance du Président Félix-Houphouët Boigny ainsi que son héritage pourquoi refuserait-il alors à Ousmane Sonko la liberté d’exposer ce que les anciens régimes ont commis comme crime social ? En plus nous sommes vraiment gêné par cette prétention à vouloir être le nombril de l’Afrique, comme si le Sénégal ne faisait pas partie des 25 pays les plus pauvres au monde. Le président Félix-Houphouët Boigny a au moins le mérite de faire montre de patriotisme lorsqu’il refusait de brader son cacao (pour le vendre à la France). Habib Thiam, ancien ministre du Président Abdou Diouf, fait un témoignage édifiant sur le Président Félix-Houphouët Boigny, en ces termes : « Toutes ses prises de position, si elles ne sont pas approuvées par tous, ont souvent été en avance sur les idées de l’époque et ont toujours été marqué du sceau du courage. En un mot, Félix-Houphouët Boigny, homme politique de dimension exceptionnelle, est resté avec sa simplicité légendaire un homme pour qui les sentiments et valeurs n’étaient pas de vains mots » (Cf. Par devoir et par amitié, Editions du Rocher, 2001, p. 27).

C’est ce même Félix-Houphouët Boigny qui dépanna le Sénégal en pleine période de pénurie de sucre, à l’époque d’Abdou Diouf, avec un bateau rempli de 2000 tonnes de sucres à destination du port de Dakar (Ibidem, p.28).

Les gouvernements successifs au Sénégal, en comprimant les désirs légitimes de la jeunesse, ont créé des causes suicidogènes ayant conduit toute une génération pleine d’énergie et de fougue, à brandir, avec désespoir, le slogan de « barça ou barsax ».

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Grand Babacar continue encore son concert d’éloges en ces termes: « s’agissant de l’administration civile, Abdou Diouf, retenons, chez lui, une facette extrêmement rare mais très saine de la gouvernance : l’intangibilité des deniers publics ».

Cette « administration civile » dont vous vantez le mérite a-t-elle réellement empêché le conflit en Casamance ?

Cette « administration civile » sous le règne d’Abdou Diouf a-t-elle empêché les programmes catastrophiques d’ajustements structurels ? Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie en 2001) qui était le vice-président et économiste en chef de la banque mondiale a fini, lui-même, par se rebeller contre cette institution en parlant de « solutions standard, archaïques et inadaptées sans tenir compte de la réalité des pays auxquels on disait de les appliquer » (cf.  La grande désillusion, Fayard, 2002). Et pourtant, le gouvernement d’Abdou Diouf n’a pas empêché ces politiques qui n’ont pu satisfaire que les ambitions de quelques décideurs, ayant des idées élaborées dans des laboratoires en ne tenant compte ni du contexte social, ni du droit des peuples africains à la souveraineté alimentaire, ce qui, forcément nous a conduit à un dramaturge social.

Cette « administration civile » a-t-elle empêché des jeunes de prendre par centaine, des pirogues et de mourir aux larges des côtes de l’océan Atlantique ?

Force est de reconnaître que les échecs des politiques des gouvernements de Senghor et d’Abdou Diouf ont gravement provoqué ce que j’appelle une neurasthénie sociale au sein de la population sénégalaise : état durable de tristesse et de trouble ayant conduit les jeunes à quitter ou à détester leur pays.

Cette « administration civile » a-t-elle empêché ce recul démocratique patent dans un Sénégal où la détention d’une carte d’identité et une carte d’électeur devient désormais un luxe et non un droit ?

Cette « administration civile » a-t-elle empêché d’avoir un système de santé catastrophique qui conduit des citoyens à mourir comme des mouches dans les hôpitaux au vu et au su de tout le monde?

Grand Babacar nous rappelle qu’: « avec le Président Wade, les lignes n’ont pas bougé. Elles ont carrément sauté. La diplomatie, les investissements, l’éducation, les infrastructures et la gouvernance domestique  ont subi une cure…d’ouragan. La ripaille a vu le jour, mais les salaires anciennement gelés ont été follement majorés ».

La gouvernance du Président Abdoulaye Wade a-t-elle empêché que le Sénégal soit placé parmi les 25 pays les plus pauvres au monde alors que les pays qui se situaient au même rang que lui ont pris leur envol depuis belle lurette? Sans jamais oublier que les problèmes de bonne gouvernance n’ont jamais été aussi bigarrés que sous le règne du Président Abdoulaye Wade.

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Pour essayer de sauver la face, en intellectuel habile, Grand Babacar a tout de même émis quelques critiques à l’endroit de ces régimes avant de finir son article : « Il va sans dire que deux ou trois facettes d’une gouvernance ne reflètent pas l’intégralité du tableau des réalités. Chacun des trois régimes a eu son stock d’affaires tragiquement obscures et sordides. La mort du célébrissime Normalien Omar Blondin Diop, les scandales de l’ONCAD et de la SOSAP, la disparition truffée d’interrogations du Commissaire Sadibou Ndiaye, la radiation illégale de policiers brusquement plongés dans la dèche de la mort lente, l’inénarrable et sinistre loi Ezzan etc. restent vivaces dans les mémoires ».

 

Grand Babacar donne enfin un conseil à Ousmane Sonko pour : « redoubler d’attention et aiguiser sa perspicacité ».

En écoutant le Président Ousmane Sonko on peut aisément comprendre, à travers son discours, qu’un gouvernement qui ne pourvoit pas le minimum de besoins vitaux (nourriture, soins sanitaires, eau, qualité de vie) et de justice à ses citoyens, fusille délibérément son peuple, en lui volant son droit, sa dignité et son humanité. Nous en sommes là aujourd’hui, pour le cas du Sénégal, face à une véritable cénesthésie sociale, un sentiment d’impuissance face aux injustices subies par la population.

En lisant les écrits du Président Ousmane Sonko, il est aussi aisé de comprendre que le passé n’est pas à rejeter, car il est source d’inspiration mais pas forcément d’imitation. Dans cet ordre d’idée, le passé n’est jamais à reproduire. Il nous sert de point d’appui pour réinventer l’avenir. Et c’est aujourd’hui ou jamais que la jeunesse doit prendre sa destinée en main, puisque rien n’a été fait pour se fixer en 2035. En effet « l’avenir, disait Antoine de Saint Exupéry, n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’as pas à le prévoir mais à le permettre » (Cf. La Citadelle, 1948).

Le président Ousmane Sonko reconnaît, lui-même, l’héritage positif de nos anciens lorsqu’il écrit que : « Cet engagement pour le panafricanisme est hérité de nos premiers intellectuels, notamment, Lamine GUEYE, Mamadou DIA, Léopold Sédar SENGHOR et surtout Cheikh Anta DIOP, entre autres, qui ont très tôt défendu l’unité de l’Afrique, chacun avec sa propre conception du panafricanisme et de l’unité africaine » (Cf. Solutions. Pour un Sénégal nouveau, p. 209). Cette reconnaissance ne change en rien le fait qu’on doit critiquer leur gestion administrative de la cité en « fusillant » les dérives et les crimes sociaux.

Tout bon politologue comprendra qu’Ousmane Sonko n’incarne pas seulement une candidature mais une philosophie que porte toute une jeune génération. Une génération qui aspire au changement, une jeunesse qui a le désir d’éprouver de nouvelles sensations.

 

El H. Séga GUEYE

Sociologue Enseignantchercheur

sgueye9@gmail.com

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