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Hommage Au Cheikhoul Khadim (rta) (par Momar Kane)

Hommage Au Cheikhoul Khadim (rta) (par Momar Kane)

Contribution

L’Islam est un système de vie. Ce n’est pas qu’un culte, ce n’est pas qu’une morale, ce n’est pas qu’une législation ; c’est un culte, une morale et une législation ; c’est donc un système de vie qui exige de ceux qui l’ont adopté, un engagement sincère et un comportement vertueux; engagement et comportement qui constituent la meilleure réponse aux préoccupations humaines que celles-ci soient d’ordre métaphysique et existentiel, social et matériel. C’est dire combien l’islam attache de l’importance à la qualité de l’être humain comme facteur capital de développement dans la paix et le progrès. Dans sa conception, toute communauté est composée d’une élite et d’un peuple et c’est à l’élite qu’il revient  le rôle fondamental de tracer le cadre adéquat à l’expression des potentialités, du génie du peuple.

Pour l’islam, le Prophète Muhammad (Psl) est le prototype d’un membre de l’élite, lui qui fit d’un peuple arriéré à tout point de vue, le porte-étendard de la civilisation. C’est dire la nécessité où nous nous trouvons aujourd’hui de revoir, dans le contexte de nos nations et dans la conjoncture difficile où nous évoluons présentement, de réinterroger notre histoire et de restituer aux hommes et aux faits leur véritable dimension. Aussi, s’impose-t-il à notre génération, en perte de repères, de procéder, sous peine de s’enliser dans la médiocrité et la régression, à une déconstruction-reconstruction du concept d’élite.

Sont souvent en général désignés comme faisant partie de l’élite, des individus, soi-disant intellectuels de leur Etat, bardés de diplômes, occupant des postes élevés dans les appareils d’Etat et dans les institutions administratives, académiques, économiques et sociales. Or, à l’aune de la valeur ajoutée, du taux d’utilité sociale, des réalisations au service du peuple, ces prétendus membres de l’élite, pour la plupart, sont beaucoup plus des déprédateurs qu’autre chose. Par contre, des hommes, des femmes parce qu’ayant évolué ou évoluant dans les sphères de la société en marge du système, sont exclus de l’élite alors qu’ils en sont les véritables représentants.

Ici, au Sénégal, au regard de ce qu’on attend d’une élite, il est impossible d’ignorer de grands hommes dont la vie et les enseignements sont un terreau fertile sur lequel il est possible de bâtir plus qu’une société de progrès, une civilisation. Serigne Cheikh Ahmadou Bamba (Rta), qu’Allah le Tout Puissant le gratifie éternellement de sa miséricorde, est de ces rares hommes dont tout Sénégalais de toute ethnie et de toute confession devrait se glorifier

Si, comme il est dit dans un célèbre «hadith», «les savants sont les héritiers des prophètes», il fut un véritable héritier du plus grand des Prophètes, Muhammad (Psl). Sa prodigieuse production intellectuelle est unanimement connue pour qu’il soit nécessaire d’en parler plus longuement. Contentons-nous de dire que celle-ci s’évalue en terme de tonnes d’ouvrages et qu’en esprit universel, son savoir embrassait un spectre très diversifié de disciplines allant de la théologie aux mathématiques, en passant par la science du tafsir, des hadiths, la grammaire, l’art de l’éloquence, la poésie, la jurisprudence, la pédagogie, l’histoire, etc. La magnifique bibliothèque de la ville sainte de Touba porte sur ses étagères les œuvres inédites du Cheikh que le brain-trust sénégalais devrait s’empresser, au plus grand profit du pays et du monde, d’exploiter.

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Mieux, Serigne Touba fut un savant au sens coranique du terme ; c’est-à-dire quelqu’un qui savait, mais surtout qui appliquait ce qu’il savait quelles que puissent en être les conséquences sur son confort personnel. Sa vie fut une traduction fidèle de la Sourate Al «Asr» dont Imam Chafii disait qu’elle aurait suffi, à elle seule, pour définir la conduite du musulman telle qu’Allah la décrit à travers tout le Coran. En effet, Serigne Touba a, toute sa vie durant, été conséquent avec ses convictions ; c’est bien cela qui lui a valu les brimades et les exactions de l’établissement colonial et de tous ses valets locaux. Son seul tort, à leurs yeux, fut de faire partie de ceux qui disent «Allah est notre Seigneur» («Khalu Rabbuna Lahu»), de ceux qui tiennent à conformer leur conduite à leur profession de foi («Achadu An Laa Ilaaha Illa Lah ; Achaadu Anna Muhhamadar Rasulullah»). Cette profession de foi qui, quand elle est sincèrement exprimée et vécue, débouche toujours sur l’animosité des  mécréants. Quelqu’un qui a entendu le Prophète Muhammad (Psl) la prononcer a dit : «Azihi kalimatun yakraou al muluk», c’est là un propos que les rois n’aiment pas entendre.

C’est cette fidélité aux sources fondamentales du Coran dans sa pensée comme dans son action qui lui a valu tout ce qu’il a enduré, à l’instar de son modèle le Prophète Muhammad (Psl). Comme lui, il a été raillé, insulté, calomnié, vilipendé, dénoncé, espionné et exilé à plusieurs reprises. Il a accepté ces épreuves, confiant en la vérité de sa démarche et par conséquence, en la sollicitude de son Seigneur. Il fut l’incarnation du fameux verset : «Al laziina amanuu, wa lam yalbissou imaanahum bi zoulmin, uwlaahika lahumul amnu, wa hum muhtaduun» («Ceux qui croient et qui n’altèrent en rien leur foi par quoi que ce soit, ceux-là sont sereins, tranquilles, ceux-là sont les bien guidés.»)

Serigne Touba fut aussi une preuve de Dieu, un signe d’Allah (Udjatullah) qui nous apprend dans le Coran que le critère de la supériorité est moins dans l’appartenance à un peuple, une race, un pays, une langue, etc., mais dans le degré de piété (verset 13 Sourate Al Hudjuraat). En effet, par son enseignement et son action, Serigne Touba a réduit à néant le complexe qui ravageait la race noire en restaurant, en un moment où cela était malmené par la colonisation et l’extraversion des modèles de comportement au nom de l’imitation aveugle de modèles culturels étrangers fussent-ils arabes, l’attachement au terroir et le respect de soi ; toute chose qui se reflète encore aujourd’hui dans le port altier des jeunes mourides et leur attitude digne où qu’ils soient dans les quatre coins du monde.

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Je voudrais dans le contexte de cette commémoration de cette journée d’actions de grâces à laquelle il a convié tous les musulmans et qui nous le rappelle lui comme un des acteurs des épisodes glorieux de notre histoire, revenir sur l’enseignement du Qur’An en la matière. L’évocation des anciens de l’histoire n’a de sens et d’utilité que quand elle porte à conséquence sur l’histoire contemporaine et par rapport aux problématiques d’époque. Le Coran nous dit : «Aux anciens ce qu’ils ont fait et mérité, à vous aussi ce que vous aurez fait et mérité». On nous met ainsi en garde contre l’effet anesthésique de l’évocation béate et de la contemplation passive des hauts faits ou de la gloire des anciens. Le grand penseur Rajah Garaudy a eu raison de dire qu’il faut prendre des anciens la flamme et non les cendres. Le grand savant algérien Malick Bennabi aussi, dans la même lancée, fustige l’énumération des mille et une nuits de l’Arabie heureuse alors que l’Arabie d’aujourd’hui est une zone de lamentations et d’espérances déçues. Il en est de même de nous, Sénégalais, Africains du Sud du Sahara. Rien ne sert d’avoir un homme de la trempe et de l’envergure du Cheikh si son enseignement et son action ne nous inspirent et ne nous valent d’amples réalisations temporelles et spirituelles.

Le Cheikh a dit que seuls sont ses héritiers ceux qui travaillent pour le «Qur’an (Coran) et la Suna» du Prophète Muhamad (Psl) et qui s’y conforment en toutes circonstances. Il s’est voulu en cela le serviteur du Prophète (Khadimou Rassoul). Il a articulé son action grandiose d’éducateur et de conducteur d’hommes autour de trois principes :

– l’attachement au Tawhiid et la défense de la pureté doctrinale de l’Islam. Toute sa vie durant, il a lutté contre les innovations dont on sait qu’elles sont la gangue qui obscurcit la lumière coranique et la pratique du prophète (Psl). C’est grâce à sa force de rupture :

– qu’il s’est détourné d’une certaine compréhension de l’islam et d’une certaine manière de le vivre. Son projet ne fut pas de créer une voie nouvelle, mais de restaurer celle que le «Qur’an» a tracée et que le Prophète Muhammad (PSsl a empruntée. Il a dit : «Radjaahu Djannatin bilaa taahahi bi Sunnatil maahi khururum yaati» («Espérer le paradis sans obéir à Allah et sans observer la pratique du prophète, ce sont des illusions qui se manifesteront bientôt».) Il a dit : «Safiiha man yatlubu Djannatin bilaa ibaadatin fa innahu lan yukhbala» («Est fou celui qui pense entrer au paradis sans adorer Dieu, on ne l’y acceptera pas»).

– qu’il s’est détourné des honneurs du pouvoir féodal et des charges juridiques qui, selon la tradition en vigueur à l’époque, lui revenaient de droit ;

– qu’il a, au nom de la noblesse conférée au genre humain par Allah, et au nom de la supériorité de l’Islam, refusé toute forme de domination. C’est pourquoi il a, en un moment où les roitelets étaient à la merci du colon et où la voix de l’Islam s’enlisait dans l’évitement et la frayeur, lancé son grand cri de résistance ; et il s’était préparé spirituellement et physiquement aux épreuves qu’appelle une telle orientation. Il avait fini son «Zuhd» par le dédain des plaisirs de la vie d’ici-bas, l’habitude de ne manger qu’une poignée de couscous par 48 heures et le détachement de l’amour des biens terrestres.

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Ceux qui luttent dans la voie de Dieu et surtout les plus jeunes  d’entre eux devraient méditer cette expérience du «Djihaad de Serigne Muhammadou Bamba» car cela les préserverait de ces volte-faces et de ces reniements qui sont prompts à faire surface devant l’adversité. D’ailleurs, le Cheikh qui avait une vision prospective, a beaucoup misé sur la jeunesse et lui a consacré beaucoup de son temps et de son œuvre. Il en a appelé à une jeunesse :

– qui ait le sens des perspectives, c’est-à-dire qui ne s’enlise pas dans les plaisirs fugaces et avilissants, mais qui ait une capacité de réflexion eschatologique, qui lui ferait comprendre que l’au-delà est sans commune mesure avec l’ici-bas et que la rétribution dans l’au-delà est tributaire de l’investissement en bienfaits dans l’ici-bas. Il a dit dans «Mawwahiboul khudus» : «Tallahi Laysa yanfahu sakhsa khadaa inda uluuli ramzihou khayroul oudaa» («Par Dieu, personne ne trouvera demain, c’est-à-dire à l’au-delà, quelque chose qui lui sera utile que ce qu’il a fait comme bienfait dans l’ici-bas.»)

Serigne Touba voulait, veut d’une jeunesse responsable qui cherche le savoir car il n’y a pas pire abomination que l’ignorance, qui travaille car il n’y a pas pire défaut que la paresse et la dépendance, qui recommande le bien et interdit le mal et qui, à cette seule fin, mobilise son énergie, son temps et son talent.

Je crois pouvoir dire que Serigne Touba parlait et agissait pour tous les musulmans, que dis-je, tous les Sénégalais car ce n’est pas possible que le message de quelqu’un d’aussi fidèle aux enseignements du Coran et de la Sunna n’ait pas une portée universelle et une vocation œcuménique. Il a travaillé ferme et avec conviction pour l’unité des musulmans dans son terroir, mais aussi à l’échelle du monde. Un jour à Diourbel, n’a-t-il pas tancé quelques-uns de ses disciples qui ont eu un jour à parler désobligeamment d’autres musulmans affiliés à d’autres confréries. Il leur dit : «Voulez-vous être comme les juifs et les chrétiens dont le Coran (Sourate Baqara verste 113) nous rapporte la haine et le mépris réciproques» («Wa Khaalatil yahuudu laysatil nasara ala chay wa khalatil nasaara laysatil yahuudu ala chay»).

Sous la bannière d’un tel homme, il est possible que les Sénégalais, les Africains et les musulmans se réconcilient et mettent en commun leurs forces et leurs vertus au service de la bonne cause. Que la Paix soit sur lui, sur ceux qui s’efforcent présentement de suivre sa voie et de continuer son action.

 

 

 

Momar KANE

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